L'année scolaire se termine tranquillement mais je ne recroise ni Icare ni ses amis dans le collège à cause du brevet. Les troisièmes semblent s'être volatilisés ! Les vacances passent rapidement et à la rentrée, l'association de sauvegarde du patrimoine reprend du service dès le début du mois de septembre et Théo et moi y retournons avec impatience. Notre local est situé non loin des rives de la Garonne, dans un bâtiment désaffecté autrefois occupé par les pompiers pour abriter leurs canots de sauvetage, aujourd'hui remplacés par notre minibus, remorque, brouettes, seaux, et innombrables outils parfaitement rangés et alignés sur des étagères de récupération, ainsi que par une petite salle isolée qui tientlieu de salle de réunions. L'endroit est froid et humide, entièrement bâti en parpaings et plutôt sombre, mais la bonne humeur qui règne toujours en ces murs semble égayer l'ensemble. Et quelle n'est pas notre surprise lorsque nous voyons débarquer un nouveau venu : Hippolyte ! Théo engage immédiatement la conversation en allant à sa rencontre.
— Hippolyte, c'est ça ?
Il serre la main de Théo et me fait la bise.
— Hippo, oui. Théo et Auxane, si je me souviens bien ?
— Tu te souviens bien, oui ! Qu'est-ce que tu viens faire là ?
— Je viens juste donner un coup de main à ma sœur pour la première séance de l'année. Je fais ça depuis deux ans.
— Ta sœur ?
— Oui, c'est elle qui s'occupe des plus jeunes sur les chantiers.
— Cléo ? Cléophée est ta sœur ?
— Oui, ça surprend toujours car non seulement on ne se ressemble pas du tout, mais en plus on a une grande différence d'âge.
Je ne peux m'empêcher de le détailler de la tête aux pieds devant la surprise de son aveu. Je savais bien que je l'avais déjà vu quelque part. C'était ici, certainement l'an dernier. Je le compare silencieusement à sa sœur. Effectivement, ils n'ont vraiment rien en commun. Cléophée est brune, sportive, et on pourrait facilement la qualifier d'hyperactive, alors que ce qu'Hippolyte nous a laissé entrevoir pendant le voyage scolaire était plutôt l'image d'un garçon tranquille qui se laissait porter par le courant. Il nous explique qu'elle a vingt-cinq ans et qu'elle n'est pas sa sœur biologique. Ses parents l'ont recueillie il y a une dizaine d'années et le foyer où elle vivait avant était régulièrement invité à participer à des chantiers de sauvegarde organisés par l'association, alors dès qu'elle a été en âge de s'occuper à son tour des plus jeunes, elle n'a pas hésité à s'investir personnellement. Théo et moi connaissons Cléo depuis trois ans maintenant et nous n'avions pas même soupçonné qu'elle puisse avoir eu une enfance malheureuse, tellement elle nous chouchoute. Je demande alors à Hippolyte :
— Et toi, ça ne t'intéresse pas de participer aux chantiers avec nous ?
— Cléo me tanne tous les ans avec ça, mais je vous avoue que je trouve ça un peu... je sais pas... ringard ?
— Ringard ?
— Ouais, je sais pas trop comment dire ça, je voudrais vraiment pas vous vexer, mais je trouve que c'est un truc de vieux le patrimoine. On s'en fout un peu, non ?
— Ben, chacun ses goûts ! Nous ce qu'on préfère dans l'asso, c'est partir pour des week-ends complets. On passe toujours de super bons moments.
Deux à trois fois par an en effet, nous partons tous ensemble en minibus et convoi de voitures un peu partout en France. La journée nous déblayons ou entretenons des monuments historiques à l'abandon, et le soir, nous dormons dans des gîtes avec de grands dortoirs ou dans des campings dans de simples tentes et passons d'agréables moments tous ensemble. Nous réservons toujours une journée balade également, pour découvrir la région où nous nous trouvons, et les soirées sont souvent mémorables.
— Ça je veux bien le croire, quand ma sœur raconte comment ça se passe, c'est sûr que ça donne envie. Mais venir chaque samedi pour racler de l'herbe ou déplacer des pierres sur toutes les ruines du coin, je vous avoue que ça m'emballe nettement moins !
— On s'amuse beaucoup en fait, tu sais. Tout se fait dans la bonne humeur. Surtout qu'on est finalement assez peu de jeunes. On n'est qu'une petite dizaine et on est très soudés.
— Je sais, je sais. Mais remarquez, ça pourrait être l'occasion que je me lance, cette année... Et puis Cléo serait ravie, c'est sûr !
— Tu ne le regretterais pas, j'en suis sûre. Et puis, au pire, rien ne t'oblige à continuer toute l'année si tu trouves ça ennuyeux...
— Si j'arrête en cours d'année, je pense que soit Cléo m'abandonne sur un chantier, soit elle m'assomme à coups de pelle !
Nous rions ensemble à cette idée, car Cléophée en serait effectivement bien capable.
La semaine suivante, Hippolyte revient finalement et nous annonce au bout de quelques minutes qu'Icare nous envoie le bonjour. Immédiatement, mon cerveau s'agite et quitte l'instant présent. Hippolyte et lui ont donc parlé de nous. Pour quelle raison ? Qu'ont-ils dit ? L'avaient-ils déjà fait depuis le voyage en Italie ? Des dizaines de questions se bousculent dans ma tête. Mais je me contente simplement de lui dire de le lui renvoyer lorsqu'il le verra, à l'occasion. Il me répond qu'ils sont dans le même lycée, qu'ils se voient donc tous les jours de la semaine, et parfois même le week-end.
— Icare m'a dit de vous demander si vous pourriez lui prêter la cassette du groupe que vous lui aviez fait écouter dans le bus.
Je demande ironiquement :
— Il se met à écouter de la vraie musique ?!
— Je peux pas te dire. J'espère que vous vous souvenez de quoi il s'agit parce qu'il ne m'en a pas dit plus.
— Il veut peut-être laver ses oreilles de sa musique pourrie ? Quoi qu'il en soit, pas de problème, j'amènerai ma cassette samedi prochain. Mais s'il préfère, j'ai plutôt le CD. La cassette n'était qu'une copie pour qu'on puisse l'avoir sur le baladeur dans le bus.
— Ben, à vrai dire, j'en sais rien, le plus simple pour toi ! Il sera de toute façon content j'en suis sûr.
Le sourire énigmatique qui lui colle aux lèvres lorsqu'il prononce cette phrase fait s'emballer ma tête à nouveau. Pourquoi Hippolyte a-t-il fait cette dernière remarque ? Est-ce qu'Icare sera simplement content d'obtenir le CD ou content que ce soit moi qui le lui prête ? Quoi qu'il en soit, je suis certaine d'une chose, ce minuscule lien avec Icare, aussi ténu soit-il, réveille une sensation étrange au creux de mon ventre.
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Je croi(s) qu'en fait je t'aime...
RomanceAuxane et Icare se rencontrent en 1996 alors qu'ils sont encore jeunes. Rapidement, ils se tournent autour et tous les prétextes sont bons pour multiplier les contacts, jusqu'à ne plus pouvoir se passer l'un de l'autre. Mais les années passent sans...