62. Il n'y a pas d'amour heureux

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   Même s'il ne les ferme pas complètement, Icare croise les volets pour éviter que la lumière crue ne me mette mal à l'aise. Il se montre tellement attentionné que même la clarté du jour qui filtre largement ne me gêne pas. Nous découvrons réellement nos corps pour la première fois et alors que j'aurais pensé être totalement pudique, nue à ses côtés, et perturbée par la situation, il n'en est rien. Nous finissons par déplier le canapé pour que cela soit plus confortable et, amoureux comme jamais, nous concrétisons nos sentiments de la plus belle manière qui soit. Cette deuxième fois est encore plus magique que la première. Icare est doux, sans cesse à mon écoute et a toujours le mot qu'il faut pour me faire fondre. Après notre étreinte, il se lève pour disposer la couette sur le lit pour ne pas que nous ayons froid et se glisse dessous avec moi. Nous nous endormons dans les bras l'un de l'autre et je suis réveillée par ses caresses qui nous emmènent immanquablement à finir l'un dans l'autre. Nous passons ainsi l'après-midi, puis il rentre chez lui pour aider Eustache à ranger leur appartement et pour profiter encore un peu de ses amis qui séjournent sur place jusqu'à la fin des vacances.

Nous nous voyons comme cela tous les soirs chez moi jusqu'à la reprise des cours. Mais il arrive très tard, rarement avant minuit, et ne reste pas dormir. Il rentre chez lui pour retrouver ses amis systématiquement et j'en viens à me demander s'il leur a ne serait-ce que parlé de moi. Le dimanche juste avant la rentrée, en milieu d'après-midi, il m'envoie un message.

> Tu peux passer me prendre chez moi y a personne ?

> Maintenant ?

> Oui si tu peux mon ange, je voudrais me coucher tôt ce soir.

> OK j'arrive.

> T'es parfaite, je t'aime.

J'ai vaguement l'impression d'accourir dès qu'il me siffle mais malgré toutes les questions qui me trottent dans la tête, je suis incapable de lui résister. Et même si je ne réponds pas à son Je t'aime, je file directement le chercher, lui évitant ainsi un trajet sous la pluie glaciale de ce début d'année. Nous passons une très bonne soirée, et contre toute attente, il reste finalement dormir, n'ayant cours qu'à dix heures le lendemain matin.

Il me semble enfin le retrouver mais mon bonheur est de courte durée car dans la journée suivante, il me prévient que nous ne nous verrons pas pendant plusieurs jours.

> Je suis trop dégoûté, j'avais oublié, je dois rendre un exposé pour jeudi et j'ai pas commencé. Donc je suis désolé mais je peux pas venir, ni ce soir, ni demain, ni peut-être mercredi. Mais je penserai à toi, je t'aime...

> Ben moi je penserai pas à toi, tu le mérites pas, na !

> T'as raison mon ange, tant pis pour moi...

Depuis plus de deux mois que nous sommes ensemble, je cale entièrement ma vie sur la sienne, attendant qu'il donne signe de vie pour que l'on se voie. Je ne fais plus rien d'autre, je vois beaucoup moins Théo, et m'organise pour effectuer tout mon travail de recherches en journée pour garder toutes mes soirées de libres en prévision d'un éventuel passage d'Icare. Je n'ai même pas cherché à sympathiser avec qui que ce soit à la fac juste pour me consacrer uniquement à lui. Ce que je suis devenue me fait presque pitié, je suis comme toutes ces pauvres filles qui ne vivent plus qu'à travers le garçon qu'elles aiment, alors que je les ai toujours critiquées. Mais je l'ai dans la peau depuis tellement d'années que je pourrais tout lui pardonner. Et lorsque nous nous retrouvons le jeudi soir, une fois de plus, toutes ces considérations s'envolent dès que je peux me blottir dans ses bras et que je l'entends me chuchoter « Je t'aime ».

Trois mois s'écoulent ainsi, entre interrogations et bonheur de le retrouver. Nous passons la nuit ensemble chez moi à chaque fois qu'il vient me voir, n'allant chez lui qu'exceptionnellement, à la seule condition qu'Eustache soit absent. Nous ne nous retrouvons que tard le soir et nous séparons la plupart du temps avant le petit-déjeuner, mais j'en prends mon parti. Si c'est tout ce qu'il peut m'offrir, je m'en contente. Nos sorties publiques se font uniquement pour des concerts sur Toulouse ou Bayonne, et jamais il ne me propose de participer à ses soirées avec ses amis.

Je réalise brutalement que cette situation me rend malheureuse lorsque, alors que nous sommes noyés dans le public d'un festival de la région, il m'abandonne quelques minutes pour s'approcher de la scène saluer des connaissances qu'il a aperçues de loin, sans m'inviter à le suivre. Alors qu'il me demande de ne pas bouger pour pouvoir me retrouver facilement, je me déplace et finis par fondre en larmes, à l'abri des regards, en m'écartant de la marée humaine, restant isolée plus d'une heure avant que mon portable ne vibre pour la réception d'un message d'Icare me cherchant. Lui inventant alors une histoire improbable sur ma rencontre avec une ancienne camarade, je lui cache mon désarroi grandissant.

Et comme pour m'achever, il m'annonce quelques jours plus tard qu'il va partir à l'autre bout de la France, en Alsace, avec d'autres étudiants pour un stage de deux mois auprès d'un groupe de chercheurs qui étudient une zone considérée comme la concentration d'événements géologiques de plusieurs millénaires. Il m'explique qu'il ne rentrera pas durant toute la période de ce stage, et que nous ne nous verrons donc pas, mais que c'est une opportunité qu'il ne peut pas manquer.

Le jour de son départ, au moment de nous quitter, alors que j'ai le moral au fond des chaussettes, je ne peux m'empêcher de le trouver moins abattu que moi et de me demander si cet éloignement l'affecte ou pas.

Et le soir anniversaire de nos six mois de relation commune, seule puisqu'Icare se trouve en Alsace, je décide de louer le film Huit femmes, comme pour effectuer un retour en arrière et exorciser mes pensées négatives. Mais mon attention est malheureusement portée sur la dernière phrase du film, à laquelle je n'avais absolument pas pris garde la première fois, « Il n'y a pas d'amour heureux ».

Je croi(s) qu'en fait je t'aime...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant