Plus de deux heures après y être entrés, nous sortons du magasin de téléphones équipés, mais un peu perdus quant au fonctionnement de nos appareils. Nous profitons d'être en centre ville pour aller acheter nos places pour Aqmé, puis Théo rentre avec moi à mon appartement pour finir de l'aménager à mon goût en accrochant des posters et en ajoutant quelques petites touches de décoration. Même si j'aurais préféré que l'odeur d'Icare imprègne les murs indéfiniment, nous nous lançons ensuite dans un véritable nettoyage de printemps, du sol au plafond. Nous y passons la journée et finissons par nous endormir l'un contre l'autre, devant la télé, en fin de soirée.
Nous passons le week-end ensemble entre son studio et le mien et convenons qu'il reste chez moi lundi et mercredi pour être là lorsqu'Icare viendra, afin d'éviter des blancs qui provoqueraient des malaises dans la conversation. Mais la journée de lundi se termine sans que nous ne le voyions. Et, contre toute attente, celle de mercredi aussi. Je vais au lit tôt ce soir-là car je suis déçue, mais je garde l'espoir de le voir le lendemain soir au concert.
Théo ayant étudié en amont le trajet à emprunter jusqu'à la salle de concert, nous connaissons le numéro des lignes de bus à prendre. Malheureusement, lorsque nous arrivons à l'arrêt de bus près de chez moi, un message d'alerte est affiché : grève des transports urbains à durée indéterminée.
Nous décidons immédiatement de nous rendre tout de même au concert, à pied, et nous félicitons d'être partis très en avance. Nous marchons au pas de course et arrivons à la salle dans les temps, la première partie ayant tout juste terminé. Lorsque nous pénétrons dans la fosse, nous apercevons sur le champ Icare : il se trouve devant la scène, face à nous, et malgré le peu de lumière ambiante, je vois à son sourire qu'il nous a reconnus. Nous nous dirigeons vers lui. Il me fait la bise, me demande comment je vais puis serre la main de Théo. Il désigne ensuite la personne à ses côtés, un garçon aussi grand que lui, cheveux châtains jusqu'aux omoplates, piercing bridge et boucles d'oreilles tout le long des lobes.
— Je vous présente Eustache, mon coloc.
Et, se tournant vers lui, il nous présente :
— Auxane et Théobald.
— Je me doutais, mec !
Il se penche pour me faire la bise à son tour et salue Théo. Je ne peux m'empêcher de penser qu'étant donné la réaction d'Eustache, Icare lui aura forcément parlé de nous, et je me demande ce qu'il a bien pu lui raconter. Icare poursuit :
— Vous avez failli arriver à la bourre !
— Il y a grève de bus, répond Théo. On a dû venir à pied.
— Oui, nous aussi, mais on avait été prévenus qu'il y aurait grève, vous n'en aviez pas entendu parler ?
— Ben non, on vit dans notre petit monde fabuleux nous, tu sais !
— On pourra faire une partie du trajet retour ensemble si vous voulez, puisqu'on ira dans la même direction que vous, au début.
— Ça marche !
Puis Icare ajoute, se tournant vers moi :
— Je suis passé à ton appart hier soir. Mais tu n'étais pas là, tout était éteint.
Tout se bouscule dans ma tête. Je pensais bêtement qu'il viendrait dans la journée et non pas en soirée. Mais il a repris les cours, lui, la journée il est à la faculté, il était donc évident qu'il passerait le soir. Je n'avais pas réfléchi. Heureusement que j'ai eu la bonne idée de me coucher tôt, sinon j'aurais été obligée de lui ouvrir habillée de mon affreux pyjama molletonné spécial soirée télé en solo ! Je lui mens :
— J'étais chez Théo, j'avais complètement oublié que tu devais passer, excuse-moi.
— Pas de souci, je viendrai une autre fois.
Le peu de lumière qu'il y avait s'éteint, signe de l'arrivée imminente du groupe. Le public se met à crier et se resserre en forme compacte devant la scène. Théo m'entraîne vers l'arrière par le bras avant que nous ne soyons happés. Il sait que les mouvements de foule m'effraient et que je n'aime pas être noyée au milieu du monde. En reculant seulement d'une dizaine de mètres, l'espace est plus aéré, ce qui me convient beaucoup mieux. Icare et son colocataire nous rejoignent quelques secondes après. Il hurle quasiment pour que je l'entende.
— Un problème ?
Je lui réponds en criant moi aussi pour que ma voix lui parvienne malgré le bruit.
— J'ai l'impression d'étouffer quand il y a trop de monde. Et puis vu ma taille, je n'y vois rien en étant collée aux autres.
— Ah OK !
Il se tait une seconde, et me regarde bizarrement, visiblement en proie à une interrogation intérieure.
— T'as qu'à grimper sur mes épaules.
Il me sourit, tout fier de lui. Je tourne mon index sur ma tempe en lui rendant son sourire.
— Ça va pas non !!
Le groupe monte sur scène à ce moment-là, mettant fin à notre échange. Dès les premiers riffs de guitare, l'hystérie s'empare du public qui commence à pogoter. Le chanteur se jette sur la foule pour slamer après seulement deux titres, et est rejoint par de nombreux spectateurs déchaînés.
A plusieurs reprises, je sens le regard d'Icare sur moi. Et lorsque je finis par tourner la tête vers lui, il détourne la sienne rapidement. Il se penche tout à coup vers moi et colle quasiment sa bouche à mon oreille pour que je l'entende dans le brouhaha ambiant.
— T'aimes ?
— J'adore, c'est la deuxième fois que je les vois.
Il me sourit à nouveau. Il recommence à se pencher puis se ravise, comme s'il hésitait.
— T'es chez toi lundi soir ?
Je suis incapable de retenir mes lèvres de s'élargir.
— Oui.
— Je pourrais passer te voir ?
— Bien sûr.
— Cool.
Et il replonge ses yeux en direction de la scène. J'ai subitement très chaud, et je sais que ce n'est pas à cause de la température élevée de la salle.
Après deux rappels, le concert se termine dans la liesse générale. Lorsque nous sortons de la salle, nos oreilles bourdonnent, nous avons tous les quatre la voix cassée d'avoir crié pour nous entendre parler par-dessus la musique très forte. Nous rentrons à pied ensemble sur environ deux kilomètres puis nous nous séparons après des recommandations touchantes d'Icare sur notre sécurité.
Je ne pense qu'à une chose, être déjà à lundi.
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Je croi(s) qu'en fait je t'aime...
RomanceAuxane et Icare se rencontrent en 1996 alors qu'ils sont encore jeunes. Rapidement, ils se tournent autour et tous les prétextes sont bons pour multiplier les contacts, jusqu'à ne plus pouvoir se passer l'un de l'autre. Mais les années passent sans...