25. Cruelle évidence

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L'été passe rapidement mais j'attends impatiemment la rentrée pour reprendre les séances du samedi à l'association, retrouver Hippo et surtout enfin avoir la réponse d'Icare. Mon enthousiasme est stoppé net dès la première séance : Hippo ne se montre pas.

En interrogeant sa sœur, Cléophée, j'apprends qu'il ne reviendra pas cette année. Il ne participera qu'aux week-ends de sorties, au mieux. Je tombe des nues. Cette éventualité ne m'avait même pas effleuré l'esprit. Sans Hippo comme messager, je n'ai plus aucune possibilité de rester en contact avec Icare. Je dois me rendre à l'évidence, notre relation, qui n'en était d'ailleurs pas une, s'arrêtera là.

Des mois passent avant qu'ait lieu le premier week-end de chantier. Nous sommes au cœur du mois de janvier et la sortie est prévue pour deux jours dans le Lot. La mission sera d'aménager des marches sur un sentier qui mène à une grotte qui devrait ouvrir à la visite à la prochaine saison touristique. Je ne peux m'empêcher d'espérer que le chiffre cinq inscrit en face du nom de Cléophée sur le tableau au siège de l'association comprenne Icare.

Et, le matin du départ, je ne peux contrôler mon sourire lorsque j'aperçois une tête brune qui dépasse largement celles des autres : Icare est là, entouré des inséparables Guillaume, Célian et Hippo. Théo me donne un coup de coude et nous n'avons pas besoin d'échanger un regard pour que je sache qu'il est content pour moi.

Malheureusement, mon enthousiasme est de courte durée. Durant tout le séjour, Icare ne s'adresse à moi que pour des banalités, il reste uniquement avec ses trois copains et aucun rapprochement, ne serait-ce qu'infime, n'a lieu. J'en viens même à me demander pourquoi il est venu, puisqu'il ne participe au chantier que de façon distraite. Il répond même à peine à Théo lorsque celui-ci tente une approche. Nous dormons tous dans le même dortoir mais le soir venu, Guillaume et Icare s'éclipsent pour ne revenir que tard dans la nuit. Toute la journée du lendemain, ils discutent tous les deux uniquement et ne se mêlent quasiment pas au reste du groupe. Je prends la réalité, abrupte et cruelle, en pleine face : tout ce que je croyais entrevoir entre lui et moi n'était que le fruit de mon imagination. Et lorsque pour le trajet retour, dans le minibus, il s'installe dans la cabine, à l'avant, avec Guillaume, je comprends clairement le message qu'il m'envoie.

Pendant plusieurs semaines, je lutte pour réussir à admettre qu'il faut que je passe à autre chose. La situation est ridicule, il ne s'est jamais rien passé entre nous et j'en suis réduite à essayer d'oublier ce qui aurait pu se produire. Et un événement marque le coup d'arrêt : comme pour me maintenir la tête sous l'eau, un samedi du mois de mars, Cléophée me donne un petit sac en plastique. Je l'interroge du regard et elle m'explique que c'est Icare qui l'a fait passer à son frère pour moi. Lorsque j'ouvre le sac, j'y vois toutes les cassettes vidéo de clips qu'Icare avait encore en sa possession et qui m'appartiennent. Pas de range-CDs. Donc pas de petit mot. Je suis terriblement déçue, et le mot est faible. Mais ce sentiment ne dure que quelques secondes, et, très vite, je suis carrément furieuse. Quoi ? Et c'est tout ? Plus rien ? Sans explication ?

Dès que nous arrivons dans la chambre de Théo après la séance, je me jette sur son bloc notes pour rédiger un mot que je ferai passer à Cléophée la semaine prochaine. Il faut que je comprenne.

Même si Théo trouve ça trop sec, j'opte pour un direct « C'est quoi ce malaise ? » glissé dans la première pochette de mon tout nouveau range-CDs garni des derniers albums d'Icare que j'avais encore en ma possession.

Sa réponse ne met qu'une semaine à me parvenir.

