Chapitre 3.1

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En même temps que je me battais à faire entrer le pied de Georgia dans ses petites chaussures, mes yeux étaient, eux, rivés sur la grande horloge du séjour.

— Je vais encore être en retard, bon sang ! grommelai-je en poussant de toute mes forces.

« Regarde-la, Zoé. Prends juste une seconde pour elle », me suppliait William dans un murmure qui paraissait sortir d'un coin de ma tête.

Ma fille, assise sur le plan de travail de la cuisine, poussa un petit soupir. Comme à son habitude, elle ne parlait pas beaucoup. J'en déduisis que la situation devait l'agacer tout autant que moi. Après de longues secondes d'acharnement, je réussis enfin à lui mettre ses deux chaussures aux pieds, puis mes mains se posèrent sur ses épaules.

— Tu es prête, ma chérie ?

— Qui vient me chercher ce soir ? demanda-t-elle d'une voix morose sans me regarder.

— Oncle Eli, répondis-je en lui remettant ses cheveux en arrière.

Ses yeux revinrent vers moi et mon cœur se serra. J'aurais dû être habituée à cette immense mélancolie qui habitait ses prunelles si sombres. Pourtant, à chaque fois, je ressentais la même émotion : la culpabilité. Arriverai-je un jour à la rendre enfin heureuse ? Je secouai la tête pour ne pas craquer, pour ne pas laisser l'émotion m'envahir tout entier. Il faisait jour, je laissais ça à la nuit.

— Et tu sais quoi ? ajoutai-je en adoptant le ton le plus enjoué.

Georgia m'interrogea du regard. Elle ressemblait tellement à Faïz avec cette expression sur le visage.

— Tes ailes sont prêtes ! Tout à l'heure, tu redeviendras un petit ange. Oncle Eli et... son petit pote Condor ont bien travaillé.

Tout à coup, les iris de ma fille se vidèrent de leur tristesse infinie et de leur égarement pour laisser place à de la joie. Son sourire fendit son visage en deux et éblouit sa petite frimousse au teint pâle. Je l'aidai à descendre du plan de travail et attrapai en vitesse ses affaires et les miennes qui étaient posées à côté de la porte d'entrée.

— Maman ? Oncle Eli n'apprécierait pas que tu parles de Condor comme son petit pote. Il passe son temps à le traiter d'idiot.

— Oui, bah... qui aime bien châtie bien ! répondis-je tout en ouvrant la porte, pressée de gagner l'intérieur de la voiture.

— Les plumes tombent de plus en plus souvent. Mes ailes...

— Georgia, dépêche-toi, s'il te plaît. Tu n'as qu'à les porter moins souvent. Tu fais beaucoup trop de choses avec.

Alors qu'elle essayait de me suivre au pas de course dans l'allée descendante du petit chemin, je m'arrêtai brusquement, juste avant d'ouvrir la portière de la voiture. Je levai les yeux pour observer le ciel et constatai que la lumière du jour était différente aujourd'hui, comme si le Dôme, de couleur opaque, empêchait partiellement les rayons du soleil de pénétrer ce voile aux contours bien définis.

— Maman ? Qu'est-ce qui se passe ?

— Rien, chérie, répondis-je en l'installant rapidement à l'arrière de la berline.

Mon visage devait être aussi blanc que le sien pour qu'elle s'inquiète soudainement, mais encore une fois, elle se tut, le regard plein de questions.

Sur le chemin du travail, je décidai d'appeler Asarys, maintenant que j'étais seule. Elle répondit aussitôt :

— Tu as de la chance ! Je pars en réunion et je ne serai plus joignable de la journée.

— Désolée, David est parti tard hier soir et tout à l'heure avec Georgia c'était la course. As-tu remarqué la couleur du Dôme ce matin ?

Je levai encore une fois la tête vers le ciel.

— Oui, m'avoua mon amie, embêtée. Les spectres sont parmi nous. Le danger est partout. La population est en danger.

— Les quoi ?

— Tout est dans le rapport d'enquête de William. Tu dois absolument y jeter un œil.

— Asarys, je vais rentrer au sous-sol du Los Angeles Times. Je passerai après le boulot pour le prendre. OK ?

— Non ! s'empressa de me répondre mon amie. Le rapport est entre les mains de Faïz. Désolée, mais tu vas devoir le récupérer auprès de lui.

Mes mains resserrèrent le volant et ma mâchoire se crispa. J'étais presque sûre qu'Asarys l'avait fait exprès.

— Tu n'es pas sérieuse ? arrivai-je à articuler, le souffle court. Je... enfin tu sais que...

— Je n'ai pas eu le choix, m'interrompit mon amie. Il ne m'a pas laissé le choix, Zoé. Je t'envoie son adresse...

La conversation se coupa brutalement. Les murs épais du parking avaient mis fin à notre discussion.

Après m'être garée à ma place, je coupai le moteur avec un nœud à l'estomac et cognai à deux reprises mon crâne contre l'appui-tête derrière moi. Merde !


Dark Faïz -T 3Où les histoires vivent. Découvrez maintenant