Chapitre 31

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En tout début d'après-midi, nous montons tous les six à l'arrière du minibus pour vingt minutes de trajet jusqu'au chantier. Je commence à ressentir les effets de ma courte nuit et suis sur le point de m'assoupir au moment où nous arrivons. L'équipe du secteur est déjà en place et dirige immédiatement chacun de nos groupes déjà formés sur un poste. On désigne à Guillaume, Icare et moi trois brouettes, pelles et marteaux, qui semblent nous attendre à côté d'un énorme tas de tuiles.

Un homme à l'allure peu avenante s'adresse sèchement à nous :

— Concassez grossièrement les tuiles à l'aide des marteaux, puis chargez les brouettes et allez combler les trous sur le chemin.

Icare demande :

— Et il est où, le chemin, au juste ?

Effectivement, nous sommes sur une sorte de grand terrain plat et Cléophée avait parlé d'un chemin à flanc de montagne.

— Il est tout au bout du sentier qui démarre au fond de ce terrain, derrière la colline qui est juste là.

— Mais c'est super loin !

— Oui, c'est pour ça qu'on demande du renfort dans toutes les associations de sauvegarde du patrimoine qui veulent bien nous prêter main forte. Vous avez à peu près un kilomètre à faire avec les brouettes.

Guillaume demande à son tour :

— Et ça n'aurait pas été plus simple de faire livrer de la tuile plus près du lieu des travaux ? Cléo nous avait parlé d'un chemin de cinq cents mètres !

— Non, malheureusement c'était impossible pour des questions de sécurité. Le parcours à consolider fait effectivement cinq cents mètres, mais c'est sans compter la longueur du chemin pour y accéder. Alors bon courage à tous les trois ! Les équipes avant vous ont fonctionné à la chaîne, un qui casse, deux qui transportent, et si l'attente entre deux trajets est trop longue, celui qui concasse peut aussi prendre une brouette.

Je suis déjà fatiguée à cause de mon lever matinal et l'ampleur de la tâche me paraît énorme. Même si notre instructeur est peu aimable, j'ose à mon tour une question, souhaitant savoir ce qu'il adviendra de Théo :

— Et l'autre groupe de trois, à quoi sera-t-il affecté ? J'avais cru comprendre qu'on ferait tous la même chose.

— Tout à fait. Ils vont être conduits à l'autre bout du sentier où attend un autre tas de tuiles. Ils feront exactement la même chose que vous, et lorsque vos deux équipes se rencontreront, c'est que le travail sera terminé. Et si vous avancez bien, vous pourrez peut-être vous rejoindre demain. Allez, je vous laisse je vais donner les consignes aux autres membres de votre groupe.

Nous nous dirigeons tous les trois vers nos brouettes, enfilons les gants qui s'y trouvent et prenons nos marteaux. Nous commençons d'abord par casser les tuiles ensemble pour remplir une première brouette. Cela fait tellement de bruit qu'il nous est impossible de nous entendre parler. Rapidement, Icare propose :

— Ça vous dit qu'on pète des tuiles tous les trois jusqu'à remplir chacune des brouettes ? Comme ça au moins pendant le kilomètre où il faudra les trimbaler, on pourra discuter.

Je ne suis pas sûre d'être capable de pousser une brouette chargée sur une telle distance sans montrer de signes de faiblesse, je me serais plutôt vue à concasser les tuiles, mais j'acquiesce. Guillaume aussi. Rapidement, j'ai mal au bras qui frappe et ralentis la cadence. Icare le remarque et arrête ses coups de marteau.

— Ça va, pas trop dur ?

Je cesse moi aussi de taper et m'essuie le front du revers de la main.

— Ça tire un peu, honnêtement.

— Fais une pause, on n'est pas non plus censés se tuer à la tâche !

— Certes, mais on n'est pas non plus censés glander ! Plus vite on avance, plus vite on termine.

— C'est vrai. J'espère que cette fois on pourra aller faire une balade, quand on aura fini.

Il me sourit. Guillaume intervient :

— Dites-moi si je vous dérange, hein !

Icare lui lance un petit bout de tuile pour réponse, et recommence à frapper. Nous faisons tous trois ce travail sans relâche jusqu'à ce que nos trois brouettes soient remplies. Guillaume, qui voit que je peine à soulever ma pelle pleine pour charger ma brouette, me la prend des mains pour me remplacer, immédiatement imité par Icare avec la sienne. Je me mords la langue pour ne pas sourire et leur demande avec ironie en désignant la brouette :

— Et vous allez aussi la pousser pour moi tout en vous occupant de la vôtre si je vous dis que je suis fatiguée ?!

Icare me répond :

— Carrément, t'auras même qu'à t'asseoir par-dessus les tuiles concassées, on te portera jusqu'à l'endroit où on doit vider !

— Pfff...

— Mais si, tu vas voir !

Il lâche sa pelle et se met à me courir après.

— Je vais t'y installer de force !

Il me rattrape rapidement en m'enserre la taille pour me soulever. Je me débats autant que je peux mais il me place sur son épaule et me ramène vers ma brouette. Je le supplie de me reposer par terre. J'angoisse carrément à l'idée qu'il se dise que je suis trop lourde. Il finit par me poser et pousse un profond soupir. Je me sens obligée de m'excuser, ne pouvant m'empêcher de penser qu'il est essoufflé de m'avoir portée.

Guillaume se moque de lui :

— Eh ben, tu peux te mettre au sport, t'as couru quoi, là ? Trente mètres ?!

Icare lui répond d'un doigt d'honneur. J'ai l'impression que leur combat de coqs va durer tout le week-end, et ça m'amuse beaucoup. Je dois avouer que ça me flatte.

Je croi(s) qu'en fait je t'aime...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant