Coeur d'enfant

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A cet instant précis j'ai un flashback. Je me revois à l'âge de cinq ans au bord de la piscine municipale avec ma grande cousine et sa meilleure amie. Derrière mes bouclettes qui tombent en cascade sur mon front, les deux adolescentes m'assurent que je ne risque rien, que je peux sauter dans leur bras. Je leur faisais confiance, mais l'idée même de sauter me tirait les larmes des yeux et me paralysait. Si bien que les deux comparses qui me servaient de baby-sitter perdaient patience et c'est leur insistant "Allez!" qui me glaçait finalement plus que tout. Pourquoi tant de peur? Rien ne laissait présager du mauvais! Tous les gosses autour faisaient pareil avec leur famille et riaient. Moi, j'étais là, les pieds accrochés à ce rebord comme si ma vie en dépendait. Le regard tendre qui tentait de masquer le début d'agacement de ma cousine n'arrivait pas à me faire flancher. C'est la phrase suivante qui me fera faire mon premier plongeon :"T'auras pas la tête sous l'eau, je t'attraperai avant!". Trente secondes plus tard, mes petits bras paniqués agrippaient ses épaules, les éclaboussures de mon saut auront plus mouillé les personnes autour de nous que mes bouclettes et seuls mes jambes goûtent à l'eau. Elle ne m'a pas menti.

Face à Nabil, je suis bloquée. J'ai peur de sauter et pourtant j'ai déjà la tête sous l'eau. Au final, comment cela pourrait être pire? Je SAIS déjà le pire. Et pourtant, que c'est difficile! Comment lui dire une chose qui risque de l'anéantir? Que cela vienne de moi me mets dans une position tellement inconfortable. Au bord de la piscine, au moins j'avais l'assurance que ma cousine était là pour moi. Là, j'ai peur que cela créé des tensions entre Nabil et moi et nous éloigne. Être celle qui va lui annoncer qu'il va sûrement être appelé "papa" par un petit bout d'humain qui n'aura rien demandé à tout cela, entraîne en moi une multitudes d'émotions. On se connait depuis peu et déjà de si grandes révélations. Je voulais juste une histoire simple moi...

"Nessma dis-moi, vas-y je t'écoute" me lance-t-il dans un premier temps. Mes lèvres sont scellées comme ce "secret" dont j'aurais préféré qu'il ne me soit pas confié. Je hoche de la tête, je commence à avoir chaud. Je me redresse un peu, soupire et il reprend:"Nessma c'est quand tu veux". Le ton agacé qu'il emploie ne m'étonne pas car j'aurais pu avoir le même, cela fait déjà plusieurs minutes qu'il attend.

Je cherche dans son regard un signe, un "tu n'auras pas la tête sous l'eau", "saute je suis là" mais au fur et à mesure que les secondes passent, ses sourcils se froncent, ses traits se durcissent et là c'est le monde à l'envers. Je ne sais pas si c'est le stress mais à ce moment précis je réalise que je suis paniquée et lui limite énervé. Je prends sur moi pour ne pas prendre son comportement pour de la mauvaise foi. Nessma mets-toi à sa place, toi tu serais dans tous tes états. Réfléchir à comment le dire ne changera rien, la mauvaise nouvelle sera toujours là. Je souffle et d'un coup me lance sans même y croire: "Tu connais Farah, la petite sœur de Samia et Saïd. Sa meilleure amie, Chloé, a une grande sœur ... ». Je marque un silence, soupire et reprends d'un air franc: « Cette même grande sœur est amie très proche avec l'hystérique. Il y a quelques jours, dans la conversation, Chloé a dit à Farah que l'hystérique était enceinte". Je tachycarde, j'ai les mains moites. Nabil dont le regard se noircit me lance :"Attends comment tu peux être sûre qu'elle parle de Sabrina?".

Mes oreilles bourdonnent, mon sang ne fait qu'un tour : "Ah maintenant tu la nommes?". Je suis stupéfaite qu'il ait osé prononcé son prénom devant moi après tout ce qu'il s'est passé avec et à cause de cette femme. "Mais calme-toi, c'est pas le plus important!" dit-il comme s'il n'avait toujours pas compris la lancée de ce que je viens de lui annoncer. "Tu ne peux pas être sérieux là?" l'interrogeais-je en me levant.

- Mais viens-là, dit-il en me tirant par le bras pour que je me rassois. On s'en fout de son prénom. Le plus important c'est que c'est faux.

- Comment tu peux en être aussi sûr? Et comment tu peux oser dire son prénom devant moi? dis-je tout en me relevant.

- Mais on s'en fout de son prénom! lâche-t-il énervé.

Je me retourne, toujours autant stupéfaite du fait qu'il ne réalise pas me manquer de respect et lance: «Moi je ne m'en fous pas. Et là tu ne m'as pas respecté ». J'attrape rapidement mon sac et fonce vers la porte. Plus vif que moi, Nabil se poste devant et pose sa main sur la poignée pour me barrer le passage. Cet acte déclenche en moi une vague d'émotions dont je n'ai pas le contrôle: « Pousse toi de cette porte ».

- Nan, nan. Tu prends pas la fuite comme ça. T'es sérieuse? rétorque Nabil les sourcils froncés.

- Nabil oui je suis très sérieuse. Pousse-toi de cette porte. Je plaisante pas.

Il ne bouge pas et poussée par la panique, je me mets à essayer d'enlever sa main de la poignée. Je tire dessus comme une forcenée. Nabil est choqué: « Mais qu'est-ce qu'il t'arrive? T'es folle ou quoi? Oh calme-toi! ». Il me saisit par les poignets, chose qui m'angoisse plus que tout. Je crie à Nabil de me lâcher. Il stresse, me lâche, lève les mains: « Ça y est! Ça y est! Arrête de crier! Ça va pas ou quoi?!! ». J'ai honte et en même temps je suis exaspérée. Je ne jette pas un seul regard à Nabil et sors de la chambre comme une dingue. Je me fais peur à moi-même. Je cherche la cage d'escalier et m'y dirige par honte de croiser quelqu'un. Là, assise sur les marches, je m'effondre en sanglots. Que vient-il de se passer? C'est plus qu'une dispute, il m'a manqué de respect. Et mes poignets, c'était le geste de trop. Je ressasse toute la scène dans ma tête. Tout a été vite, si vite. Moi qui était pressée de venir ici avec lui, ça commence mal.

Cela fait maintenant plusieurs minutes que je suis assise ici. Je serre mon téléphone dans mes mains. Malgré la colère et la déception, j'attends qu'il me fasse signe. Mais rien. Un quart d'heure, une demi-heure, rien. Je ne sais pas quoi faire. Bien évidemment j'ai réagi sous la colère et n'avait aucune idée d'où j'allais aller en sortant de cette chambre. Me voilà bloquée dans cette cage d'escalier à ne savoir quoi faire ni quoi penser. Nabil ne cherche même pas après moi. Plus les minutes passent et plus je sens que je m'enfonce dans un problème. Ce sentiment. Du désarroi mêlé à de la peur. Je regrette d'être partie comme ça mais qu'il ose prononcer le prénom de celle qui joue le rôle de l'épée de Damoclès au-dessus de ma relation avec Nabil, s'en était trop pour moi. Je me suis sentie insultée. Il a oublié que cette dérangée m'a frappé?

Cela fait maintenant une demi-heure que je suis assise ici. Deux femmes de ménage passent près de moi. Je suis mal à l'aise ici. Je descends à l'étage inférieur non sans essuyer mon visage avant. J appuie sur le bouton de l'ascenseur dont la porte a l'effet de miroir me permets de voir que on maquillage n'a pas trop coulé. L'ascenseur arrive. Soulagée qu'il n'y ait personne dedans, j'arrange mes cheveux et me demande où je vais bien aller. À peine ai-je le temps d'y penser que je me retrouve au rez-de-chaussée. J'ai honte d'aller m'installer sur les fauteuils du lobby. Pour y faire quoi seule? Et puis, on voit très bien sur mon visage que j'ai pleuré. J'envoie un message à Samia pour qu'elle me conseille tout en espérant qu'elle me réponde rapidement car j'appréhende que Nabil descende. Fort heureusement elle me répond assez vite et me dit: « Remonte t'as pas le choix. Tu vas pas passer ton après-midi comme ça. Retourne dans la chambre et parle-lui même si je sais que c'est dur ». Dur? C'est un euphémisme. La honte me bloque sur ce fauteuil aussi agréable que beau mais je n'ai ni sac ni argent avec moi, que faire? Où aller? Sans sac, c'est compliqué. Nabil sait très bien que je serai obligée de remontée à un moment donné. Et là comme une enfant attendant sa punition sur le chemin vers le bureau du directeur d'école après une bêtise, je décide de monter, les bras ballants, le cœur battant. Va-t-il m'envoyer balader? C'est notre première vraie dispute. Je me sens comme au bord de la piscine, seule avec mon coeur d'enfant.

PNL: Je n'attendais rien sauf le destinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant