14. Haut-le-cœur nocturne

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Lorsque nous sommes de retour dans le dortoir, je me déchausse et vais directement me mettre sur mon lit. Guillaume et moi nous sommes absentés moins d'une demi-heure et pourtant, certains sont déjà dans un sale état. Ils parlent tous très fort, certains sont à moitié dénudés et le cercle initial est désormais une forme géométrique non identifiée. Théo me hèle pour me proposer à nouveau de me joindre à eux. Je secoue la tête et attrape son baladeur, posé par-dessus son sac ouvert, au pied de notre lit. J'ai besoin d'écouter de la musique pour m'évader. Je préfère être dans ma bulle pour réfléchir à ce qui vient de se passer. Mais je n'ai pas non plus envie de faire bande à part en m'isolant hors du dortoir. Je jette un coup d'œil discret en direction de Guillaume. Lui aussi s'est installé sur son lit, les bras derrière la tête et les chevilles croisées, le regard perdu au plafond, il semble songeur. Personne ne fait attention à lui et je me demande même si ses amis ont remarqué son retour, tant ils sont absorbés dans leur jeu stupide. Ai-je bien fait de refuser ? Après tout, il est très sympa, et il est vraiment à tomber. Qu'est-ce qui ne va pas chez moi ? Pourquoi ne pas avoir accepté sa demande ? Notre histoire n'aurait peut-être duré que quelques semaines, ou même juste le temps du week-end, et alors ? Pourquoi ne pas en profiter ? Il doit y avoir plus désagréable que de passer du temps dans ses bras, tout de même ! Je retourne tout ça dans ma tête des dizaines de fois, parvenant à faire totalement abstraction du bruit et de l'agitation autour de moi grâce à Deftones et à la voix de Chino Moreno qui emplit mes oreilles.

J'ouvre brusquement les yeux. La chambre est plongée dans le noir. Il n'y a plus aucun bruit, sauf celui des ronflements de certains de mes voisins de chambrée. Je suis toujours sur mon lit, habillée, avec un plaid posé sur moi. Je me suis endormie et Théo a dû me couvrir pour ne pas que j'aie froid. Il a aussi dû retirer les écouteurs de mes oreilles, le baladeur est posé sur la petite table de nuit à côté de mon lit. Je m'appuie sur mes coudes pour observer les lits autour de moi grâce à la lumière du couloir qui filtre sous la porte. L'air de la chambre est moite et irrespirable. J'ai la tête qui tourne, il faut que je sorte. Je prends mes chaussures à la main pour ne pas faire de bruit et quitte la chambre aussi discrètement que possible. Je n'ai aucune idée de l'heure qu'il est mais il fait toujours nuit noire lorsque j'arrive sur la terrasse.

La fraicheur nocturne me saisit. Au moment où je m'appuie à la balustrade, au bord de la nausée, une voix derrière moi me fait sursauter.

— Ça va pas ?

Guillaume est là, assis sur le banc de bois adossé au mur du gîte, un pied posé sur l'assise et le genou ramené à lui. Je pose mes deux mains sur mon cœur en expirant l'air contenu dans mes poumons, soulagée de reconnaître le propriétaire de cette voix.

— Tu m'as fait peur !

— Excuse-moi, je pensais que tu m'avais vu.

— Non, à vrai dire je ne m'attendais pas à trouver qui que ce soit encore debout en pleine nuit.

— Ben si, moi. Tu n'as pas répondu à ma question, ça va pas ?

— Si, si, j'avais juste besoin d'air frais, ça sent le fauve là-haut. Et toi, qu'est-ce que tu fais là ?

— Pareil.

— Tu as une idée de l'heure qu'il est ?

Il remonte la manche de son pull et regarde sa montre. Je remarque seulement à cet instant qu'il est lui aussi toujours habillé.

— Presque quatre heures.

— Merci. Tu n'as pas dormi ?

— Non.

Il ne semble pas franchement ouvert à la discussion. Ses réponses sont laconiques et sèches. Est-ce parce que j'ai refusé de sortir avec lui ? Est-ce que je l'ai vexé ? Peut-être est-ce qu'il ne voudra plus me parler après ça ? Je tente d'éclaircir la situation.

— J'ai comme l'impression qu'il y a un malaise, là. Tu veux que je te laisse seul ?

— Non, non, ça va. Ce qui s'est passé tout à l'heure me prend la tête. C'est tout.

— Je peux faire quelque chose ?

Il sourit légèrement.

A priori non, tu as été très claire !

— Je suis désolée.

— Je sais !

— Je vais remonter et te laisser tranquille.

— Tu peux rester, ça me gêne pas, au contraire.

Je sens mes joues changer de couleur. Il faut que je rentre. A cette heure-ci de la nuit, ma volonté risque de me faire défaut. Je ne voudrais pas finir par accepter ce que j'ai refusé tout à l'heure. Car au fond, ce qui me perturbe le plus, ce n'est pas l'idée qu'une relation à distance puisse fonctionner ou non, le nœud du problème, c'est Icare. Si j'acceptais de sortir avec un de ses meilleurs amis, ça voudrait dire annuler toute possibilité qu'il se passe quelque chose un jour entre lui et moi. Et même s'il n'existe qu'une infime chance que cela se produise, je ne veux pas la compromettre.

— C'est gentil mais en fait je suis vraiment crevée. J'étais juste descendue respirer un peu. Il faut que je dorme, la journée de demain va être longue. Il reste encore beaucoup de travail.

— C'est sûr. Bonne nuit alors, fais de beaux rêves.

Il essaie clairement de clore la conversation au plus vite.

— Merci. Essaie de te reposer un peu quand même. Tu ne tiendras pas jusqu'à dimanche sinon.

— Oui, oui, je m'en grille une dernière et je monte aussi, t'inquiète pas.

— OK. A demain alors.

— A tout à l'heure plutôt !

Je lui rends son sourire en ouvrant la porte pour rentrer.

Je croi(s) qu'en fait je t'aime...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant