7. Des retrouvailles au goût amer

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Quatre jours plus tard, Théobald et moi sommes assis côte à côte dans le bus qui nous dépose devant la salle de concert. Contre toute attente, ses parents ont cédé facilement et ont fini par convaincre les miens. J'ai du mal à contenir mon excitation, mélange d'appréhension à l'idée de revoir Icare, et de joie de voir jouer en live un groupe que j'adore.

— Nous allons voir Nada Surf pour la première fois !

— Qui tu crois tromper au juste ? Je suis certain que tu es contente de les voir, mais avoue qu'il y a quelqu'un d'autre que tu espères voir encore plus...

— Encore plus peut-être pas, mais c'est vrai que s'il est là, je ne serais pas contre le fait de l'épier discrètement.

Nous passons la zone de contrôle des billets et celle de la fouille des sacs puis nous nous dirigeons vers les escaliers qui mènent à la salle. Les basses raisonnent à travers les murs pourtant épais et les vibrations qu'elles produisent en moi m'apaisent. Cette sensation me provoque un bien-être immédiat, comme à chaque fois. Et quand nous entrons enfin dans la salle plongée dans l'obscurité, le premier groupe qui joue déjà m'embarque littéralement. Il y a foule et je réalise immédiatement que même si Icare est présent ce soir, il n'y a aucune possibilité que nous lui tombions dessus.

Théo et moi nous faufilons jusqu'au mur à gauche de la fosse, légèrement en arrière. Je n'y vois absolument rien étant donné mon petit mètre cinquante, mais Théo scrute la foule à la recherche d'une tête connue qui dépasserait.

— Je ne le vois pas. Mais a priori, il n'a rien à faire à un tel concert. Nous avons interprété sa dernière phrase comme ça nous arrangeait. Si ça se trouve, c'était, comme il l'a écrit, une simple « indication ».

— C'est possible oui.

Quatre ou cinq titres plus tard, la première partie s'arrête et les roadies commencent leurs incessants allers-retours entre les coulisses et la scène, les bras chargés de matériel. La salle se rallume et les personnes présentes profitent du changement de plateau pour sortir boire, fumer ou tout simplement prendre l'air. Ceux qui restent dans la salle s'assoient à même le sol pour se soulager le dos. Si Icare est présent, ce sera le seul moment possible pour nous de le repérer. Théo et moi, à l'affût toujours debout, le remarquons finalement très rapidement. Il est dos à nous, à quelques mètres seulement, avec ses amis habituels, devant la scène. Ils sont assis en cercle et une fille se trouve à sa droite, entre Guillaume et lui. Je ne peux en détacher mon regard. Il faut que je sache à tout prix avec lequel des deux elle est venue.

Alors que je la fixe sans discrétion, Archibald nous aperçoit, se lève et crie :

— Ah ! Ma chérie ! T'es venue !

Il vient dans notre direction en ouvrant les bras démesurément et le petit groupe se retourne vers nous. Théo et moi ne bougeons pas et attendons qu'il arrive à notre hauteur. Archibald lui serre la main et me demande sur un ton enfantin :

— J'ai droit à mon bisou ?

Je lui fais donc la bise et il passe son bras à mon coude sans me laisser le temps de protester, m'entraînant vers leur petit cercle. Théo nous emboîte le pas.

— Vous n'allez pas rester tout seuls dans votre coin, venez avec nous !

Théo parle pour moi :

— Non, non, on ne va pas vous déranger, on vient juste saluer tout le monde.

Quand nous rejoignons le groupe, chacun se relève et celle dont je n'arrivais pas à détacher mon regard quelques instants plus tôt tend la main à Icare pour qu'il l'aide à se lever. J'ai donc ma réponse. Mon estomac se retourne malgré moi et un goût de bile envahit ma bouche. Je suis terriblement déçue. Mais après tout, à quoi je m'attendais ? Icare est très sympa et il a un charme fou. J'aurais dû me douter qu'il n'était pas libre.

Je suis Théo comme un petit chien, dans un état second. Il commence par saluer Hippolyte qui dit à Archibald :

— Lâche-la un peu, fous-lui la paix !

A ma grande surprise, il s'exécute sans protester. Une fois que nous avons fait le tour de leur petit groupe, Théo leur souhaite une bonne soirée en notre nom à tous les deux, voyant que je suis incapable de parler, et nous retournons à notre place.

— J'ai supposé que t'aurais pas forcément envie de rester avec eux, du coup ?

— T'as bien supposé. Je suis dégoûtée...

— Il n'y a pas de quoi. Si ça se trouve, ils ne sont même pas ensemble. Ils ne se tenaient pas la main, je te signale, et il ne l'a même pas présentée.

— Ça, ça ne veut rien dire. Il faut que je sache !

— Attends. Je vais regarder.

Théo me déplace légèrement en mettant ses mains sur mes épaules, de sorte que je me retrouve face à lui, et dos au petit groupe. On pourrait croire qu'il parle avec moi en me regardant, alors qu'en réalité ses yeux sont posés quelques mètres plus loin. Malheureusement, au bout de quelques minutes seulement, la salle est à nouveau plongée dans le noir, Nada Surf monte sur scène et la fosse se lève et se déchaîne. Théo hausse les épaules et je comprends que ce n'est pas pendant le show que nous pourrons être fixés. Ni lui ni moi ne distinguons plus ni Icare, ni sa voisine...

Deux heures plus tard, alors que la salle commence à se vider, je cherche désespérément du regard Icare et ses amis. Sans succès. J'aimerais me poster à la sortie de la salle pour voir s'il sort avec sa main dans celle de sa voisine, mais Théo me ramène à la réalité, en tapotant son index sur sa montre.

— Le bus de nuit sera là dans moins de cinq minutes. Le prochain ne passera qu'une heure trente après. Si tu ne veux pas le rater, c'est maintenant ou jamais. Et tu sais que si on ne respecte pas les horaires qu'on a donnés à nos parents, la prochaine fois ils ne nous laisseront pas sortir en semaine.

— OK, OK, on y va...

Je le suis à contrecœur et nous restons silencieux durant tout le trajet retour.

Je croi(s) qu'en fait je t'aime...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant