Le premier jour des vacances de Pâques, n'y tenant plus, je décide de faire une surprise à Icare et de le rejoindre en Alsace en réservant un emplacement dans un camping non loin de son lieu de stage. Je charge ma voiture et me mets en route pour traverser la moitié de la France, à l'aube. Je n'arrive sur place que douze heures plus tard, en ayant pris une minuscule pause d'une heure. Je suis exténuée, monte ma tente presque machinalement et m'allonge sur mon sac de couchage pour lui envoyer un texto. J'ai l'impression de faire un bon dans le temps et de retourner à l'époque des chantiers où nous passions notre temps à nous chercher l'un et l'autre.
« QU'EST-CE QUE TU DIRAIS SI JE VENAIS TE FAIRE UN COUCOU EN ALSACE ? »
Sa réponse met tellement de temps à me parvenir que je sombre dans un profond sommeil jusqu'au lendemain matin. A mon réveil, je n'ai toujours pas de message. Nous sommes dimanche, et je sais que c'est le jour où il ne travaille pas. Je m'attends donc à recevoir de ses nouvelles d'une minute à l'autre.
En réalité, je n'en obtiens qu'en tout début d'après-midi, alors que je me morfonds d'ennui.
« ÇA ME FERAIT PLAISIR BIEN SÛR MAIS NON, C'EST TROP LOIN, ET PUIS JE BOSSE TOUT LE TEMPS... »
Je lui réponds immédiatement, blessée.
« C'EST QUE JE NE DOIS PAS TROP TE MANQUER ALORS. DÉSOLÉE DE T'AVOIR DÉRANGÉ. »
« EH TE VEXE PAS AUX ! ON SE RETROUVE BIENTÔT, COURAGE. »
Mon ange a disparu, remplacé par Aux. Je fais le choix de ne pas y prêter attention pour le moment, et de ne pas lui répondre, démonte ma tente et fourre tout mon bazar dans ma voiture, sans essayer de retenir les larmes qui m'inondent le visage. Moins d'une demi-heure plus tard, j'ai payé la semaine que je dois à l'accueil du camping, et je suis déjà sur le chemin du retour que j'effectue d'une traite malgré la fatigue. Je n'arrive à mon appartement qu'au milieu de la nuit, les yeux rouges et brûlants. Je ne parviens pas à m'endormir, me posant mille questions à la fois. Que se passe-t-il ? Pourquoi est-ce qu'il semble si détaché ? A-t-il rencontré quelqu'un pendant son stage ? Sort-il déjà avec elle ? Ai-je fait quelque chose de mal ?
Je passe ainsi les vacances, seule, à ressasser mes interrogations, et ce ne sont pas les deux malheureux textos que nous échangeons chaque jour qui me réconfortent. Pas une seule fois il ne m'appelle pendant son stage, et le merveilleux son de sa voix me manque terriblement. J'en viens même à réécouter plusieurs fois les messages qu'il m'avait laissés, des mois plus tôt, complètement shooté, lorsqu'il m'avouait qu'il m'aimait.
Je ne sors plus et me contente de quelques grammes de nourriture chaque jour. Je parviens à cacher mon mal être à Théo qui nage toujours en plein bonheur avec Théophane, les rares fois où je le vois. Il remarque bien évidemment que je maigris mais avale mon alibi de l'été qui arrive et mon envie de tenues légères.
Au bout de trois semaines, j'en arrive à la conclusion que ma relation avec Icare me fait plus de mal que de bien, et qu'il serait peut-être temps d'y mettre un terme. J'y pense de plus en plus, tout en sachant pertinemment que je serais parfaitement incapable de prendre cette décision radicale.
Lorsqu'il m'avertit qu'il rentre enfin, toutes ces considérations disparaissent. Je l'ai dans la peau, et il ne me tarde qu'une chose, le retrouver. Nous nous voyons le soir même de son retour. J'ai l'impression de pouvoir enfin respirer après deux mois d'apnée. Je ne sais même pas s'il remarque que j'ai perdu du poids. Mais je passe une soirée merveilleuse. Il me raconte ses journées en détail en s'extasiant devant toutes les découvertes qu'il a pu faire, photos à l'appui. Puis nous passons la nuit ensemble et je retrouve enfin ses bras réconfortants.
Nous reprenons notre petite routine, même si nos rendez-vous sont plus espacés qu'auparavant. Mon cerveau refuse de voir qu'il a changé, que son comportement avec moi est plus distant. Ses gestes tendres ne sont plus les mêmes, et l'absence de réponse à mes Je t'aime commence petit à petit à creuser un trou dans ma poitrine. Au fil des semaines, j'évite à mon tour de le lui dire pour moins souffrir de son silence, m'accrochant désespérément aux miettes restantes de notre relation. Nous nous voyons une ou deux fois chaque semaine et je m'en contente, ne posant aucune question par crainte de ses réponses, jusqu'à notre premier anniversaire.
Ce matin-là, je reçois un message de lui qui sonne faux.
« ÇA FAIT UN AN DÉJÀ, ÇA PASSE VITE... JE SUIS RAVI D'AVOIR PASSER CETTE ANNÉE AVEC TOI. J'INSISTE, T'ES SUPER. »
Je choisis l'humour pour masquer ma tristesse, car je perçois son SMS comme un adieu plus que comme une promesse d'avenir commun.
« ET TU NE MAÎTRISES TOUJOURS PAS LA CONJUGAISON FRANÇAISE... »
Nous nous retrouvons chez moi tard le soir et je lui offre un porte-clés représentant un petit diable pour marquer le coup. Malheureusement, c'est la soirée qu'il choisit pour confirmer tous mes doutes des derniers mois et il m'annonce qu'il préfère que nous en restions là, tentant de me réconforter en m'expliquant que je suis une personne parfaite pour lui et avec laquelle il pourrait passer sa vie, et que c'est justement cela qui lui fait peur. Il ajoute qu'il est jeune, et qu'il veut vivre un maximum d'expériences avant de se fixer définitivement. Il prononce ces mots avec une tendresse que je ne lui avais pas vue depuis des mois, et je suis incapable de lui en vouloir alors même que je sais que cette nouvelle va m'anéantir.
Lorsqu'il referme la porte sur lui cette nuit-là, je me plonge dans un état léthargique, tantôt le détestant d'avoir attendu le soir de notre anniversaire pour m'annoncer cette nouvelle si horrible, tantôt le trouvant merveilleux de m'avoir préservée pendant une année complète, la plus belle de toute ma vie.
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Je croi(s) qu'en fait je t'aime...
RomanceAuxane et Icare se rencontrent en 1996 alors qu'ils sont encore jeunes. Rapidement, ils se tournent autour et tous les prétextes sont bons pour multiplier les contacts, jusqu'à ne plus pouvoir se passer l'un de l'autre. Mais les années passent sans...