28. Fin de malaise

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Tous les jours qui suivent, je croise Icare à un moment ou à un autre de la journée, et quand nous nous faisons la bise, je ne peux m'empêcher de savourer ce court contact.

Il me surprend à chaque fois, arrivant derrière moi pour me saluer, sans que je l'aie vu venir, à tel point que j'en viens à me demander s'il ne passe pas ses intercours ou sa pause méridienne à me chercher du regard, comme moi je peux le faire en douce sans succès. Nous n'échangeons qu'un simple « Salut ! », nous ne nous parlons même pas, mais j'attends ce moment chaque jour avec impatience.

Le jeudi, jour du cours d'allemand où je suis certaine de le voir, j'apporte dans mon sac un CD et trois cassettes vidéo pour les lui donner, sans petit mot, comme nous en avons convenu avec Théo. J'ai remarqué la semaine dernière qu'il n'était pas accompagné de ses acolytes habituels pour le cours d'allemand, ce qui nous évitera les railleries peu discrètes d'Archibald. Dès qu'il sort de la salle, Icare tourne la tête vers notre rang, et, comme nous sommes peu nombreux, il me voit immédiatement et me sourit en se dirigeant vers moi. Après notre bise désormais quotidienne et une poignée de mains à Théo, je lui demande rapidement :

— Tu as deux minutes ?

— Euh ouais, j'ai cours juste au bout du couloir maintenant, et comme le reste de ma classe était en anglais de l'autre côté du bâtiment pendant que j'étais en allemand, ils arrivent toujours en retard, donc je peux bien prendre deux minutes pour toi.

Je rougis, comme à chaque fois qu'il s'adresse directement à moi de la sorte. Je poursuis en optant pour le ton taquin.

— J'ai pensé que ça serait bien de te faire découvrir un nouveau groupe maintenant que tu écoutes enfin de la bonne musique ! Je t'ai apporté un CD de Korn, et en prime les trois seuls clips de Deftones que j'aie.

Tout en parlant, j'ouvre mon sac et lui tends une petite pochette qui contient l'album et les cassettes. Il l'ouvre, regarde rapidement l'album fermé puis fourre le tout dans son sac à dos.

— Franchement merci c'est trop cool, il me tarde déjà ce soir pour les visionner ! Et Korn j'en ai entendu parler, c'est des potes à Deftones, c'est ça ?

— Oui, c'est pas exactement la même musique, mais moi j'aime beaucoup.

— Alors je devrais aimer aussi.

Le rouge n'a pas quitté mes joues, mais je sais pertinemment que si ça avait été le cas, il serait revenu instantanément. Il replace son sac sur son dos, commence à s'éloigner puis se retourne pour me faire un petit geste de la main. Théo et moi entrons en cours et je sais déjà que je vais avoir du mal à me concentrer.

Le jeudi suivant, comme s'il était certain de me voir, Icare sort de la salle de cours d'allemand avec ma pochette à la main. Il se dirige immédiatement vers nous et nous dit bonjour.

— Merci Aux, je te rends tout, je file par contre, parce que finalement la semaine dernière je suis arrivé après les autres et j'aime pas être à la bourre. Bonne journée à tous les deux !

Et il s'éloigne sans que j'aie le temps de lui répondre. Dès que nous entrons dans la salle, j'enlève rapidement et en cachette, penchée sur mon sac ouvert en grand posé par terre, chaque cassette de son emballage en carton pour voir s'il n'aurait pas glissé un petit mot à l'intérieur. Rien dans les trois cassettes. J'ouvre l'album de Korn, et là, un papier plié en quatre soigneusement découpé attend juste d'être lu. Je suis aux anges. Mais je n'ai pas le temps de le lire, le professeur débute son cours et la dernière chose dont j'ai envie, c'est qu'il me le confisque et en fasse des confettis comme il a pu le faire la semaine passée avec une photo que se faisaient passer deux camarades. Notre journée sera terminée dans une heure, je peux bien attendre jusque-là.

Dès que la sonnerie retentit, je glisse le mot dans la poche arrière de mon jean, range toutes mes affaires en même temps que Théo et nous sortons les premiers. Nous n'avons même pas atteint les grilles de sortie que j'ai déjà lu son mot trois fois, un sourire plaqué aux lèvres.

« Tout d'abord, bonjour ! (ça faisait longtemps) Ensuite, il faut que je revienne sur cette histoire de "malaise". Je crois que j'aurais mieux fait de fermer ma gueule. En fait, je m'étais fais larguer comme une pauvre merde par une salope à laquelle je m'étais un petit peu attaché (3 jours tout de même!) et j'avais beau me forcer et faire comme si de rien n'était, j'avais du mal à me mettre dans l'ambiance du week-end dans le Lot, donc j'ai rejeté la faute sur tout le monde. Mais c'est sûr que tu pouvais pas deviner. Et enfin, je tiens à te dire merci d'être restée sympa avec moi même si j'ai fait le connard, rien ne risque d'être gâché par ta présence et j'espère que tu pourras oublié tout ça. »

Théo feint d'être choqué :

— Quelle vulgarité ! C'est quoi tous ces gros mots ?!

— On s'en fout des gros mots, des fautes sur les verbes, de tout, même ! L'important, c'est que nos échanges vont pouvoir reprendre et que « rien ne peut être gâché par ma présence » !!

Je suis à la limite de l'hystérie mais reprends le mot des mains de Théo pour commenter, et me calme spontanément :

— Il a eu une copine.

— Oui, et ?

— Rien, ça me fait chier.

— Toi aussi tu as eu Elzéard, je te rappelle.

— Sauf que moi, ça ne compte pas, je ne m'étais pas du tout attachée comme il le dit. Et puis, il précise trois jours tout de même, c'est pas minable, ça ?

— Quoi ? De s'attacher au bout de trois jours ou le trois jours tout de même ?

— Le tout de même. Ça fait un peu, c'est mon record trois jours avec une fille, non ?

— Un peu, oui, je suis d'accord. Mais ce qui craint encore plus, c'est de se faire larguer au bout de trois jours, non ?!

— Oui, aussi, c'est vrai. Mais je suis trop contente, nos échanges vont reprendre, c'est déjà un bon début. Ce serait génial qu'il revienne aux week-ends de l'asso aussi.

— Attends Aux, pour ça, il faudrait déjà que Cléo amène son frère, et que lui le propose à Icare et ses autres potes...

— Ben je vois pas où est le problème, il l'a fait l'an dernier !

— Oui, remarque, tu as raison. Bon, et en attendant la prochaine sortie de la Toussaint, tu vas répondre à son petit mot ou pas ?

— Bien sûr ! Dès qu'on arrive chez moi on s'y colle mon Théo !

Il lève les yeux au ciel en signe de fausse exaspération et ajoute en soupirant :

— Et allez, c'est reparti...

Je croi(s) qu'en fait je t'aime...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant