13. Qui va à la chasse...

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Nous découvrons le gîte une petite heure plus tard. Tous les jeunes montent directement au dortoir. Il s'agit d'une pièce rectangulaire entièrement blanche : le carrelage, les murs, les montants des menuiseries, tout est immaculé. Théo et moi choisissons rapidement un des lits superposés, près d'une fenêtre. Comme à notre habitude, il s'installera sur le lit du haut, et moi sur celui du bas. Chacun part à la douche une fois les sacs défaits, et enfile une tenue confortable pour aborder la soirée. Le repas se passe au rez-de-chaussée, dans le calme, car le trajet et la journée de travaux ont lessivé tout le monde. Lorsque nous remontons tous les cinq dans le dortoir, les six jeunes de l'autre association nous suivent.

Les bouteilles d'alcool sortent de leurs cachettes les unes à la suite des autres dès que la porte est verrouillée, et je suis déçue de constater que tout le monde dans le dortoir a l'intention de boire. Un petit blond de l'autre groupe sort un jeu dont le seul but est de se saouler ; l'unique variation sera que certains finiront saouls plus vite que d'autres. L'excitation est palpable. Tout le monde fait de la place au centre de la pièce et s'assoie en cercle autour du stupide plateau de jeu. Alors que je n'ai pas bougé de mon lit, Théo est déjà avec eux et me fait signe en tapotant l'espace resté libre à côté de lui. Je secoue la tête en faisant la moue, alors il m'interpelle :

— Tu vas pas rester toute seule dans ton coin !

— Je suis pas toute seule, je suis avec vous, j'ai juste pas envie de jouer à votre jeu à la con.

Guillaume est le seul à avoir suivi notre échange. Il se lève brusquement du cercle et s'approche de moi.

— Ça te dit d'aller prendre l'air ? Je vais descendre fumer.

— Pourquoi pas, oui, j'arrive.

Au moment où il ferme la porte derrière moi, j'entends Théo dire « Je commence ! ». Je ne comprendrais jamais qu'il aime se rabaisser à ça.

Lorsque nous sortons sur la terrasse du gîte, un courant d'air frais me fait frissonner.

— T'as froid ? Tu veux ma veste ?

— Non, ça va merci, j'ai juste été surprise par la différence de température.

Il allume sa cigarette et commence à descendre les quelques marches qui rejoignent l'allée. Je le suis. C'est la pleine lune, et même si rien n'est éclairé, nous y voyons quasiment comme en plein jour. Nous nous dirigeons vers le terrain de football qui jouxte l'allée et marchons silencieusement pendant un tour complet. On entend simplement le bruit que fait Guillaume en aspirant et recrachant la fumée de sa cigarette. Il s'arrête brusquement. Je l'imite. Il se tourne vers moi et rompt tout à coup le silence :

— Tu voudrais sortir avec moi ?

Je suis tellement surprise par sa question que j'en ai presque le souffle coupé. Je suis complètement déstabilisée. Pourquoi me pose-t-il cette question, et pourquoi maintenant ? Est-ce parce que j'ai accepté sa proposition de le suivre dehors qu'il a cru qu'il m'intéressait ? Est-ce qu'il m'intéresse d'ailleurs ? Il est à tomber et son petit sourire ravageur doit faire tourner bien des têtes. Je suis véritablement flattée qu'il me fasse cette demande. Mais est-ce que je peux décemment accepter ? C'est un des meilleurs amis d'Icare et ça me perturbe. Soit Icare n'est absolument pas intéressé par moi, et il a donné son feu vert à Guillaume, soit Guillaume n'en a pas parlé à Icare. Les questions fusent et je réalise que je ne lui ai toujours pas répondu quand il me demande avec un rire nerveux :

— Tu m'as entendu ?

— Oui, excuse-moi.

Il tire une taffe supplémentaire et souffle la fumée par-dessus nos têtes. Mon attention est de manière tout à fait inexplicable centrée sur meschaussures neuves que j'étrenne : la rosée contenue dans la pelouse risque d'enabîmer le bout et d'y laisser des traces en séchant. L'humidité va égalementcertainement décolorer la partie en daim que je n'ai pas encore traitée auspray imperméabilisant. Mon cerveau fait clairement un blocage tellement laquestion de Guillaume est surprenante, c'est comme s'il tentait par tous lesmoyens de détourner mon attention.

— Ça va, ça va, t'inquiète pas, j'ai compris.

— Je suis désolée.

Je suis sincère et je suis tout à fait consciente que Guillaume ne doit pas avoir l'habitude d'être rejeté par une fille. Aussi, je ressens le besoin de me justifier :

— C'est juste que tu as dit cet après-midi que ça n'était pas terrible d'avoir une copine sur Bordeaux puisque tu es à Bayonne les trois quarts du temps. Et je ne me verrais pas moi non plus dans une relation à distance. Je suis désolée.

Il me pousse de l'épaule et me sourit.

— Tu l'as déjà dit !

— Oui, excuse-moi.

Nous recommençons à marcher quelques pas en silence. Il semble perdu dans ses pensées mais me demande finalement :

— Et si j'étais sur Bordeaux ?

Je réfléchis et opte pour la facilité.

— Ben, ce n'est pas le cas de toute façon...

— C'est sûr...

Il jette son mégot en recrachant sa dernière bouffée et ajoute, l'air gêné :

— Tu peux oublier les cinq dernières minutes s'il te plaît ? J'ai pas envie que tout le monde se foute de ma gueule.

— Il n'y a aucune raison que qui que ce soit se moque de toi. Je n'ai absolument pas l'intention d'en parler.

— OK... Sans rancune ?

— Sans rancune !

Nous nous sourions et il m'embrassesur la joue alors que nous remontons sur les marches qui mènent à la terrasse.

Je croi(s) qu'en fait je t'aime...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant