Y U N E S

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II

06:52 ~ Appartement

Peu avant sept heures, il s'extirpa des draps et attrapa son téléphone où il vit deux appels manqués de son père, quelques messages de ses amis et ces habituelles notifications de réseaux sociaux. Il leva les yeux au ciel et soupira comme si sa journée l'avait déjà tué.
Ses jambes le portèrent jusqu'à la petite salle de bain où celui-ci s'étira devant le miroir en faisant la grimace. La peinture vert clair des murs s'écaillait et tombait au sol tandis que quelques mouches se battaient encore pour ne pas mourir sous la chaleur de la lampe, suspendue par de simples fils électriques.

C'était absolument grotesque.
Il resta planté devant le lavabo à user le miroir en espérant sûrement trouver dans son reflet une quelconque motivation. Mais la seule chose qui était présente était son image, fidèle à elle même.
À se regarder, il se donnait un mètre quatre-vingt, peut-être un peu moins, cela faisait longtemps qu'il ne s'était pas mesuré. Un mètre quatre-vingt de muscles formés et endoloris par le sport ; recouverts d'une peau, aussi blanche et laiteuse que le marbre de Cordoue. Presque aussi claire que ses cheveux. Plusieurs fois on l'avait pris pour un enfant de la lune, rien de tout cela, il était juste un garçon aux couleurs atypiques. De même pour ses yeux, d'un bleu intense. Yunes était d'une rare beauté. Mais n'en avait jamais eu la prétention.

L'eau de la douche roulait par perles sur son corps encore engourdi de sommeil et de chaleur et ses cheveux lui tombaient sur le front. Il pensa alors à Louise et Élias qui étaient restés à Paris. Vivement Noël pour les revoir.
Le garçon souffla d'un air ennuyé et sorti de la douche. Il se sécha et passa un coton désinfectant sur une plaie qu'il avait au cou. On l'avait griffé, plus exactement lors de son entraînement de judo, une fille ne s'était pas coupé les ongles. Il grimaça de douleur et pensa alors que cela n'était qu'un avant goût de ce qui l'attendait. Parce que ce garçon avait la faculté de rendre toutes ses journées catastrophiques avant de les avoir vécues. Il trébucha sur l'arrosoir en métal qui lui servait à maintenir en vie les plantes du balcon et manqua de s'étaler sur le parquet de la salle d'eau. Il leva les yeux au ciel et, à grand pas, il retourna dans sa chambre, qui était en réalité la pièce principale de l'appartement, pour enfiler un caleçon.
Une fois cela fait, il regarda tous ses vêtements entassés dans sa grande armoire qui n'avait plus de portes, sur le bureau ou encore éparpillés au le sol. Et il préféra fermer les yeux plutôt que d'affronter la réalité de ce bordel sans nom. Ce soir, il rangerai.

Après avoir balancé quelques fringues par dessus son épaule en direction de la machine à laver, il dégota de quoi se couvrir. Être présentable ou non, peu lui importait, il trouva son jean préféré, coupé boyfriend. Et par pur précaution, le garçon prit soin d'enfiler un lycra sous son pull ayant peur que les quelques rayons de soleil laissent place à des cumulonimbus mal venus qui rafraîchiraient l'atmosphère.
Il boucla sa ceinture et rameuta ses Doc Martens noires de sous le lit, une chaussette noire une chaussette blanche, il serra ses lacets et retourna à la salle de bain.

Sur le bord du lavabo l'attendaient les quelques bijoux qu'il portait. Un collier ethnique assez court en petites perles de bois que Louise lui avait offert et sa chaînette en or qu'il portait depuis son enfance. Il les cacha sous son pull et passa sa main dans ses cheveux humides. Calmement, il prit le temps de faire un inventaire, et surtout de respirer.

Rien ne manquait, il pouvait enfin lâcher le rebord du lavabo où ses mains étaient restées crispées par l'angoisse qui le rongeait depuis la veille. Il était nerveux. Il retourna dans l'autre pièce pour prendre son téléphone, ses clés et ses écouteurs avant de les fourrer dans la poche de son sweat. Son sac l'attendait docilement devant la porte de la cuisine, presque en souriant.
Il fit la grimace et se résigna à aller manger quelque chose avant de partir, afin d'éviter la crise d'hypoglycémie.

La cuisine était en compétition avec la salle de bain sur un concours de catastrophe, la seule chose neuve était le frigo, le papier peint tombait en lambeaux et les portes des placards devaient maintenant être retenues par la force du saint esprit, il y a longtemps que les boulons avaient déserté cet appartement. Il mangea sa tartine en se balançant sur sa chaise, lentement, tellement lentement qu'il se demanda s'il n'avait pas un peu de gène de limace dans le sang. Ses sourcils se froncèrent à cette idée et il regarda l'heure sur le micro-onde... déjà sept heures et demie. Dix minutes pour une putain de tartine. Le blond avala ses quelques médicaments et prit son sac à dos avant de sortir. Celui-ci ferma la vieille porte verte (aussi solide que du carton) à double tour avec une petite clé digne d'une clé de placard, puis descendit les huit étages au pas de course.

Il passa devant l'appartement de Rose, une vieille dame qu'il avait connu autrefois lorsqu'il habitait ici avec sa mère. Rose avait été sa nourrice de sa naissance jusqu'à son départ pour la France, parce qu'elle était d'une bonté hors du commun et que la mère de Yunes avait désespérément besoin d'argent, elle l'avait gardé sans rien demander en retour. Elle avait l'impression d'être maman une deuxième fois, à ce qu'elle disait. Et c'est ainsi que, pendant que la mère du garçon travaillait, Rose l'emmenait à l'école maternelle Avery non loin de là et s'occupait de son éducation du mieux qu'un femme de soixante-cinq ans puisse le faire. Il ne possédait que quelques vagues souvenir d'elle et cinq fois déjà il était allé frapper chez elle, mais personne ne répondait...

Une fois dehors, le peu de courage qu'il avait réuni s'était évaporé. Cette ville le terrifiait, bien trop belle, bien trop oppressante. Paris était pour lui une ville plus étalée, moins étouffante. Ses yeux cherchèrent le ciel, il était étonnamment bleu, légèrement rosé.

Mais la couleur du ciel ne changeait rien à son envie de vomir. L'inquiétude et l'appréhension l'avaient gagné jusqu'au plus profond de son être. Il pensa alors que la solitude était parfois bien inconfortable. Il avait simplement hâte de voir quel genre de rencontres il allait pouvoir faire.

HEY, RUDYOù les histoires vivent. Découvrez maintenant