Chapitre 36

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Je choisis de ne pas attendre et, dès le lendemain, lorsqu'Icare me fait la bise quand nous nous croisons devant le self, je lui demande carrément pourquoi il me parle de sa sœur dans son dernier petit mot. Il m'explique alors qu'Adréane Dudez, qui est dans ma classe, est sa sœur, ce que je savais déjà mais je feins la surprise. Il ajoute qu'il est au courant depuis la rentrée puisqu'avec Archibald, ils ont tous deux pour habitude de regarder les listes de constitution des classes affichées devant le bâtiment de la vie scolaire, car ce dernier aime faire des jeux de mots stupides avec les noms de familles des lycéens.

J'espère qu'il ne me reparlera pas de la dissertation sur les sciences et suis sauvée par le surveillant qui appelle son groupe pour entrer dans la cantine.


L'année scolaire se poursuit ainsi, rythmée par nos salutations quotidiennes et nos échanges du jeudi, mais notre relation n'évolue pas. Nous nous voyons tous les jours mais nous ne nous parlons pas réellement, faute de temps.

Les mois défilent, et le week-end tant attendu d'avril finit par être annulé faute de financements. Je réalise alors que notre dernière chance d'aller plus loin ensemble correspondra à la dernière sortie de l'association de l'année, pour Pentecôte, début juin.

Malheureusement, le premier jeudi du mois de juin, lorsqu'il sort de son cours d'allemand, Icare me rend tous les albums et cassettes qu'il avait encore en sa possession et m'explique qu'on ne se reverra probablement pas. En effet, il pensait venir à la sortie, mais elle coïncidera avec la période de révisions avant le bac, donc aucun d'entre eux n'y participera finalement. Il ajoute que les élèves de terminale étant autorisés à rester chez eux pour travailler à partir de la semaine suivante, on ne se reverra a priori pas.

Cette nouvelle m'anéantit. Je ne peux pas croire que tout s'arrête aussi brutalement. Et comme pour me raccrocher à un mince espoir de voir notre « relation » continuer à la rentrée, je lui propose que nous continuions à nous faire passer des CDs par l'intermédiaire de Cléophée et Hippo, mais il poursuit et me dit qu'il a été accepté pour faire ses études au département de géosciences de la faculté de Pau. Il ne sera donc plus sur Bordeaux l'année prochaine, et ne verra donc plus Hippo non plus. Il dit cela avec un regard vide. Sa bonne humeur habituelle semble évanouie.

Toutes ses révélations me font l'effet d'une douche froide. Je me force à intégrer sur le champ que tous nos échanges vont s'arrêter ici. Mais je ne suis pas sûre d'y parvenir. L'histoire aura duré un peu plus de trois ans, sans que jamais rien ne se passe. En y réfléchissant, une sensation de gâchis m'envahit, mais il m'intimide tellement que je sais que je suis parfaitement incapable de faire le premier pas, surtout là, maintenant, dans l'urgence.

Théo, qui a assisté à la scène, me propose que nous séchions exceptionnellement le cours d'allemand et rentrions directement chez lui. Je suis effondrée intérieurement et il me connaît trop pour avoir besoin de me demander comment je vais. Il me propose de préparer un dernier petit mot pour Icare qui servira de confession, une sorte de tentative de la dernière chance, à lui donner impérativement le lendemain, puisque ce sera le dernier jour où nous sommes censés nous voir.

Lorsque nous arrivons dans sa chambre, j'ouvre mon sac et remarque un petit bout de papier qui dépasse d'une de mes cassettes. Icare m'a fait passer un dernier petit mot ! Je l'attrape précipitamment.

« Juste une dernière "lettre" pour te remercier pour tout ce que tu m'as fait découvrir depuis trois ans. Ça me fait bizarre de me dire que ça s'arrête. J'espère que tu garderas un bon souvenir de moi. »

Je suis dépitée. Il a abandonné. Rien de concret ne sortira de cette histoire.

Mais plus je relis ses quelques mots, plus la colère me gagne. Et si en réalité tout cela n'avait été qu'un jeu pour lui ?

Les mots se couchent presque tous seuls sur le papier.

« Si c'était à refaire, je ne pense pas que je le referai... J'ai juste l'impression d'avoir été prise pour une conne pendant trop longtemps... Bonne chance pour le bac et la suite... Salut. »

Théo m'interroge :

— T'as vraiment l'impression qu'il t'a prise pour une conne ?

— Carrément, oui. C'est lui qui s'est immiscé dans ma vie, pas le contraire. Plus j'y pense, plus je me demande au fond si ce n'était pas juste de la jalousie mal placée. Guillaume a dû lui raconter qu'il m'avait proposé de sortir avec lui et que j'avais refusé. Si ça se trouve c'était juste un défi qu'il s'était lancé, avoir la fille qui avait dit non à Guillaume. Il a fait tout ce qu'il fallait pour me rendre accro, et il arrête tout au moment où on est au plus près de concrétiser.

— Je ne sais pas Aux, je crois que tu t'emballes parce que tu es vexée que tout s'arrête sans que tu puisses le contrôler. On pourrait voir la situation dans l'autre sens et se dire plutôt que c'est lui qui est accro et qu'il a fait tout ce qu'il a pu pour être en contact avec toi.

— Sauf que je me demande si c'est sincère ou si c'est juste une sorte de compétition entre Guillaume et lui, même inconsciente.

— Moi je crois que tu te plantes, là. A mon avis il est aussi timide que toi, au fond, et voyant qu'il n'arrivera pas à faire le premier pas et que tu ne le fais pas non plus, il abandonne.

Je me frotte vigoureusement le visage, comme pour effacer toutes les pensées qui se bousculent dans ma tête.

— Quoi qu'il en soit, l'histoire s'arrête là. Je ne veux pas le voir demain, je n'irai pas en cours, mais je voudrais que tu me rendes un service.

— Que ce soit moi qui lui donne ce mot ?

— Tu as tout compris.

— Je ne pense pas que ce soit une bonne idée Aux. J'insiste.

— Je m'en fous, je viens de perdre trois ans pour rien, il faut arrêter les frais, là !

— Comme tu veux, je n'insiste plus, mais tu sais ce que j'en pense.

Je croi(s) qu'en fait je t'aime...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant