Coeur serré

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J'ai envie de dormir ne serait-ce que pour ne pas réfléchir mais c'est un cercle vicieux. Plus je pense au fait qu'il faut que je dorme et moins j'ai sommeil. Il est 1h17, j'ai les yeux grands ouverts. Samia dort comme un bébé, imperturbable. C'est donc mon angoisse qui me fait la conversation. Je retourne dans tous les sens le sujet de l'hystérique, mais je n'arrive à rien de bon. Tard la nuit, entre stress et panique, on a rarement des pensées positives ni même de bonnes idées comme par exemple envoyer un message à Nabil à 3h27. Je n'ai pas réussi à me retenir. Je ne peux pas ne pas lui en parler ou du moins lui dire qu'il y a un souci, il est quand même le principal intéressé. Du coup, j'ai écrit, effacé, réécrit au moins dix fois mon message pour finir par lui envoyer: « Tu dois dormir. Je trouve pas le sommeil. J'aimerais te voir demain avant que tu partes. T'inquiète pas, tout va bien. Je t'embrasse fort mon amoureux ». J'ai regretté lui avoir envoyé directement après. Mais aussi égoïste que ça puisse être, ça me soulage un peu. Comme si je lui donnais un peu de ma part de bagage à porter. Trop lourd pour moi, trop stressant. J'ai envie qu'il me dise que tout va bien aller, qu'il me rassure et que toute cette histoire se termine.

Je n'arrive pas à dormir pour autant. Deux appels en inconnus réveillent Samia qui me demande qui c'est, un œil à moitié ouvert. « Je sais pas, ça fait quelques jours que ça c'était calmé » dis-je en chuchotant. Elle se redresse: « Comment ça quelques jours? Tu m'as rien dit. Pourquoi tu décroches pas?».

- Je décrochais au début mais on écoutait ma voix et ne parlait pas donc depuis je décroche plus, répondis-je.

- Si ça rappelle je décroche, si c'est quelqu'un qui te connait, il ou elle verra bien que c'est pas ta voix et raccrochera direct. Rendors toi.

- Et si c'était l'autre...dis-je tout bas.

- Il peut pas avoir ton numéro, t'inquiète pas, dors tranquille.

Elle me serre fort la main et ferme les yeux tout en m'ordonnant d'en faire autant. J'avais presque pris l'habitude de ces appels en pleine nuit. Ce n'est pas toutes les nuits non plus mais bon unf ou deux fois par semaine depuis quelques semaines. J'ai pensé à l'hystérique mais il n'y a aucun moyen qu'elle ait mon numéro. C'est plutôt l'idée que ce soit l'autre qui me travaille l'esprit. Mais pour l'instant, j'ai déjà les méninges encombrées par autre chose. Un problème à la fois.
Je m'enfonce sous la couette. La présence de Samia me réconforte, je ferme les yeux et tant bien que mal, Morphée m'emporte.

5h08. Je me réveille en sueur. J'ai fait un cauchemar. L'autre entrait dans ma chambre pour me tirer de mon lit. Je m'accrochais à la main de Samia qui criait mais l'évidente force de l'autre par rapport à ma cousine m'arrache d'elle et m'entraîne en dehors de chez moi. Je me suis réveillée à ce moment là, comme si mon subconscient ne voulait pas connaître la suite. Je suis effrayée, tout me fait peur d'un coup dans la pénombre de ma chambre. Je me colle un peu à Samia. Heureusement qu'elle est là. J'entends le camion des éboueurs dehors et c'est peut-être stupide mais ça me calme. Je me dis qu'il y a du monde dehors et que je peux ne plus avoir peur. Mes paupières se ferment sur cette pensée que je veux rassurante.

Samia et moi nous réveillons plus ou moins en même temps vers 10h30. Elle a reçu un texto de son futur amoureux qui est finalement de repos aujourd'hui et lui propose de se voir. Je l'y encourage. Quand à moi, Nabil a répondu à mon message, on peut se voir à 15h mais sans tarder, son train étant en fin d'après-midi. J'ai envie de partir avec lui mais je n'oserai pas le lui dire. Je n'ai aucune motivation pour aller au travail demain. Ni les autres jours d'ailleurs. Je me sens vide et seule. Rien ne me donne envie si ce n'est fuir mes craintes en m'en allant avec lui. Samia me sens lasse et perdue dans mes pensées. Elle m'interpelle alors que je range mes affaires: « Ness tu vas pas te rendre malade. La vie est belle. Et s'il faut moi j'y vais à son institut de beauté et je lui dis cash d'arrêter ses conneries. Je comprends pas pourquoi il dit pas à son pote Mouss de régler ça, discrètement et rapidement ».

- Je t'ai déjà dit, ça le gêne, dis-je doucement comme pour ne pas exploser en sanglots.

- On s'en fout! Ness écoute moi. Parles en à Nabil. Il doit être au courant, c'est quand même le principal concerné. Il pense que cette histoire est terminée mais au final non donc dis le lui et là gêne ou pas, il aura pas le choix que de passer par son pote.

Les mots de Samia sonnent comme une musique d'ascenseur: je les entends sans vraiment les écouter. Je suis complètement déconnectée. Moi qui était partie pour tout dire à Nabil avant son départ, je ne sais pas pourquoi mais je sens que ça risque de mal tourner. J'ai peur que ça ne crée des problèmes. Samia me dit qu'elle est disponible s'il y a quoi que ce soit et m'encourage à en parler avec Nabil. Elle part et tout d'un coup je me retrouve seule dans ma chambre comme dans un gouffre dont seule l'hystérique connaît l'issue. Je prends sur moi pour ne pas répondre à l'appel de mon lit et de la déprime. C'est tellement plus simple d'y céder. Mais je ne veux pas subir et me tourmenter la tête seule dans mon coin. J'ai déjà bien assez donné sur ce plan là.

Je décide d'aller faire un tour. Peut-être que l'achat d'une nouvelle paire de chaussures me remontera le moral. Je mets la musique à fond dans ma voiture. Arrivée à un feu rouge, un mec aussi ringard que vantard m'interpelle. Je ne réponds pas. Il insiste. Il est lourd. Il me fait penser au cousin Fahim. Exactement le même profil. Le genre de type qui dit à qui veut bien l'entendre qu'il est son propre employeur. Pour un euro symbolique ça fait pas cher payé le statut d'auto entrepreneur. Il me dit que je suis « charmante » sous fond de mixtape de vacances d'été et me demande où je vais. J'avais envie de lui répondre :« En enfer, tu me suis ?». Et là béni soit le motard qui est venu s'interposer entre nos deux voitures et qui a mis fin à ce mauvais sketch. Le feu passe au vert et le relou démarre comme un dingue. Il laisse derrière lui une fumée de colère qui sort des « naseaux » de cette voiture de location immatriculée « 60 ».

Je roule sans savoir où je vais, de commune en commune et me mets à rêver en voyant certaines maisons ou résidences. Je roule tellement que je ne vois pas le temps passer si bien qu'il est déjà 14h20. Je rebrousse chemin et prend la direction pour aller chez Nabil. Il m'a proposé de le rejoindre là-bas. Je lui envoie un message pour le prévenir que j'arrive, ce à quoi il répond qu'il m'attends.

Arrivée en bas de chez lui, je ne prends absolument plus aucune précaution en montant. Au diable les commérages. Je monte. Il m'ouvre la porte le téléphone à l'oreille et me fait un clin d'œil. Je me sens crispée. Il le remarque et me fait un signe de tête pour me demander si ça va. Je hoche la tête pour dire oui. Je retire ma veste, m'assois sur le canapé et là sans que je ne sente quoi que ce soit arriver, j'explose en sanglots. J'ai le cœur stressé, le cœur attristé, le cœur serré.

PNL: Je n'attendais rien sauf le destinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant