Les trois chaloupes, conduites par des pêcheurs du village de Boquilla, longeaient la mangrove. Derrière nous, l'embarcation de l'équipe de Barthey avec, à son bord, quelques membres du gouvernement américain ainsi que des Léviathans, nous suivait de près. Le grand coffre, où reposait le corps de Pavel, était sur celle-ci. Devant nous, une autre chaloupe transportait une dizaine de militaires colombiens, dépêchés sur place pour assurer notre protection. La mission était jugée à haut risque.
— Ne vide pas toute la bouteille ! s'agaça Lexy.
Asarys étalait à grosses doses sur ses bras un répulsif antimoustique pour être tranquille. Elle donna ensuite le spray à notre amie qui s'empressa d'en faire de même. Faïz se trouvait sur la même embarcation que nous trois, mais il s'était placé à l'écart, à l'arrière du bateau. Je mettais son attitude plus que distante envers moi depuis ce matin sur l'énorme responsabilité qui pesait sur ses épaules.
— L'endroit est aussi surnommé le canal de l'amour, déclara Asarys dubitative. À part des racines, des arbres et le marécage, je ne vois rien qui éblouit mes yeux.
La barque se laissait porter au fil de l'eau et au rythme des battements de la nature. La mangrove bruissait de toute la vie qui la peuplait et s'érigeait comme un rempart contre les vagues.
— Je trouve ce lieu sauvage fascinant, rétorquai-je en regardant tout autour de moi. L'écosystème maritime de ce lieu est très riche en plantes.
— Je n'ai aucun avis, déclara Lexy. Mon estomac est complètement noué.
Mon amie n'avait en effet pratiquement rien mangé au déjeuner. C'était à peine si elle avait profité des dernières heures passées à la piscine du patio. En ce milieu d'après-midi, le soleil tapait fort et j'espérai qu'elle aurait assez de forces et d'énergie pour tenir jusqu'à ce soir.
— Tout ça sera bientôt fini. Nous pourrons enfin vivre une vie normale après ça, essayai-je de la rassurer.
— Une vie normale ? pouffa Asarys. Voyons, Zoé, redescends sur Terre et regarde ce coffre derrière nous, avec Barthey.
— Vous pensez que Pavel a les yeux ouverts là-dedans ? s'interrogea Lexy.
Asarys frémit.
— Je ne veux même pas le savoir. Rien que de repenser à lui, j'en ai la chair de poule. Il était si monstrueux et terrifiant.
— C'est Athanase qui était terrifiant, rectifia Lexy. Lui n'était qu'un pantin.
— La souffrance et la douleur peuvent nous amener à faire n'importe quoi, même à vendre notre âme au Diable.
La note de tristesse dans ma voix était perceptible. Soudain, notre chaloupe s'arrêta. Faïz passa à grands pas devant mes amies et moi et sauta dans celle juste devant nous.
— Qu'est-ce qui se passe ? chuchota Lexy. Zoé, que racontent-ils ?
Je tendis l'oreille pour écouter la conversation. Les pêcheurs refusaient de continuer le chemin. Les militaires essayaient de calmer le jeu entre Faïz et ces hommes, visiblement trop terrifiés à l'idée d'approcher le sanctuaire du Maestro.
— Ils ne veulent pas aller plus loin, expliquai-je à mes deux acolytes. Les mythes et les légendes du pays ne racontent rien de bon de ce qu'il se passe dans la grotte et ses alentours.
— Super ! souffla Lexy exaspérée. Et ?
— Nous allons continuer sans eux. Les militaires et les autres vont se répartir sur les deux chaloupes. Les pêcheurs rentreront au village sur une seule et même embarcation.
Les militaires poussèrent un rideau de lourd feuillage et nous quittâmes alors le chemin principal de la mangrove. Notre chaloupe fut avalée dans un long tunnel, sombre, formé par la végétation. Mon inquiétude grandissait au fur et à mesure que nous nous enfoncions dans ce lieu sauvage à l'atmosphère chargée.
— Vous pourrez attendre à l'extérieur, fis-je remarquer aux filles qui paraissaient, elles aussi, peu rassurées.
Après tout, nous n'étions pas obligées d'y aller toutes ensemble. Lexy secoua vigoureusement la tête et inspira profondément.
— Nous venons avec toi !
Des arbres menaçants, qui recouvraient l'entrée de la caverne, semblaient monter la garde. Seuls quelques rayons de soleil l'éclairaient. Un silence étrange s'était installé autour de nous. En effet, aucun animal environnant ni aucun chant d'oiseaux ne venait troubler l'antre de ce royaume. Ce calme en était presque angoissant. Les filles et moi sortîmes de la chaloupe pour attendre à l'entrée de la sombre grotte, tandis que Faïz, Goareb et deux autres Léviathans s'occupaient de descendre le coffre de la barque.
— Vous et vos hommes attendez ici, ordonna-t-il à Barthey.
— Au moindre problème, envoyez le signal, lui rappela l'inspecteur.
Karl releva sa tête vers les filles et moi. Les remords et la culpabilité se lisaient soudain sur son visage. Pourquoi avait-il si peur pour nous ? Une étrange sensation me prit aux tripes. Un signal d'alerte résonna dans ma tête. Lorsque Faïz nous rejoignit avec ses hommes et les membres de l'armée, je m'empressai de l'interroger :
— Avez-vous bien quadrillé toute la zone, hier ?
Il détourna son regard du mien et jeta un coup d'œil à Goareb. Ce dernier passa devant nous afin de nous laisser seuls.
— L'endroit est sûr, mais le chemin jusqu'au tombeau est un peu sinueux. Faites bien attention à où vous mettez les pieds, et tenez-vous à la paroi. Nous allons allumer les torches, car il fait noir à l'intérieur.
— OK, déclarai-je, soulagée.
— Vamos ! s'impatienta un militaire devant l'entrée de la caverne.
Faïz vint aider le groupe à porter le caisson qui paraissait peser lourd. Puis, nous nous engouffrâmes, à l'exception de Barthey et de son groupe, à l'intérieur de la grotte.
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Dark Faïz -T 3
ParanormalLes cinq dernières années n'ont pas épargné Zoé. Noyée dans un profond vague à l'âme duquel elle éprouve des difficultés à sortir, le retour de Faïz dans sa vie n'arrange pas les choses. L'amertume et la rancœur vis-à-vis de cet homme qui l'a trahie...