Chapitre 3.3

2K 162 4
                                    

Vingt-sept minutes que j'étais installée dans ma voiture, garée en haut de cette immense avenue qui surplombait les Downtown ! Vingt-sept minutes que je regardais ce flot de gens qui allait et venait tout le long de celle-ci ! Vingt-sept minutes que la boule qui se formait dans ma gorge ne cessait de grossir ! Je n'arrivai même pas à tourner mon visage vers l'imposant building sur ma droite. Ma main vint trouver les clefs, encore coincées près du volant. Je les arrachai presque avec violence pour renoncer à redémarrer ma voiture et fuir l'inévitable. Cinq ans, où je ne l'avais vu que sur les couvertures des journaux et magazines.

Trente minutes ! Je pris une profonde inspiration. Découragée, j'ouvris ma portière pour aller à la rencontre de Faïz.

Après avoir prévenu l'hôte de mon arrivée, la réceptionniste, blonde platine, m'adressa un grand sourire :

— Dernier étage, monsieur Mattew vous attend.

Celle-ci pointa ensuite son doigt en direction de l'ascenseur et me souhaita une bonne soirée.

J'appuyai sur le bouton du quatre-vingt-dix-huitième étage. Au fur et à mesure que la cabine s'élevait, les battements de mon cœur, eux, s'accéléraient. J'avais l'impression de manquer d'air. L'angoisse m'étouffait à petit feu. Je me détestai à cet instant de ressentir autant d'émotions, juste pour lui.

Les portes s'ouvrirent sur un petit couloir où je m'engageai d'un pas hésitant. Les murs de Camaïeux de couleur beige donnaient à l'endroit une délicieuse sensation de confort. Au bout de celui-ci apparut un vaste espace au design chic et élégant. Ce cadre, d'un luxe exceptionnel, offrait une vue magnifique sur la ville. Les meubles et les cadres, aux murs, avaient été soigneusement choisis afin de s'accorder parfaitement aux matériaux de cet appartement. Au milieu de la pièce d'un blanc immaculé, se trouvait une grande table où seul un ordinateur y était installé. La ventilation de la machine se mélangeait à la douce voix de Corinne Bailey qui flottait dans ce lieu. Anxieuse, je balayai la pièce des yeux sans oser bouger. À l'extérieur, un balcon filant donnait une impression d'évasion à notre quotidien.

— Faïz, appelai-je d'une voix à peine audible tout en m'avançant vers le balcon.

Je me frottai les mains, espérant les rendre moins moites. L'odeur de son parfum ranimait des souvenirs longtemps refoulés. Mes jambes menaçaient de céder sous mon poids. Soudain, tout se figea dans le temps ainsi que la voix de la chanteuse. Je fermai les yeux et refusai de me retourner. Il était là, quelque part, dans cet immense séjour. Son regard dans mon dos pesait des tonnes. Rien ne m'avait préparée à une telle onde de choc.

— Comment vas-tu ?

Le timbre de sa voix vint se lover dans ma chair. Je pivotai doucement pour faire face à l'homme qui m'avait quittée en cette belle journée ensoleillée, cinq ans auparavant. La douleur de ce souvenir n'avait pas pris une ride. À l'entrée de la pièce, Faïz était adossé, une épaule contre le mur et me fixait de son regard si sombre, si transperçant. Ses émotions dissimulées derrière son visage fermé et impassible ne laissaient rien deviner à ce qu'il ressentait à cet instant précis. Une violente souffrance me broya la poitrine.

— Bonsoir, je suis venue récupérer le rapport de Will, réussis-je à articuler difficilement.

Je suivis le regard de Faïz qui s'arrêta sur la table. Au niveau du clavier de l'ordinateur était disposé un gros dossier. L'envie de le prendre et de m'enfuir avec me traversa l'esprit. Je traversai le séjour pour m'emparer de la chemise.

— Qu'en as-tu pensé ? demandai-je en feuilletant les notes laissées par William.

À vrai dire, son avis n'avait aucune importance pour moi. Partir de cet appartement dans les deux prochaines minutes était ma seule préoccupation. J'évitai soigneusement de croiser à nouveau son regard en faisant mine d'être absorbée dans ma lecture. J'effleurai, du bout de mes doigts, ces petites lettres en faisant de mon mieux pour dissimuler toute ma tristesse qui se réveillait en revoyant cette écriture si familière.

— Je suis désolé, déclara Faïz à demi-mot.

Spontanément, mes yeux se levèrent vers lui. Sa posture lui donnait toujours ce charisme captivant. Les deux premiers boutons de sa chemise étaient ouverts et les manches, repliées sur ses avant-bras, révélaient comme autrefois des muscles saillants parfaitement dessinés. Ce dernier soutenait mon regard et bien qu'il soit debout, devant moi, il me paraissait aussi lointain qu'inaccessible. Un sentiment de fureur et d'amertume se mélangeait en moi :

— Tu es désolé pour quoi, Faïz ? De revenir soudainement ? De la mort de William ?

Sa mâchoire se crispa. Il décroisa les bras et se redressa en mettant ses mains dans ses poches. Son regard, d'une dureté de marbre, ne me quittait pas. Il essayait tant bien que mal de contrôler sa colère. Sa poitrine se soulevait au rythme de son souffle.

— L'information m'est arrivée trop tard, se défendit-il. Penses-tu vraiment que j'aurais laissé William se faire tuer sans que je bouge le petit doigt ?

— Je ne sais pas ! m'écriai-je, furieuse, en levant les mains au ciel. Après tout, tu es bien capable de tout.

Faïz se mit à arpenter la pièce avec une démarche assurée tout en se passant nerveusement les mains dans les cheveux. Il pointa alors son index vers moi :

— Ne me reproche pas ça, Zoé. Tout, mais pas sa mort !

— Il n'aurait jamais dû nous quitter. Ça aurait dû être...

Je me figeai brusquement, tout comme lui. Ses yeux se plissèrent. Il s'avança doucement vers moi, les sourcils froncés. Je portai ma main à ma bouche, réalisant avec terreur ce que je m'apprêtais à lui dire.

— Ça aurait dû ? murmura Faïz, posté désormais juste devant moi. Termine ta phrase !

— Non, mes paroles ont dépassé mes pensées. Ce n'est pas ce que je voulais...

— Termine ta phrase ! m'ordonna-t-il, le regard fou.

J'ouvris ma bouche puis la refermai aussitôt, perdue. Mes paupières se refermèrent le plus fort possible.

— Je ne veux pas avoir cette conversation avec toi ! déclarai-je en me dépêchant de rassembler les notes du rapport d'enquête de William pour les ranger.

— C'est trop facile de classer les gens dans la catégorie ange ou démon, Zoé. Ton problème c'est que tu as toujours été trop extrême dans tes jugements.

Un rire agacé s'échappa de moi pour seule réponse. C'est avec la plus grande difficulté que je réussis à ne pas jeter avec rage toute cette paperasse à terre. Faïz, qui essayait de me pousser dans mes retranchements, ne me facilitait pas la tâche.

— Il n'y a pas que toi qui as tout perdu ! insista ce dernier, acide.

Interdite, je relevai mes yeux sur lui pour soutenir son regard qui me transperçait.

— Tout ? Non, pas encore. Je n'ai pas encore tout perdu, murmurai-je la gorge serrée.

Faïz recula d'un pas, une lueur d'inquiétude traversa son regard. Cet homme doté d'une assurance à toute épreuve paraissait soudain si fragile. Déstabilisée devant sa séduction si puissante, je résistai contre l'envie de le réconforter.

— Je repars à la fin de la semaine à New York, me confia-t-il d'une voix plus douce. Crois-moi, mon but n'est pas de venir envahir de nouveau ta vie.

— C'est mieux ainsi, avouai-je calmement. Nous avons tous changé avec, pour chacun d'entre nous, des priorités différentes.

Il se pinça la lèvre inférieure et m'interrogea du regard, perplexe :

— Le mot « priorité » semble être devenu ton second prénom, murmura ce dernier, songeur. Tout le monde a tendance à un peu trop l'employer lorsqu'il s'agit de toi.

Mes joues se mirent soudainement à me chauffer. Je haussai les épaules et le contournai au pas de charge afin de regagner la sortie de l'appartement.

— Je te souhaite une bonne continuation, au cas où nous serions amenés à ne pas nous revoir, déclarai-je en m'éloignant de lui.

Je me hâtai dans l'ascenseur en pressant plusieurs fois sur le bouton du rez-de-chaussée sans prendre la peine de relever les yeux.


Dark Faïz -T 3Où les histoires vivent. Découvrez maintenant