Le lendemain correspond au premier jeudi où je n'échangerai rien avec Icare. Il pleut. Le lycée est mort sans les terminales ni tous les élèves qui ne viennent déjà plus en cours. Tout me donne le cafard.
L'idée de Théo a fait son chemin dans ma tête une bonne partie de la nuit.
— J'ai réfléchi, ce serait complètement insensé d'aller à Pau.
— Je suis d'accord, mais votre histoire pourrait être tellement belle...
— Il ne s'est rien passé en trois ans, qu'est-ce qui te fait croire que quoi que ce soit pourrait se passer là-bas ?
— Vous seriez loin d'ici, dans une ville inconnue, tous les deux, loin de vos repères habituels, vous n'attendez que ça, ça crève les yeux. Il y en a bien un de vous deux qui finirait par se jeter à l'eau !
— Ou pas... Et puis imaginons que j'y aille. De toute façon, je n'y arriverai au mieux que deux ans après lui, il se sera fait plein de nouveaux potes, et il sera certainement passé à autre chose. C'est vaste, Pau ! On ne serait même pas dans la même fac, on n'aurait pas de moyen de rentrer en contact.
— Il suffirait de provoquer un peu les choses.
Je lui lance un regard plein de malice.
— Pour ça, faudrait que tu viennes aussi mon Théo !
— C'était une évidence ! Je ne te laisse pas partir toute seule loin de moi, Aux !
Nous nous sourions.
— Alors... Il faut voir... A réfléchir ! Ça nous laisse deux ans pour convaincre nos parents. Il va falloir bétonner notre truc. On commence par aller voir le conseiller d'orientation ?
— Ça marche, il doit pas être débordé en ce moment, il n'y a personne au lycée.
Moins d'une heure plus tard, nous sortons de son bureau entièrement convaincus. L'université de Pau comporte une section géographie-aménagement avec des taux de réussite aux examens supérieurs à ceux de Bordeaux, l'endroit rêvé pour Théo qui souhaite exercer un métier en lien avec l'environnement. Et l'argument d'une meilleure qualité d'enseignement devrait faire mouche auprès de ses parents. Pour moi, il y a la filière histoire de l'art-archéologie que je pourrais suivre dès la première année alors qu'il faudrait que j'attende la troisième à Bordeaux, après deux ans d'enseignement d'histoire générale. Et, cerise sur le gâteau, nous avons vu sur le plan du campus que nous a montré le conseiller d'orientation que le département de géosciences où se trouvera Icare était situé sur le même lieu. Je suis toute excitée.
— On s'emballe un peu, là, non, quand même ? Tout ça, ça ne sera pas avant deux ans...
— C'est vrai. Il faudrait qu'on trouve le moyen que vous continuiez à communiquer d'ici là.
— Oui, mais je ne vois vraiment pas comment.
Le mois de juin passe rapidement. Nous apprenons dans le journal qu'Icare, Hippo, Archibald et Célian obtiennent leur bac, avec la mention « Bien » pour Icare.
Chaque jour ou presque des vacances, Théo et moi faisons mine de nous balader à pied et passons systématiquement devant la maison des parents d'Icare, mais sans jamais l'apercevoir. Un jour du mois d'août, nous tombons sur Hippo qui sort de chez lui. Nous apprenons alors qu'Icare ne vit déjà plus ici : ayant trouvé un petit appartement à Pau dès le mois de juillet, il a choisi de déménager et prendre un peu d'indépendance. Il travaille comme saisonnier dans une base de loisirs qui reçoit des enfants pour la durée des vacances et enchaînera directement avec sa rentrée universitaire. Hippo nous explique qu'avec Célian et Guillaume, ils le rejoignent chaque week-end pour aller faire la fête tous ensemble, et qu'à chaque fois, Icare lui demande de nos nouvelles, et lui dit de nous envoyer le bonjour, ce qu'il fait donc.
Je tente d'obtenir des informations.
— Comment vous allez faire pour vous voir, une fois que vous aurez tous repris chacun de votre côté ?
— C'est sûr qu'on n'ira plus à Pau le week-end. Mais il restera les vacances. Par contre, ça n'a rien à voir, mais si j'avais su que j'allais vous voir, j'aurais pris les trucs qu'il m'avait demandé de te faire passer. Il y a tout un tas de CDs.
Mon visage s'illumine. Icare a donné quelque chose à Hippo pour moi ? Je cherche depuis des semaines le moyen de ne pas rompre le contact, et c'est Icare lui-même qui me l'offre sur un plateau ! Je ne veux pas perdre de temps.
— On peut se voir ce soir si tu veux. Chaque mercredi soir, on se rend aux terrains de beach-volley aménagés sur les quais pour l'été, avec Théo. Joins-toi à nous, on rigole bien, on a rencontré plein de gens super.
— Ah ben ce soir je devais voir ma copine... Je peux l'amener ?
— Bien sûr, c'est public, tu verras, il y a du monde ! Comme ça on fera sa connaissance.
— Tu la connais déjà, Aux, elle est dans ta classe, c'est Adréane, la sœur d'Icare.
Je manque m'étrangler avec ma propre salive mais reprends vite le dessus.
— Ah, je ne savais pas.
— C'est très récent. Ça date de ce week-end, en fait. On l'avait amenée avec nous à Pau, et quand on est sortis, une chose en amenant une autre, on a re-craqué... Voilà, quoi !
Il sourit et se passe la main dans les cheveux, visiblement gêné.
— Re-craqué ?
— Oui, on était déjà sortis ensemble il y a quelques années. Pas longtemps, trois semaines. Disons qu'on a fait une rechute !
— Je te souhaite que ça marche, en tout cas.
— Mouais... Je sais pas...
— T'as l'air vachement convaincu !
— Je pense que c'est une connerie, on se connaît depuis trop longtemps, c'est presque comme ma petite sœur à moi aussi.
— Dans ce cas, c'est sûr, c'est pas très sain.
— C'est ce que je me dis. Mais je me prends pas la tête, c'est les vacances, et je déteste être célibataire pour les vacances d'été !
— Alors profite ! l'encourage Théo.
Le soir même, Hippo arrive seul et nous explique que la sœur d'Icare et lui ont finalement rompu dans l'après-midi, ni l'un ni l'autre n'étant réellement prêt à s'engager dans cette relation plutôt ambiguë. Il me fait passer une quinzaine d'albums assemblés avec un raphia soigneusement attaché. Je me retiens pour ne pas tout arracher sur le champ et ouvrir un à un les boîtiers des CDs à la recherche d'un éventuel petit mot. Je fourre le tout dans mon sac à dos, feignant l'indifférence, et nous disputons quelques matches avec des inconnus.
Dès qu'Hippo nous annonce qu'il rentre chez lui, Théo et moi nous asseyons dans le sable un peu à l'écart des terrains et ouvrons chacun des CDs, le petit mot se trouve dans le dernier, comme un fait exprès.
« Salut ! Je trouvais ça con qu'on ne puisse plus communiquer du jour au lendemain juste parce que je pars à la fac. Je verrai Hippo à toutes les vacances, alors on pourrait s'échanger des albums ou des cassettes à ce moment-là si ça te dit toujours.
Je te passe entre autres le premier de Coal Chamber qui est un véritable monument, et un live de Rammstein pour que tu jettes une oreille, même si tu m'avais dit pendant le trajet de je ne sais plus quel week-end que tu n'aimais pas ce groupe.
Comme je sais pas quand Hippo te fera passer tout ça, au cas où, je te souhaite une bonne rentrée. »
Je suis ravie de reprendre nos échanges là où on les avait arrêtés. Même s'ils seront moins fréquents que précédemment, ils auront au moins le mérite d'exister. Notre lien, si infime soit-il, ne sera pas rompu.
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Je croi(s) qu'en fait je t'aime...
RomanceAuxane et Icare se rencontrent en 1996 alors qu'ils sont encore jeunes. Rapidement, ils se tournent autour et tous les prétextes sont bons pour multiplier les contacts, jusqu'à ne plus pouvoir se passer l'un de l'autre. Mais les années passent sans...