47. Yeux rouges et idées noires

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(Votre histoire a été soumise pour les Watty Awards 2019! Bonne chance!)

Au moment où je franchis la sortie du cinéma, j'aperçois le bus que je dois prendre dans son arrêt, à une centaine de mètres. Je cours comme une dératée jusqu'à lui et m'y engouffre avant que les portes ne se referment, sans me retourner. Je ne sais pas ce que je crains le plus, voir Icare me courir après à la recherche d'une explication, ou justement me rendre compte qu'il ne m'a pas suivie. Le bus est désert, alors je ne retiens pas les larmes qui commencent à me brouiller la vision. Je me recroqueville sur mon siège et ne jette pas un regard en direction du cinéma lorsque le bus redémarre. Je sors mon téléphone de ma poche. Je l'avais éteint en entrant dans la salle de cinéma et j'hésite à le rallumer.

Lorsque je me décide enfin à le faire, il vibre instantanément une première fois, puis une deuxième, et même une troisième fois. Trois messages. Tous d'Icare. Reçus chacun à quelques secondes d'intervalle. Je remonte mes genoux contre ma poitrine, essuie mes yeux et appuie sur le bouton de lecture d'une main tremblante.

> Je sais pas quoi dire.

> Je croyais qu'en vieux plan qui put bien la merde j'étais le meilleur...

> En plus t'as éteins, ton tel, super...

Je ré-éteins mon téléphone et enfouis mon visage dans mes bras croisés sur mes genoux. Dès que le bus arrive à proximité de mon appartement, je descends et me dirige tout droit vers chez Théo, bien qu'il soit près de minuit. Une lueur éclaire encore sa fenêtre, je sonne. Il me répond par l'interphone.

— Oui ?

— C'est moi. Je sais qu'il est un peu tard mais j'ai vraiment besoin de te voir.

— Je t'ouvre.

Je pousse la lourde porte cochère dès que j'entends le bruit de l'ouverture à distance et grimpe quatre à quatre les marches de l'escalier pour mènent au palier de Théo. La porte est entrouverte et j'entre directement. Il m'attend, en caleçon, son tee-shirt à la main.

— Je suis désolée, Théo, je te dérange ?

— Pas du tout, je partais au lit. Qu'est-ce qui se passe ?

Il ferme la porte derrière moi et nous nous installons sur son lit, assis en tailleur.

— J'ai passé la soirée avec Icare au ciné.

Son visage s'éclaire.

— Waouh ! Petite cachottière, raconte !

— J'ai tout fait foirer, je suis minable.

Je cache mon visage dans mes mains. Théo se penche et me les retire, son sourire a disparu.

— Eh ! Te cache pas, explique-moi. Qu'est-ce que t'as fait ?

— Il a posé sa main sur la mienne, et alors que je n'attendais que ça, je l'ai retirée et me suis enfuie du ciné.

— Hein ? Mais pourquoi ?

— J'en sais rien, c'est ça le pire ! J'ai paniqué, je sais pas ! Du coup il m'a envoyé trois textos, et je n'y ai pas répondu, je ne sais pas quoi faire.

Je lui tends mon portable qu'il allume en tapant mon code, quatre-deux-deux-sept, les touches correspondant à I-C-A-R. Il lit les messages et me rend mon téléphone, l'air sceptique.

— Il sait forcément que tu as fini par lire ses messages, puisqu'il a dû recevoir les accusés de réception. Tu devrais lui envoyer quelque chose.

— A part lui dire que je suis désolée, je ne vois pas.

— Eh ben c'est très bien ça, c'est sincère, ça sera déjà un bon début.

Je m'exécute.

> Je suis désolée, je ne sais pas ce qui m'a pris, excuse-moi.

Mais mon téléphone reste désespérément muet.

Je reste finalement dormir avec Théo, et nous sommes réveillés à sept heures par le bip de réception d'un message sur mon portable.

> Je pense qu'il va falloir qu'on parle.

Sa phrase sévère me glace le sang. Je me demande quelles explications je vais bien pouvoir lui fournir. Je lui réponds immédiatement.

> Je crois que j'ai paniqué, vraiment je suis désolée.

> On va pas passer 92 SMS à tenter de s'expliquer, j'ai plein de trucs à faire, je t'appelle ce soir.

Visiblement, il est vexé, son ton est très sec. Je redoute déjà son appel.

— Ça craint, il a l'air vraiment fâché.

— Mets-toi à sa place, Aux, il ne s'attendait certainement pas à une fin de soirée comme celle-là. Quand il t'appelle ce soir, sois sincère, dis-lui juste que t'as paniqué et tout rentrera dans l'ordre.

— Il a l'air de m'en vouloir beaucoup, je suis pas convaincue.

— Mais si.

— Ça te gêne si on reste ensemble aujourd'hui, je préférerais t'avoir à côté de moi quand il appellera ?

— Pas du tout. On va aller se balader pour te faire penser à autre chose, allez, prépare-toi !

Il me jette mes habits au visage, et je lui obéis.

Nous passons la journée et le début de la soirée tous les deux, jusqu'à ce que je reçoive un nouveau texto d'Icare.

> Puis-je caressais l'espoir d'envisager un éventuel passage très furtif chez toi ce soir ?

Mon cœur bondit, j'embrasse Théo et pars chez moi au pas de course après avoir affirmé à Icare qu'il était le bienvenu. Je me brosse les dents, retouche ma coiffure, vérifie dix fois ma tenue et l'attends. J'en viens même à vérifier qu'il a bien eu ma réponse et l'accusé de réception me le confirme.

Il arrive plus de deux heures après devant ma porte, sans avoir sonné, une fois n'est pas coutume. Ses yeux, injectés de sang, sont assortis à la couleur rouge de son piercing. Un sourire béat flotte sur ses lèvres, il est complètement défoncé. Mon stress s'envole instantanément, laissant place à une profonde déception. Il s'est certainement mis dans cet état pour se donner du courage, mais le voir ainsi m'énerve, et me dégoûte carrément.

Je ne l'invite pas à entrer et lui pose immédiatement la question qui me brûle les lèvres, sans prendre la peine de le saluer.

— Tu voulais pas parler ?

— Ben si... pourquoi ?!

— Parce que visiblement tu n'es pas en état.

Je ne cherche volontairement pas à cacher mon ton de reproche. Il me sourit bêtement.

— C'est pas faux. C'est ça qui te gêne en fait ?

— Pardon ?

— C'est pour ça que tu m'a mis un vent hier ?

Je saute sur l'occasion qu'il m'offre et lui mens.

— Je me suis demandé si t'étais sobre, effectivement, ou si c'était la fumette et l'alcool qui guidaient tes gestes.

— Je peux pas te le reprocher ! Je vais te laisser, alors, et on en reparle quand je suis à jeun.

Il se penche, m'embrasse sur la joue, et tourne les talons sans attendre ma réponse. Je reste plusieurs minutes plantée devant ma porte, les bras ballants, à me demander si la scène à laquelle je viens d'assister était réelle ou le fruit de mon imagination. Il me trouve imprévisible, mais je ne sais que penser de son comportement.

Je croi(s) qu'en fait je t'aime...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant