1. Les aléas d'un voyage en bus

977 68 1
                                    

Tout a commencé il y a une éternité. En 1996, précisément. J'avais rencontré Icare de façon tout à fait banale, lors d'un voyage scolaire en Italie, à l'époque du collège. Non, pour être précise, je l'avais déjà vu depuis la rentrée dans les couloirs des bâtiments, ou dans la cour, lors des interclasses, mais sans m'y attarder, sans réellement y prêter attention. En fait, on ne pouvait que le remarquer : il dépassait tous les autres élèves d'au moins deux têtes ! Il avait deux ans de plus que moi, et était toujours entouré de la même bande de copains. A priori, nous n'avions aucune raison de faire plus amplement connaissance. Disons que le voyage scolaire a tout déclenché.

Ce voyage était réservé aux élèves de quatrième et troisième qui suivaient l'option latin. Mais pour faire baisser le coût individuel, il avait finalement été également ouvert aux cinquièmes qui envisageaient de prendre l'option l'année suivante, ceci permettant de partager le tarif exorbitant du bus pour le séjour. Dans le bus justement, le hasard fait que je me retrouve assise juste derrière ce géant, lui accompagné d'un garçon plutôt petit que je n'avais jamais remarqué, et moi à côté de mon meilleur ami, Théobald. On se connaît tous les deux depuis notre première rentrée à l'école maternelle, nous avons toujours été inséparables et nous connaissons comme les doigts de la main.

Le départ a lieu en tout début d'après-midi, et nous profitons alors tous les deux de ce moment de liberté sur le temps scolaire pour discuter de tout et de rien, comme nous avons l'habitude de le faire continuellement. Après un arrêt pique-nique en début de soirée sur une aire d'autoroute, les professeurs accompagnateurs soumettent au vote à main levée la diffusion d'un film d'horreur sur les deux écrans présents dans le bus. La plupart des collégiens présents ne doit certainement pas être en âge légal de regarder un tel film, ce qui, je pense, poussés par la sensation de braver l'interdit en quelque sorte, les amène tous à lever la main dans un enthousiasme non dissimulé et un brouhaha assourdissant. Seuls Théobald et moi faisons une moue de désapprobation. Nous échangeons un regard et nous nous rendons à l'évidence : non seulement on va devoir entendre un film à contrecœur (aucun de nous deux n'a réellement l'intention de le regarder), mais en plus nous ne pourrons même pas discuter sous peine de gêner tous ces téléspectateurs surexcités.

C'est alors que le garçon devant moi se lève et se retourne. Il balaye du regard les places occupées derrière lui et lance à voix haute :

— Avant que l'un d'entre vous ne s'énerve, j'anticipe : je sais, vous n'allez rien y voir à cause de ma taille, alors j'échange ma place avec quelqu'un du fond. Un volontaire ?

Il attend quelques secondes sans que personne ne se manifeste pour lui céder son siège. Il insiste.

— Personne ?

Devant le mutisme ambiant, il se rassoit puis se tourne à nouveau pour s'adresser directement à moi, plus bas, l'air désolé.

— Je vais me baisser au maximum, je m'excuse, mais tu ne vas pas y voir grand chose, si tu veux, on peut toujours échanger nos places.

Je le rassure spontanément.

— Oh merci, c'est très sympa, mais je n'ai pas vraiment l'intention de regarder le film.

Je désigne des yeux le baladeur dont Théobald tente de dénouer les fils et j'ajoute :

— On va plutôt écouter de la musique. Ce genre de film, ce n'est pas franchement notre truc.

— Ah OK.

Il se remet alors dans le sens de la marche en revenant à la conversation qu'il avait interrompue avec son ami avant l'annonce des professeurs. Théobald, les fils des écouteurs à présent dans chaque main, me regarde en affichant un sourire narquois. Je hausse les sourcils dans une interrogation silencieuse.

Je croi(s) qu'en fait je t'aime...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant