Chapitre 5.1-FAÏZ

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Au volant de sa Mercedes sport, Faïz roulait à toute allure en jetant de temps en temps de brefs coups d'œil sur le GPS. L'école, Las Flores, n'était plus très loin. La douleur qu'il avait ressentie ces dernières années n'était rien en comparaison de celle qui lui brûlait la poitrine à cet instant. Il comprit que la souffrance jusqu'ici l'avait finalement à peine effleuré.

— J'ai mal entendu, ce n'est pas possible, répétait-il en boucle.

La chambre transformée de Victoria lui revint alors en mémoire et la photographie de cette petite fille lui sauta au visage. Faïz secoua la tête pour remettre ses idées en ordre, mais ça ne suffisait pas. Le comportement distant, étrange, de la part de sa mère durant ces cinq dernières années l'avait pourtant, à de nombreuses reprises, alerté. « Zoé a d'autres priorités maintenant ». Cette phrase, dans la bouche de ses interlocuteurs, prenait maintenant tout son sens. Karl, Ray, ses parents... il réalisa que tout le monde était au courant. Fou de rage, il se retint de ne pas cogner avec son poing le volant gainé de cuir ou le tableau de bord devant lui, afin de ne pas démolir le bolide qu'il était en train de conduire. Les reliefs glacés de son visage parfait n'exprimaient que rage et amertume.

Les pneus crispèrent devant l'entrée de l'école. Le jeune homme ne prit pas la peine de garer sa voiture. Il sortit en vitesse et constata que ses jambes le portaient à peine.

— Vous ne pouvez pas rester là, lui fit remarquer un homme accompagné de sa fille qui sortait du petit établissement. C'est réservé aux secours !

Les prunelles menaçantes de Faïz incendièrent le père de famille qui préféra ne rien ajouter.

En franchissant les portes du bâtiment, le jeune homme ignorait ce qui l'attendait. Lui, qui n'avait jamais connu la peur ni le manque de confiance, se trouvait à cet instant paralysé par le doute. Lorsqu'il pénétra dans la petite cour vide, son pouls s'accéléra. Était-il arrivé trop tard ? Pavel l'avait-il emmenée ? C'est alors qu'il remarqua une femme un peu plus loin, postée dans l'encart d'une porte, lui faisant signe de venir.

— Madame Mattew nous a prévenues de votre retard, indiqua une dame d'un certain âge lorsque Faïz entra dans les locaux. Georgia vous attend à la garderie.

— Est-elle la dernière à partir aujourd'hui ? demanda-t-il en prenant soin de prendre un ton confiant.

La femme arpentait un couloir sombre et froid, Faïz sur ses talons.

— Oui. Pour tout vous dire, Georgia commençait à s'inquiéter. Ses ailes sont sur la commode, à côté du porte-manteau.

— Ses ailes ?

— Oui, soupira la femme visiblement déconcertée par ce détail.

Celle-ci s'arrêta devant une porte entrouverte et invita le jeune homme à passer devant.

— Les anges, ça n'existe pas dans ce monde, ajouta-t-elle.

Le monde de Faïz, lui, s'arrêta de tourner à ce moment-là. Il dut s'appuyer contre une armoire, à l'entrée de la pièce, pour ne pas s'écrouler devant le visage qu'il venait de découvrir. Georgia était sur un grand tapis, concentrée à essayer de déchiffrer un livre qu'elle tenait entre ses petites mains.

— D'habitude, nous sommes dans la cour, mais vu le temps en ce début de soirée, nous avons...

La voix de la femme n'était plus qu'un écho lointain. Les genoux tremblants, Faïz s'approcha doucement de la petite fille qui leva alors des yeux pleins de surprises vers lui. Le sourire qu'elle lui adressa était aussi doux que violent. Il vacilla avant de poser un genou à terre pour être à sa hauteur et contempla cette enfant de plus près sans arriver à détacher ses yeux de sa jolie frimousse.

— Tu existes pour de vrai, murmura Georgia, les yeux écarquillés.

Le jeune homme trouva que le son de cette voix était agréable. Il inclina la tête.

— On dirait bien. Sais-tu qui je suis ? répondit-il avec une pointe d'inquiétude dans la voix.

La petite fille acquiesça en hochant la tête, ce qui agita ses petites couettes. Faïz ne put s'empêcher de sourire et cette fois, même ses yeux ne le trahissaient pas.

— Tu es le frère de tante Victoria et le fils de Mamoune.

— Mamoune ?

— Ma grand-mère ! Tu sais, elle n'aime pas qu'on l'appelle mamie, chuchota Georgia comme pour lui confier un secret.

Faïz élargit encore plus son sourire sans arriver à détacher son regard de l'enfant. Il était subjugué, comme il ne l'avait jamais été jusqu'à présent. Le temps autour de lui était suspendu. Lui, qui avait toujours choisi l'humanité aux siens, changea complètement la vision qu'il avait sur celle-ci. À cet instant précis, l'humanité et le monde pouvaient attendre. Le mot « priorité » prit tout son sens. Oui, à ce moment, au fond de lui, il se promit silencieusement que Georgia serait la seule à qui il épargnerait la tristesse, la souffrance et la solitude. L'inconditionnelle avait un visage.

— Monsieur Mattew ? Je suis Kalie, l'institutrice de Georgia.

Une jeune femme, d'une trentaine d'années, se présenta à lui, l'arrachant ainsi à sa contemplation. Faïz se redressa et son visage, aux traits froids et sans défaut, reprit instantanément sa place. Cette dernière parut déstabilisée par l'homme qu'elle avait devant elle. La ressemblance frappante entre la petite fille et lui était sans appel.

— Je... je vous donne la veste de Georgia, bégaya l'institutrice, les joues rosies.

Faïz ne prêta pas attention à l'attitude de celle-ci à son égard. Il avait l'habitude de ce genre de réaction et de l'effet qu'il exerçait sur les femmes qu'il rencontrait. Il la remercia sans la regarder, trop pressé à poser de nouveau les yeux sur sa fille. Malgré ça, Kalie ne se dégonfla pas et ajouta :

— Georgia est arrivée encore très fatiguée aujourd'hui. Ce n'est pas facile pour elle de suivre les groupes d'activités la journée. Tout va bien à la maison ?

Inquiet, Faïz fixa la petite fille qui préféra baisser le regard sur son livre. Son joli sourire venait de disparaître, ce qui contraria fortement le jeune homme. La voir se replier sur elle-même fut comme une gifle qu'il recevait en plein visage.

— Ce week-end, j'ai prévu de passer tout mon temps avec elle, je ne sais pas si ça sera du repos.

Georgia releva brusquement son visage qui venait de s'illuminer à nouveau, visiblement heureuse à l'idée de passer du temps avec cet homme qu'elle ne connaissait pas, mais dont elle avait hâte de faire la connaissance. Pour Faïz, ce sourire-là n'avait pas de prix. Lui qui avait toujours eu un côté sombre et aimait flirter avec les ténèbres réalisa soudain, pour la première fois, qu'il n'avait pas d'autres choix que de laisser entrer la lumière dans sa vie afin de la laisser entrer, elle, dans son monde sans qu'elle en ait peur.


Dark Faïz -T 3Où les histoires vivent. Découvrez maintenant