Moins de cinq minutes plus tard, Théo passe la tête par l'ouverture de notre tente, une serviette sur les épaules et les cheveux dégoulinants.
— Ah ! Aux enfin ! Comment tu te sens ? Comment va ton pied ?
— Ça va, mais on s'en fout de ça, il faut que je te raconte ma journée !
— J'imagine bien oui...
Il me fait un clin d'œil en s'allongeant sur son sac de couchage, appuyé sur son coude.
— D'abord, il faut que tu m'expliques ce qui s'est passé ce matin pendant que je dormais.
Il me sourit.
— En fait, quand je me suis levé Icare était déjà debout et il m'a demandé comment tu allais. Je lui ai dit que tu dormais donc que je ne pouvais pas lui répondre. Et il a immédiatement proposé de rester avec toi aujourd'hui, en tournant ça je ne sais plus exactement comment, mais ça laissait sous-entendre que c'était uniquement pour me rendre service à moi, pour ne pas me priver du chantier en quelque sorte ! Mais je n'ai pas été dupe...
— Tu es sûr ou c'est pour me faire plaisir que tu dis ça ?
— Non, non, vraiment Aux, je t'assure. Du coup quand les autres se sont levés après, il leur a dit qu'on avait discuté tous les deux et que le plus simple était que ce soit lui qui reste avec toi. Guillaume a dit qu'il voulait bien s'occuper de toi aussi, mais Cléo a demandé qu'une seule personne reste ici parce qu'il y avait besoin de monde en haut pour avancer le travail.
— Qu'est-ce qu'il a dit, alors, Guillaume ?
— Rien, il a fait la moue en baissant les épaules, et Icare lui a fait un grand sourire pour clairement se moquer de lui. Du coup Guillaume lui a fait un doigt !
Je souris bêtement. Théo me pousse l'épaule de la main.
— Bon alors, et toi raconte ! Vous avez fait quoi tous les deux ?
— Il m'a emmenée me promener avec un vélo qu'il a dégoté je ne sais pas où. On a passé la journée à discuter assis au bord d'un lac, à quelques kilomètres, que lui avait indiqué la boulangère chez qui il est allé nous chercher des sandwiches pour midi.
— Et ?
— Et c'est tout... A un moment donné, il m'a demandé si j'avais faim, ou soif, et comme je répondais non à chaque fois, il m'a demandé si j'allais refuser tout ce qu'il me proposait, ou un truc comme ça. Je me suis dit que ça commençait bien, j'ai fait une réponse ouverte en laissant planer le doute, mais il a changé de sujet.
— Et tu en conclus quoi ?
— Je sais pas, à chaque fois que j'ai l'impression qu'il fait des allusions intéressantes, ça ne va pas plus loin et il change de sujet.
— N'oublie pas que même si vous avez échangé par petits mots interposés depuis un an, vous ne vous connaissez quasiment pas. C'est la première fois que vous vous voyez réellement, tranquilles, tous les deux.
— Oui, c'est vrai, tu n'as pas tort. Mais à ce rythme-là, on n'a pas fini... Bon, et toi, raconte, qu'est-ce que vous avez trouvé de beau aujourd'hui ?
— On a terminé de tamiser le tas de terre. En fait, il n'était pas si important que ça parce qu'il était déposé sur du lapiaz, et la roche occupait une bonne partie du dessous du tas. On a trouvé pas mal d'ossements d'animaux, Hippo et Guillaume ont chacun trouvé un dé à jouer, moi j'ai trouvé une pièce de monnaie, et Célian a trouvé une fibule.
— Waouh ! C'est génial que vous ayez tous trouvé quelque chose !
— Du coup demain matin on ne remonte pas, Cléo a proposé qu'on nettoie tout ça.
— Ben à six on va avoir vite fait !
— Ne crois pas ça, on a trouvé plus d'une centaine d'ossements, et ils sont pleins de terre.
— Ah OK. Bon, et vous avez parlé de quoi en fouillant ?
— Tu veux dire est-ce qu'on a parlé de toi ? Non. Est-ce que j'ai appris des trucs sur Icare ? Non plus.
— Zut... Et ce soir, qu'est-ce qui est prévu ?
— Je ne sais pas, on n'en a pas parlé. Les garçons ont surtout discuté d'amis qu'ils ont en commun, et de foot.
— OK. Bon, on sort de la tente et on voit avec eux ?
— Ça marche.
Théo sort en premier et m'aide à me lever et marcher jusque sous le chêne où se trouvent nos quatre voisins, avachis dans l'herbe. Nous nous asseyons face à eux. Hippo me sourit et dit :
— Pas de foot ce soir !
— Euh, non effectivement ça me paraît compliqué.
Célian remonte le bas de son pantalon de survêtement et montre son tibia, marqué d'un énorme hématome violet bordé de jaune.
— Tu m'as pas loupé, tu as vu ?
— Je suis désolée, vraiment.
Guillaume prend un ton sarcastique :
— Alors mon petit Célian, on se fait frapper par une fille ?!
Ce dernier arrache une touffe d'herbe et la lui jette à la figure pour seule réponse. Nous passons ainsi la soirée et le début de la nuit à discuter tous les six, nous taquinant à tour de rôle.
Le lendemain matin, armés de bassines d'eau et de papier absorbant, nous nettoyons les vestiges trouvés durant deux jours. Tout le monde avance au ralenti, la fatigue accumulée ces deux derniers jours commence à se faire sentir. Vers midi, les adultes descendent du chantier, nous mangeons tous ensemble rapidement et démontons tentes et chapiteaux. Nous rangeons tout le matériel dans les voitures et le minibus puis prenons la route du retour. Au bout de quelques kilomètres, l'habitacle est plongé dans le ronronnement des ronflements des uns et des autres. Nous avons pris les mêmes places qu'à l'aller, sauf que contrairement au premier trajet, je suis la seule à ne pas m'endormir. Les quatre heures de route durent une éternité, et lorsque nous arrivons enfin à Bordeaux, tout le monde se sépare pour rentrer chez soi.
Une fois allongée sur mon lit, je tourne et retourne inlassablement les événements du week-end dans ma tête. Je ne sais pas quoi en penser. Peut-être qu'Icare et moi nous sommes un peu rapprochés, ou peut-être est-ce juste une impression. Quoi qu'il en soit, nous ne nous reverrons pas avant des mois, si nous nous revoyons... A cause de mon pied, je ne retournerai pas à l'association avant les vacances, donc Hippo ne pourra même pas me faire passer le range-CDs et surtout le petit mot habituel d'Icare. Sauf si Théo y va sans moi et que c'est lui qui le récupère... Je décide que si Icare fait passer quelque chose à Hippo, ce sera bon signe, mais s'il ne lui donne rien, alors il faudra que je me rende à l'évidence, rien ne se passera jamais entre lui et moi.
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Je croi(s) qu'en fait je t'aime...
RomanceAuxane et Icare se rencontrent en 1996 alors qu'ils sont encore jeunes. Rapidement, ils se tournent autour et tous les prétextes sont bons pour multiplier les contacts, jusqu'à ne plus pouvoir se passer l'un de l'autre. Mais les années passent sans...