« Tu voies, en fait en y réfléchissant, je pense que c'est ça, il y a un espèce de malaise qui s'installe à chaque fois que l'on se retrouvent tous les deux ou avec Théobald, ou avec Guillaume, ou alors on se fait peur mutuellement, en tous les cas, c'est vraiment stupide tout de même qu'on ne puisse pas se parler, surtout que je pense que vous devez être assez loin d'avoir des mentalités de merde. Enfin, saches juste que je ne t'en veut absolument pas. »

Pas de bonjour, une faute à chaque verbe ou presque, une écriture à la va-vite sur un papier déchiré à la règle et non plus soigneusement découpé comme à son habitude. Mon range-CDs retourné vide. Manifestement, il ne souhaite plus poursuivre nos échanges. Pourtant, plus je relis sa réponse, plus je m'accroche à sa dernière phrase : il ne m'en veut pas. Mais pour quoi m'en voudrait-il en réalité ? Qu'ai-je fait ? Ou que n'ai-je pas fait ? Et puis, des mentalités de merde ? Non mais c'est quoi, ce délire ? Je décide de ne pas répondre. Nous ne communiquerons plus. Il ne se passera jamais rien entre nous. L'histoire s'arrête là.

Cela fait des mois qu'un garçon de ma classe, Elzéard, fait tout ce qu'il peut pour attirer mon attention et en est presque venu à me supplier de sortir avec lui. Il est mignon et vraiment sympa, après tout, pourquoi lutter ? Je décide que ce sera mon remède anti-Icare.

L'histoire dure jusqu'aux vacances d'été et même si tout se passe très bien entre nous, j'y mets un terme car je ne ressens rien pour lui et ne trouve pas ça correct de continuer de la sorte alors que visiblement lui s'attache de plus en plus.

L'année scolaire se termine sans que je n'obtienne de nouvelles d'Icare. A plusieurs reprises, Théo et moi passons devant sa maison pour juste tenter de l'apercevoir et feindre la surprise si nous avions pu le croiser et essayer d'obtenir quelques explications. En vain.

Un nouvel été passe, et l'heure de la rentrée arrive. Pour la première fois de notre scolarité, Théo et moi serons séparés car nous n'avons pas pris les mêmes options en seconde. Même si nous serons dans le même lycée, nous ne serons pas dans la même classe. Je ne vais pas facilement vers les gens que je ne connais pas, et Théo et moi avons toujours été dans la même classe, de sorte que je n'ai jamais eu besoin de me faire de nouveaux amis. Cette nouvelle situation m'angoisse terriblement.

Nous pénétrons ensemble dans la cour immense et nous dirigeons vers les tableaux d'affichage des classes. C'est mon nom que nous trouvons en premier. Je serai en seconde deux. Après une rapide lecture de la liste de prénoms et de noms de famille de mes futurs camarades, Théo et moi arrêtons nos yeux en même temps sur un même nom. Dudez. Adréane Dudez.

— Tu crois que c'est quelqu'un de la même famille qu'Icare ?

— Il y a des chances, Aux. Ce n'est pas un nom de famille très répandu.

Je ne sais que penser de cette surprise. Mais Théo ne me laisse pas le temps de m'interroger.

— On cherche ma classe ?

— Oui, oui bien sûr.

Nous mettons un certains temps à trouver son nom. Il sera en seconde dix. Sans y faire attention, nous retournons petit à petit devant la liste de ma classe et scrutons les visages. Et c'est là que tout se met en place dans nos têtes. Elle est là. Devant nous. A rire avec une amie. La fille du concert de Nada Surf. Celle qu'Icare ne nous avait pas présentée. Celle que j'avais prise pour sa copine. Celle à cause de qui je ne suis pas allée au repas de l'association il y a presque deux ans. L'inconnue n'était autre que... sa sœur, c'est évident ! Et plus je la regarde, plus je me demande comment nous ne l'avons pas compris tout de suite en la voyant la première fois. Elle lui ressemble comme deux gouttes d'eau. Elle a les mêmes traits fins, le même teint clair et surtout des yeux bleu électrique. Des yeux qui ne me renvoient qu'une image, celle d'Icare.

Je croi(s) qu'en fait je t'aime...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant