Paranoïa

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Sarah n'a pas idée de tout ce qu'elle a réveillé en moi. Tous ces mauvais souvenirs qui remontent me déclenchent un sentiment d'angoisse, d'étouffement. J'ai chaud. Je commence à me monter la tête. Et si l'autre débarquait à nouveau dans ma vie? Et s'il m'attendait à la sortie du travail? Je m'étais efforcée durant toute cette année passée de ne plus penser à tout cela. J'avais comme anesthésié de ma mémoire l'histoire avec l'autre. Bien sûr il m'arrive souvent de sursauter lorsque quelqu'un crie ou d'être sur la défensive si on m'attrape par le poignet mais je m'étais jurée après avoir porté plainte de ne pas me gâcher l'existence en ayant peur de lui. J'avais déjà bien assez donné et c'est peu de le dire. Mais là plus rien ne va. Tout était enfouie si loin dans ma tête que le fait que tout ressurgisse d'un coup me plonge dans l'anxiété la plus profonde.

J'ai presque envie de pleurer. Mes mains tremblent. Je ne veux pas sortir seule du travail. Comme par hasard je suis la seule à finir à 17h aujourd'hui. Certes il y a du monde dehors mais je me sens désemparée comme si j'étais perdue au milieu de nul part. Je ne vais quand même pas demander à Fati de m'accompagner à ma voiture. Ce serait parfaitement ridicule. Samia elle, est débordée par les derniers préparatifs du mariage. Je ne peux expliquer ma peur panique à personne d'autre. Je décide d'envoyer un message à Nabil:"Re coucou! Dis-moi ça te dit qu'on aille se poser tous les deux je finis dans moins d'une heure". Il met 15 minutes qui me paraissent une éternité pour me répondre:"Désolé poupée dans 1h j'peux pas mais à 20h ok". J'ai encore plus envie de pleurer. Dans plus de 3h. Je ne peux pas rester 3h ici et j'ai peur de sortir seule du boulot. J'entre dans le cercle vicieux de la paranoïa et scrute chaque nouveau client qui entre dans la pharmacie.

Autant quand j'ai envie de rentrer chez moi le temps passe lentement, autant là il passe à toute allure. Je me force à rester souriante et cacher mes peurs quand un homme du même gabarit que l'autre entre. J'ai une montée de stress. Ce n'est pas lui mais durant une demi-seconde je l'ai presque cru et cela m'a retourné l'estomac. Je feinds avoir envie d'aller aux toilettes et une fois dedans je vomis à en relancer mon mal de tête. J'appelle Nabil. Il ne répond pas. Je rappelle mais il ne réponds toujours pas. Je lui envoie un message comme on envoie une bouteille à la mer:"Nabil t'es là? Rappelle moi stp". J'attends une minute, deux minutes et c'est quand je me décide à sortir des toilettes que Nabil me rappelle:"Allô Nabil?"

- Ouais Ness ça va? Tout va bien? J'pouvais pas décrocher, dit-il alors que j'entends du monde derrière lui.

- Oui oui ça va! T'es sûr tu peux pas t'arranger pour 17h...?

J'ai honte d'insister mais l'angoisse est si grande que je ne m'encombre plus de la gêne. Mais là, la réponse de Nabil me met mal. "Attends j'm'éloigne des autres.Nessma je bosse. J't'ai dit taleur 20h" dit-il d'un air si sérieux que tout l'embarras que j'avais ravalé pour insister me revient au visage comme un boomerang. Gênée je lui dis:"Oui pardon pardon. 20h taleur pas de souci!".

- Y a un problème Ness? lance-t-il d'un ton toujours aussi sérieux.

- Non non du tout! J'avais juste envie de te voir, dis-je tout en serrant fort mon poing comme pour me retenir d'exploser en sanglots.

- On va se voir mais à 20h, je...Ouais j'arrive! Ness fait que j'te laisse on m'appelle là. On s'voit taleur.

- Ok oui oui vas! À taleur bisou.

- Bisou.

Je raccroche dépitée. Je l'ai clairement dérangé et cette idée me plonge encore plus dans cette solitude qui grandis en moi au fur et à mesure que les minutes me rapprochent de la fin de ma journée de travail. Je fais comme si de rien n'était. Personne ne remarque que je suis blanche comme un cachet d'aspirine. Même Fati qui est débordée par une commande avec un laboratoire au téléphone, ne verra rien, levant à peine la tête lorsqu'elle me dit:"À demain ma chérie". Je me sens abandonnée. Je traîne un peu des pieds pour partir mais il me faut bien sortir d'ici.

Une fois dehors, j'ai des bouffées de chaleur, mes mains tremblent. Je regarde partout autour de moi et inspecte chaque visage sur le trajet jusqu'à ma voiture. Heureusement, au moment où je vais entrer dans ma voiture, une voiture arrive pour se garer à côté de moi. Ouf! Au pire si l'autre débarque, je ne suis pas seule.

Je m'installe rapidement dans ma voiture, démarre et durant cinq  bonnes minutes je m'assure que personne ne me suit. Lorsque je me retrouve à un feu, j'explose en larmes.  Toute cette angoisse ressort. Je laisse tout se dégager de moi. Une fois arrivée à la maison, je me sens vide, fatiguée comme si j'avais fait un effort physique et malgré tous les pleurs lâchés dans la voiture, j'ai toujours envie de pleurer. Ma famille est occupée ou absente. Mon père est au salon au téléphone. Il remarque toujours tout donc je me presse d'aller dans ma chambre pour ne pas qu'il me voit dans cet état.

La douche chaude que je prends me détends un peu. Je me force à relativiser. J'entends ma mère et Saliha rentrer. Elles me demandent si mon oeil va mieux. Je joue la comédie devant elles, allant même jusqu'à faire de l'humour sur mon oeil au beurre noir. Je ne leur en veux pas de ne rien remarquer car il faut dire que je m'applique bien à masquer ce qui se passe réellement en moi.

J'attends 20h comme une sorte de délivrance. Je suis persuadée que quand je verrai Nabil toute cette peur irrationnelle s'envolera et que tout ira au mieux. Malheureusement il me préviens qu'il va avoir du retard. J'attends. J'attends comme une désespérée qui voudrait qu'on lui retire ses chaînes. 20h30: Nabil est là. Mon coeur s'emballe. C'est bon tout va revenir à la normale. N'est-ce pas?

PNL: Je n'attendais rien sauf le destinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant