Chapitre 1.1

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Ce fut encore une course folle ce matin pour déposer Georgia à l'école. J'avais passé une bonne partie de la nuit à ressasser mes sombres pensées qui m'avaient gardée longtemps éveillée. La sonnerie de mon réveil ne suffisait plus. Heureusement, ma fille était là pour me sortir de mes cauchemars étouffants et me ramener doucement à la réalité de notre quotidien.

— Si tu continues de t'acharner comme ça, tu vas finir par perforer ce malheureux punchingball, me lança Jul.

Ce dernier tenait fermement l'énorme sac avec difficultés. Sa mèche rousse lui retombait sur le visage déjà couvert de sueur. Je pivotai sur moi-même pour donner un dernier coup de pied dans le sac qui, heureusement, supportait les chocs les plus difficiles.

— À toi ! déclarai-je avant de jeter mes gants sur le banc et d'attraper ma gourde.

— Non, j'arrête là, Zoé. Qu'as-tu donc mangé ce matin ? Un cheval ?

— Tu t'es trompé, il faut dire un lion, le repris-je avant de boire une nouvelle gorgée d'eau fraiche.

— Avoue que je n'étais pas loin, s'exclama ce dernier avant d'attraper sa serviette et de s'essuyer le visage avec.

— Oui, pas loin cette fois, avouai-je.

Le visage fin de Jul, parsemé d'une multitude de taches de rousseur, allait parfaitement avec sa corpulence. En effet, il n'était ni trop mince ni trop musclé. Ce fidèle collègue de travail m'accompagnait pratiquement partout depuis le décès de William.

— Zoé ? Tout va bien ? s'inquiéta soudain ce dernier.

Je secouai la tête pour chasser les mauvaises pensées, tapies dans un coin de ma tête.

— Oui, je pensais à la représentation de demain avec l'association, mentis-je tout en rangeant mes affaires.

En ce début de journée, le gymnase était encore à peu près calme. Les lumières dans ce hangar, où venaient s'entraîner gymnastes et sportifs, étaient allumées toute la journée à cause de sa faible exposition à la lumière naturelle. Chaque bruit et chaque parole résonnaient entre les murs. Le soir, il était presque impossible de s'entendre et de se parler tellement le lieu était fréquenté.

— Vingt-et-une heures, c'est bien ça ? J'y serai. Je ne manquerais pas l'ouverture de ce festival hip-hop dont tu es la présidente.

J'attrapai mon sac à dos et commençai à me diriger vers les vestiaires.

— Tu as intérêt ! Sinon je boycotte ton prochain article à paraître la semaine prochaine.

Jul éclata de rire avant de déclarer :

— On se retrouve au boulot, je dois faire un détour pour couvrir l'évènement du marathon sur Venice.

La vue était belle, tout en haut du building du Los Angeles Times. Les locaux surplombaient la ville, mais aujourd'hui, je la regardai différemment. Deux ans qu'il avait disparu de ma vie à moi et à ma fille. Les couleurs des gyrophares m'avaient d'abord surprise lorsque j'avais ouvert la porte d'entrée. Barthey se tenait devant moi avec un visage décomposé par la douleur. J'avais compris tout de suite. Ce dernier, démis de ses fonctions depuis notre retour d'Éros, n'avait aucune raison de se trouver ici, à cette heure tardive de la nuit et qui plus est, avec une équipe de forces de l'ordre derrière lui.

— Zoé, il va falloir être forte, m'avait-il murmuré avant de partir, pense à Georgia.

Ses paroles étaient restées suspendues dans l'air, tandis que moi, je m'étais écroulée de chagrin sur le sol.

« Ne te noie pas dans ces souvenirs, reviens ! » parut me chuchoter William, au plus profond de moi.

Le bruit d'un journal jeté sur mon bureau me ranima.

— L'enfant chéri est de retour au pays ! lança Cait avec son accent russe bien prononcé.

Je pris soin de remettre mon masque pour éviter qu'elle ne lise au fond de mon regard, avant de me retourner.

— Bonjour Cait. Alors, quelle « Une » fantastique m'as-tu dégotée ce matin ? déclarai-je en prenant le journal entre mes mains.

Les yeux pétillants de cette dernière annonçaient un potin bien croustillant. Mon souffle se coupa lorsque je vis le gros titre sur la première page.

— Je vous avais prévenue ! s'exclama Cait qui se tenait debout près de la porte d'entrée. J'ai fait la même tête en découvrant ça ce matin. Faïz Mattew est de retour à L.A.

— Oui, je... je suis au courant depuis hier soir, balbutiai-je à voix basse sans pouvoir quitter le journal des yeux.

— Mais pourquoi ne l'avez-vous pas dit plus tôt ? Mademoiselle Reyes, c'était l'occasion de sortir l'info en exclusivité ! s'indigna cette dernière.

Bien que je fusse la rédactrice en chef du Los Angeles Times, les membres de mon équipe ne me craignaient pas. Je privilégiais le dialogue et la bonne entente entre nous, au sein du groupe. Le respect de la ligne éditoriale était toujours appliqué et je n'avais rien à redire sur la productivité de mon équipe.

— Nous ne faisons pas dans les people, Cait.

La énième infidélité de Faïz, étalée à la une de ce journal, était celle de trop. Rachelle Conor demandait le divorce et l'on disait déjà qu'il serait le plus cher de l'histoire. Ce n'était que le début d'une longue procédure, tout ça à la vue de tous.

— Quel gâchis !

Ces mots n'étaient qu'un soupir à peine audible, qui ne parvinrent pas aux oreilles de Cait.

— Maintenant qu'il est célibataire...

— Non, pas encore, la coupai-je. Jusqu'à preuve du contraire, il est toujours marié.

— Cela n'empêche pas que ce jeune milliardaire est aujourd'hui l'un des célibataires les plus convoités de la planète.

Cait me fixait de ses petits yeux malicieux qui mourraient d'envie de m'interroger sur le cas Faïz Mattew. Il ne fallait pas oublier qu'elle était journaliste, et donc de nature curieuse, à vouloir connaître le fin mot de l'histoire sur tous les sujets qu'elle abordait. Elle finit par passer sa main dans ses longs cheveux blonds et ondulés qui entouraient un visage arrondi aux pommettes saillantes et ajouta avec une note dans la voix plus haute que d'habitude :

— Enfin moi, si je connaissais aussi bien sa famille que vous, je...

— Je sors déjeuner, l'interrompis-je une fois de plus afin de clore cette conversation qui commençait à dégénérer.

Je me dirigeai en vitesse vers la sortie avec mes affaires sous le bras lorsque le combiné téléphonique, posé sur mon bureau, sonna. Je lançai un regard rapide à Cait qui comprit aussitôt qu'elle devait prendre congé.

— Oui Christine ?

— Madame Reyes, votre ami David vient d'appeler et vous a laissé un message. Il vous attend chez lui en fin d'après-midi pour la réunion.

Merde ! Je fermai les yeux et me pinçai l'arête du nez.

— Voulez-vous que je lui transmette quelque chose ? demanda mon assistante, visiblement inquiète devant mon silence.

— Euh... non... oui. Rappelez-le et dites-lui que j'ai d'autres priorités pour aujourd'hui. J'ai promis à ma fille de rester avec elle ce soir.

Après tout, ils n'auront qu'à me faire le compte rendu de cette réunion. Je n'étais pas prête à revoir Faïz. Pas prête à entendre le pire de ce qui nous attendait. Ce n'était pas le moment. D'ailleurs, ça ne le serait jamais.

Dark Faïz -T 3Où les histoires vivent. Découvrez maintenant