Chapitre 35

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Pendant tout le reste de la randonnée, Icare me parle géologie et formation de paysages. Il est passionné et rend ça passionnant, même si je préfèrerais qu'il entame un autre sujet...

Il est très prévenant, et me demande une bonne trentaine de fois si je n'ai pas faim, soif, froid, chaud, ou si je ne suis pas fatiguée. A tel point que la situation me fait carrément rire, et dès qu'il ouvre la bouche, je ne lui laisse même plus le temps de parler, je réponds immédiatement « Tout va bien ! ».

Vers onze heures, nous convenons de redescendre et tombons sur Guillaume et Théo qui se sont finalement installés sur l'herbe en cours de parcours, pour discuter. Nous rentrons ensemble à l'auberge de jeunesse et sommes surpris d'y retrouver le reste de notre groupe, déjà rentré d'Espagne. Après le repas, nous rangeons et nettoyons les lieux puis prenons la route du retour. Chacun reprend la place qu'il occupait à l'aller dans le minibus, et au bout de quelques dizaines de kilomètres, le silence se fait dans l'habitacle, nous nous endormons tous, les uns après les autres.

Une douleur dans la nuque me réveille à mi-trajet et lorsque j'ouvre les yeux, je réalise qu'Icare s'est endormi sur son bras gauche passé derrière mon appuie-tête, et son visage n'est qu'à quelques centimètres du mien, à tel point que je peux sentir son souffle sur ma joue. Je prends mon courage à deux mains, referme les yeux et me cale tout doucement contre lui, comme si j'avais bougé inconsciemment dans mon sommeil. Il ne bouge pas d'un centimètre. Alors, mon cerveau se met en route et m'assaille de questions. Est-ce qu'il dort vraiment ? Est-ce qu'il s'est placé ainsi pour se rapprocher de moi lui aussi ? Mais s'il dort vraiment, que va-t-il faire quand il se réveillera ? Va-t-il me repousser ou me laisser calée contre sa poitrine ? Je profite de ma position pour m'imprégner de son odeur. Une odeur de lessive et d'Icare. Une odeur apaisante et rassurante.

C'est finalement Théo, en se retournant, qui nous réveille à tous les deux alors que nous ne sommes qu'à quelques centaines de mètres du siège de l'association, de retour à Bordeaux. J'ai fini par m'assoupir dans cette position, et comme nous nous relevons en même temps, je ne sais pas si Icare a eu conscience que je m'étais rapprochée de lui.

Nous nous séparons tous moins d'un quart d'heure plus tard, et cette fois, Théo et moi décidons de prendre le bus pour rentrer chez nous. Ce week-end a été épuisant. Mais il a le mérite d'avoir laissé derrière nous le malaise qui avait pu s'installer entre Icare et moi. Et si les sorties de l'association sont les seuls moments où nous pourrons passer du temps ensemble pour l'instant, je m'en contenterai. J'ai déjà hâte d'être à la prochaine, qui n'aura malheureusement lieu qu'au mois d'avril de l'année suivante.

Les cours reprennent le lendemain et chaque jour qui passe, Icare continue de me surprendre en arrivant de nulle part pour me faire la bise. Quand arrive le jeudi, son cours d'allemand se termine très en retard. Et quand il ouvre son sac pour notre échange habituel, le reste de sa classe passe à ce moment-là pour se rendre au cours suivant. La voix sonore d'Archibald qui chantonne se fait entendre :

— Auxane elle a vu les couilles à Icareeee, nananananèèère !!

Tout le monde nous regarde alors que nous avons encore chacun un bout du sac qu'il me tend à la main. Nous sommes tous les deux écarlates. Nos deux prénoms sont suffisamment rares dans le lycée pour qu'il n'y ait pas d'ambiguïté possible. Je suis pétrifiée sur place, Théo m'arrache le sac des mains et me pousse vers la salle de cours pour rompre le contact visuel avec toutes les personnes qui m'observent.

Les autres élèves du cours d'allemand rentrent à leur tour et me dévisagent tous un à un. J'ai vraiment du mal à faire comme si tout était normal. J'entends vaguement le professeur s'excuser de nous prendre en retard mais suis absorbée par les questions qui affluent dans ma tête.

Est-ce lui qui a raconté cet épisode du week-end à Archibald, ou bien Hippo ou Célian ? Et pourquoi ? Est-il vraiment persuadé que je l'ai vu nu ? Que dois-je faire ? Rectifier ou le lui laisser croire ?

Théo me regarde l'air inquiet et m'interroge du regard.

— Ça va, ne t'inquiète pas.

Je lui souris mais je vois bien qu'il ne croit pas un mot de ce que je viens de lui dire.

Le cours me paraît interminable, et lorsqu'enfin la sonnerie retentit, nous sortons rapidement et j'évite de croiser les regards portés sur moi. Je sais que demain tout le monde sera passé à autre chose, mais je déteste l'attention que l'on me porte à ce moment précis.

Théo me force à penser à autre chose. Il ouvre son sac en marchant et me tend le range-CDs d'Icare.

— On regarde son petit mot ?

J'avais complètement oublié que j'aurais une réponse aujourd'hui, et sa diversion fonctionne à merveille. J'ouvre la pochette, en sors un papier plié en deux, et la cale sous mon bras le temps de le déplier et le lire.

« Bonjouuuur !

Je te remerci pour le live de Biohazard qui est pas mal mais j'avoue tout de même m'être attendu à mieux. Je te remercie également énormément pour les cassettes, je crois qu'il va me falloir du temps pour toutes les regarder or avec des semaines à 42h je risque pas de pouvoir toutes te les rendre de si tôt. (ou citôt je sais plus mais citôt ça fait bizarre). Je ne pense pas que ce soit la peine que je te passe le dernier album de Soulfly puisque tu as dû être la première de Bordeaux à l'acheter mais si tel n'est pas le cas n'hésite pas à me le demander : je suis là pour ça. Sinon, j'en profite pour te demander si t'aurais pas la gentille amabilité de me passer ta dissert sur la science, puisque j'ai un exposé oral à faire sur le sujet "qu'est-ce que la science ?". Certes, tu me diras que j'ai déjà celle de ma sœur et le corrigé du prof, mais bon, je pourrai toujours reprendre 1 ou 2 idées. Voilaaaaa !

Après réflexion, je pense que je t'ai pas trop gâter cette semaine alors je te passe aussi Dionysos que je trouve vraiment excellent. »

Je bombarde Théo de questions :

— Il me parle de sa sœur, il sait donc que nous sommes dans la même classe, pourquoi est-ce qu'il ne m'en a pas parlé plus tôt ? Tu crois qu'il lui a parlé de moi ? Et si oui, qu'est-ce qu'il a bien pu lui dire ?

— Peut-être que c'est elle qui lui a dit qu'il y avait dans sa classe la fille qu'ils avaient vu au concert de Nada Surf.

— Il aurait fallu qu'elle soit super physionomiste, on s'est approchés trente secondes ! Et c'était il y a déjà bien longtemps !

— Et ben pour avoir confirmation, tu pourrais peut-être jouer l'innocente et, dans ta réponse, lui demander pourquoi il te parle de sa sœur.

— Pas bête. Cela dit, je n'ai aucune intention de lui passer mon devoir sur la science, c'était nul, je me suis pris une sale note en plus !

— Tu n'as qu'à lui dire que tu l'as jeté.

— Bonne idée.

Je lis une deuxième fois son mot, et ajoute :

— Il a vraiment un problème avec la conjugaison !

— Tu n'as qu'à lui proposer des cours particuliers.

Il accompagne ses mots d'un coup d'épaule. Nous nous sourions, en route pour chez lui, l'épisode provoqué par Archibald est déjà oublié.     

Je croi(s) qu'en fait je t'aime...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant