51. Une vie à rattraper

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A dix-neuf heures, je reçois un message d'Icare. Avant de l'ouvrir, je prie intérieurement pour qu'il ne soit pas en train d'annuler sa venue, théoriquement prévue pour vingt-deux heures.

> Ça t'embête si je viens dans une heure plutôt ? Comme ça on aura plus de temps à nous...

Comme à l'époque de nos petits mots, il a utilisé les points de suspension. Je suis immédiatement soulagée, et voir le pronom nous employé pour parler de lui et moi me fait littéralement fondre.

> Quand tu veux, je suis rentrée, je n'ai finalement pas trouvé de prince charmant.

> Tu devras te contenter de moi...

> Ça me va, à tout de suite !

Comme les fois précédentes, il arrive directement devant ma porte, sans sonner, en s'ouvrant le portail avec la clé de secours. L'air frais de la matinée s'est transformé en un crachin désagréable, Icare est tout humide lorsqu'il entre après que je l'y ai invité. Il me prend directement dans ses bras, presque désespérément, et nous nous embrassons longuement, au milieu de ma petite cuisine. J'ai l'impression de ne jamais avoir été embrassée ainsi. J'en oublierais presque de respirer, la danse de nos langues mêlées étant juste parfaite. Lorsqu'il desserre son étreinte, il me regarde avec un léger sourire, comme s'il cherchait à se convaincre que la scène était bien réelle.

— J'ai l'impression d'être dans un rêve, Aux. Je réalise pas.

Je lui souris mais ne réponds rien. Il me suit dans la pièce à vivre en posant négligemment son manteau mouillé sur un tabouret, et me rejoint sur le canapé-lit, que j'ai pris soin de replier pour qu'on soit mieux installés.

— Pourquoi tu m'as pas appelée, je serais venue te chercher plutôt que tu sois trempé.

— J'aime bien me déplacer en skate, et puis t'habites pas si loin que ça de chez moi ! Je pensais que ça mouillait pas autant cette merde !

— Je te ramènerai en voiture.

— On verra. T'as envie de faire un truc en particulier ? Je m'aperçois qu'en fait je connais pas tes goûts. Tu fais quoi généralement le soir ?

— Ça dépend, si je suis toute seule, télé, musique, lecture, un peu de boulot aussi, et si je suis avec Théo, on peut passer la nuit entière juste à discuter.

— Oh c'est vrai tiens, comment va-t-il ? Tu lui as dit pour nous ?

— Il va super bien, et il est au courant oui, j'étais chez lui ce matin.

— Vous êtes toujours fourrés ensemble en fait !

— Oui !

— Et vous sortez jamais ?

— Ça dépend ce que t'entends par sortir. Si c'est sortir en boîte, non, jamais, on supporte pas la musique qui y passe, et on déteste danser. Le seul autre intérêt, c'est se saouler, et je ne bois pas...

— Vu comme ça effectivement... Cela dit j'ai dû y mettre les pieds cinq fois dans ma vie pour des occasions spéciales, et j'ai pas franchement été emballé non plus. Mais il n'y a pas qu'en boîte qu'on peut sortir.

— Il nous arrive d'aller au ciné, à des concerts, au resto, et à des soirées avec ses voisins. Mais je t'avoue que c'est pas trop mon truc les soirées beuveries où le seul but est d'être bourré le premier. Et toi, comment t'occupes tes soirées ?

— Beaucoup de boulot en fait la semaine, et le week-end c'est principalement soirées entre potes. Mais je t'avoue qu'effectivement si t'es pas pété tu t'amuses pas vraiment.

Je lui fais une moue de désapprobation et préfère ne pas m'attarder sur le mot pété et sur ce qu'il sous-entend. Il poursuit.

— Et là c'est samedi, première soirée avec ma petite Aux, c'est mieux que n'importe quoi d'autre !

Il passe sa main autour de ma taille, m'attire à lui et enfouit sa tête dans le creux de mon épaule pour se blottir contre moi en continuant de parler.

— On fait ce que tu veux, j'ai juste envie qu'on soit ensemble à profiter de ce moment. T'as des cassettes de clips de métal ?

— Que tu n'aies pas vu, pas beaucoup, parce que l'émission s'est arrêtée il y a un moment. Mais j'ai pas mal de concerts, ou même des films si tu veux. Tout est dans le meuble sous la télé.

Icare se détache de moi, m'embrasse rapidement et se lève, pour partir à la recherche d'une cassette.

— J'ai des DVDs maintenant aussi, j'ai investi ! Ils sont sur mon bureau juste derrière si tu veux regarder.

Il revient avec une cassette documentaire sur la vie de Kurt Cobain. Je me moque de lui.

— J'ai pas prévu les mouchoirs pour ce soir, tu pourras te retenir de pleurer ?!

— Tu te souviens de ça ?

— Bien sûr. Je ne saurais pas te dire dans quel petit mot précisément tu l'avais écrit, mais je m'en souviens. Ça m'avait surprise que tu te confies comme ça, t'avais l'air vachement vulnérable en fait.

— Et tu t'étais bien foutu de ma gueule en me faisant passer un mouchoir !

— C'était pas méchant.

— Je sais bien, ça m'avait fait rire d'ailleurs. Et je pense même que j'ai gardé ton mouchoir...

— Fétichiste ?

— Un peu oui. On met la vidéo, que tu puisses te caler dans mes bras ?!

Je lui souris en secouant la tête, place la cassette dans le magnétoscope et lui lance la télécommande. Il se place en plein milieu du canapé et ouvre grand ses bras pour que je m'installe contre lui. Alors que je m'assois en remontant mes genoux sur le côté, il place sa main sous mon menton pour me forcer à tourner la tête, et m'embrasse de la plus merveilleuse des manières, en terminant par un baiser rapide sur le bout de mon nez, avec un sourire irrésistible.

Nous visionnons la cassette d'une traite, même si je sens régulièrement le regard d'Icare posé sur moi. Nous nous sourions béatement à de multiples reprises, sans parler, puis, une fois que c'est terminé, nous optons pour de la musique en sourdine, Radiohead pour commencer. Comme la lumière tamisée de mon appartement nous y invite, nous passons le reste de la soirée allongés sur mon canapé, serrés l'un contre l'autre, à nous embrasser et à discuter de tout et de rien, comme pour rattraper une vie d'anecdotes et d'informations l'un sur l'autre. Les heures avançant, je me sens de plus en plus fatiguée et lutte pour ne pas m'endormir car je veux profiter au maximum de sa présence avec moi. Même si nous ne sommes plus des adolescents, je trouve inconvenant de lui proposer de passer la nuit avec moi, ne serait-ce que pour dormir, pour notre première soirée officiellement ensemble. Il semble en proie aux mêmes considérations lorsqu'il sort son portable pour regarder l'heure.

— Putain cinq heures et quart ! On a passé la nuit à discuter Aux, tu dois être crevée, j'ai pas vu le temps passer !

— Moi non plus, j'imaginais pas qu'il était si tard ! Ou si tôt...

— J'y vais, et on se voit demain, ça marche ?

— Sans problème.

— Sans problème ou avec plaisir ?! Parce que c'est pas la même chose !

Il me sourit, les yeux à moitié fermés par la fatigue. Je le rassure.

— Avec plaisir, Icare. Mais je vais te déposer chez toi, t'es nase toi aussi et il pleut.

— Non, tu bouges pas, tu te couches et tu te reposes, je t'envoie un texto demain.

Il m'embrasse une dernière fois et disparaît dans la nuit. Un quart d'heure plus tard, mon portable sonne.

> Je suis rentré. Bonne fin de nuit petit ange.

Je croi(s) qu'en fait je t'aime...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant