Chapitre 38

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Je lis et relis sa lettre plus de dix fois de suite. Mon cerveau bouillonne. Il faut que je voie Théo le plus rapidement possible pour en parler avec lui. Ça ne peut pas attendre une heure. Je descends dans le salon de mes parents et décroche le téléphone. Je suis seule, je ne serai pas dérangée.

C'est Théo qui répond.

— Aux ? Qu'est-ce qui se passe ? Quelque chose ne va pas ?

— J'ai reçu un courrier d'Icare.

— Ouh là, ça n'a pas l'air terrible vu le ton de ta voix.

— Je ne sais pas quoi en penser. Je voudrais ton avis. Je te lis sa lettre. « Salut... » et il a mis des points de suspension. « Je vois pas trop pourquoi tu penses que je te prends pour une conne ni ce qui te fait penser ça parce que déjà, si je te prenais pour une conne je ne t'écrirais pas des phrases aussi tordues et puis je pense que je ne me tracasserais même pas à écrire à une conne. Donc non, je suis très loin de te prendre pour une conne. »

— Ça commence très bien !

— Si tu le dis... Je continue. « Par contre, t'es quand même carrément pas prévisible comme fille. La dernière fois, quand j'ai fait mon allusion qui volait super bas je pensais que t'allais t'enflammer et que j'allais me faire incendier et puis rien. Et là, t'as l'air de t'être vexée pour rien. Attention, c'est pas une critique, hein, c'est même plutôt un compliment, comme ça c'est d'autant plus intéressant de t'écrire. » On dirait qu'il prend des pincettes pour m'expliquer les choses, pourquoi à ton avis ?

— Ben justement parce que tu n'es pas prévisible, parfois tu te montres susceptible, et parfois on a l'impression que rien ne t'atteint, donc il reste sur ses gardes, je pense. Par contre c'est un joli compliment.

— Mais alors pourquoi vouloir tout arrêter brusquement ? Il faut absolument qu'on trouve un moyen de continuer à correspondre. Nos échanges musicaux n'étaient peut-être qu'un prétexte, mais ils nous permettaient au moins de rester en contact. Comment est-ce qu'on pourrait faire pour continuer quand il aura déménagé à l'autre bout de la région ?

— Ça me paraît impossible, honnêtement Aux. Vous allez être loin l'un de l'autre. Vous passerez à autre chose avec le temps.

— Bon, on en reparlera, je continue. «Je voudrais aussi m'expliquer pour ce que j'ai dit à Théobald qu'il t'aura forcément raconté j'en suis sûr. Bon, je tiens quand même à te préciser que ce jour-là je n'étais pas très clair. C'était notre dernier jour de cours donc on s'était un peu mis la tête. » Tu crois que ça veut dire quoi ? Qu'ils sont allés en cours en ayant bu ? Ou bien qu'ils ont fumé ? Je ne l'ai jamais vu avec une cigarette à la bouche.

— Ils ont sûrement bu et fumé, oui, ça me paraît clair. Et à mon avis, il ne s'agit pas de cigarette...

— C'est nul.

— Quoi ?

— De faire ça. Je vois pas l'intérêt, même pour un dernier jour. Je ne le croyais pas comme ça. Mais passons. Je te lis la suite. « En fait je voulais savoir ce que Théobald pensait de moi mais je n'allais pas directement lui demander (ça se fait pas trop). Alors pour le faire réagir, je lui ai demandé pourquoi il ne m'aimait pas, tu comprends, j'allais tout de même pas dire "ouais, Théo tu m'adores, hein, dis des trucs cools sur moi à ta copine stp !". »

— Ça c'est trop mignon franchement !

— Tu plaisantes ? C'est tordu oui !

— Mais non, au fond, il voulait juste s'assurer que je l'apprécie pour être sûr que je ne te mette pas dans la tête des trucs négatifs sur lui !

— Mouais... Je termine. « J'avoue que c'était un stratagème bien foireux. Surtout qu'Archi nous a coupé. Bref, oublie tout ça s'il te plaît. Je te souhaite de bonnes vacances. »

— Ça se finit là ?

— Non, il y a un post scriptum. « P.S. : aujourd'hui j'avais vraiment pas envie de me prendre la tête sur les conjugaisons alors j'ai fait un peu au pif. »

— Il en a fait beaucoup, des fautes ?

— Quelques-unes, sur les verbes comme d'habitude. Tu en penses quoi de ce courrier ?

— Je trouve que ça ne fait pas adieux définitifs comme la dernière fois, et il ne te dit que des choses gentilles. C'est bon signe.

— Bon signe pour quoi Théo ? On ne se verra plus je te rappelle !

— Tu pourrais peut-être lui répondre ?

— Non, franchement, j'en ai pas envie.

— Madame Têtue, le retour ! Donc quoi ? Tout s'arrête là ?

— Oui.

— Il a fait l'effort de t'écrire, peut-être que lui aussi est déçu que vos échanges ne continuent pas, et en t'envoyant ce courrier, il fait un pas vers toi.

— Et alors quoi ? On va s'écrire pendant dix ans jusqu'à ce qu'il revienne à Bordeaux, s'il y revient un jour ? Qui te dit que j'y serai toujours moi, en plus ?

— Alors il y a une autre solution Aux. Que toi tu ailles à Pau.

Je marque un blanc.

— Aux ?

— Oui, oui, je suis toujours là. Ça ne va pas, non ? Je ne vais pas aller à Pau !

— Je ne te dis pas d'y aller demain. Mais peut-être que tu pourrais envisager de faire tes études là-bas, toi aussi, après le bac.

— C'est dans deux ans, Théo. D'ici là...

Je préfère ne pas finir ma phrase.

— On en reparle, Aux, ma mère va rentrer, j'ai pas envie qu'elle entende notre conversation. Je te dis à demain !

— Ça marche, merci d'être là, Théo, et à demain.

Nous raccrochons.

Se pourrait-il que j'aille moi aussi à Pau ? Suis-je assez dingue pour faire ça ? J'ai toujours voulu faire des études d'histoire, et il y a tout ce qu'il faut à Bordeaux pour ça. Quelle filière pourrais-je choisir qui se trouverait à Pau et non à Bordeaux pour convaincre mes parents ? Peut-être que je devrais aller voir le conseiller d'orientation du lycée, l'air de rien, pour prendre des renseignements ?

Non, il faut que j'arrête les frais, le départ d'Icare me permettra de penser et passer à autre chose, de reprendre ma vie là où je l'avais laissée, il y a trois ans.

Je croi(s) qu'en fait je t'aime...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant