G R E N A T

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XLII

        C'était joli tout de même. Le granit rose un peu abîmé, les lettres dorées et la neige immaculée dans le silence. Il fallait qu'il réalise. Concevoir que sa mère se trouvait sous cette pierre, sous cette terre gelée. Déjà plusieurs fois son cœur s'était craquelé ces derniers temps, mais là c'était une fracture. Quelque chose de net. Quelque chose qui se transforma en un coup de massue quand il se décida à lire la date de sa mort. Cinq ans après sa naissance, et plus précisément le lendemain de son anniversaire, soit le jour où son père était venu le chercher. Il ne s'en souvenait que trop bien. C'était trop beau, trop beau et trop évident.
Il resta sans bouger devant la pierre, réalisant alors que sa mère ne l'avait pas abandonné. Il se rendait alors compte que la toile de haine qu'il avait tissé autour de cette femme n'était qu'un mensonge.
Il se pencha légèrement vers la stèle pour pousser les quelques morceaux de neige qui auraient pu tromper sa vision des chiffres. Mais non, rien de cela, il avait bien lu. Elle ne l'avait pas abandonné, elle était morte.

Il n'avait même plus la force de haïr son père pour lui avoir menti durant toutes ces années. Son père qui avait ouvertement rabaissé sa mère alors qu'il était le premier au courant. Une belle enflure. Mais il n'avait pas le temps pour lui.
Se sentir aimé pour la première fois de sa vie c'est plus fort que tout.
Ressentir l'amour de sa mère toutes ces années après, ça prend à l'estomac comme une bouffée d'air frais. Et pourtant il avait l'impression d'asphyxier intérieurement.

Il s'agenouilla sur la petite semelle de la tombe et poussa la neige d'une main pour tenter d'y trouver une épitaphe ou quelques fleurs séchées... mais rien de tout cela. Évidemment, puisqu'elle était morte sans personne.
Il se redressa, comme si cette soudaine proximité avec sa mère l'apeurait.
La présence de Rudy qui n'avait pas bougé le troublait également. Il ne savait pas pourquoi il avait fait ça, et il ne savait pas non plus s'il était content ou non de savoir ce qu'il venait d'apprendre.
Mais une chose était sûre, il viendrait se recueillir seul.

Il tourna donc les talons et prit le chemin inverse, Rudy marchant à ses côtés.
Il ne voulait rien laisser paraître, comme lui somme toute. Il voulait être impassible, ne pas se laisser atteindre par cette nouvelle démesurément grande et envahissante que Rudy venait de lui mettre sous le nez.

Le brun respecta son silence, comprenant sûrement la sensation que peut procurer le fait de venir sur la tombe de sa mère.
Il retournèrent près de la voiture, et au fur et à mesure qu'il s'en approchait, Yunes sentait qu'il n'y tenait plus. Il voulait tout avouer, tout mettre à plat et cesser une bonne fois pour toute de vivre dans le mensonge et le mystère.

— Rudy.

Le brun se tourna vers lui.
Il se souvenait parfaitement des mots d'Illyes.
J'espère qu'il ne le saura jamais.

J'ai embrassé Illyes.

Rudy s'adossa à la voiture, presque un peu surpris par la nouvelle. Mais en réalité il était surtout surprit qu'il lui avoue. C'était une peu comme se tirer une balle dans le pied.

— Et ensuite ? Demanda-t-il d'un ton neutre.

Yunes s'approcha de lui.

— Rien, il n'y a rien eut d'autre.

Un silence pesant s'écoula et Yunes ne pouvait s'empêcher de baisser le regard, les mains dans les poches, appréhendant sa réaction.

— Tu sais que je suis amoureux de toi à en crever ?

Yunes fut interloqué par cet aveux. Peut être que dans un rêve il avait déjà entendu cette phrase. Mais ici elle avait franchi ses lèvres. Seulement il ne releva pas les yeux, parce que le ton qu'avait prit sa voix ne le lui permettait pas. Ça n'était pas une invitation.

— Et est ce que tu sais ce que ça fait quand je suis en colère ?

Une fois de plus le blond resta muet, absolument effrayé par le cataclysme qu'il venait de déclencher. Il le sentait, c'était en train de casser.
Une seule larme s'échappa de son œil et roula sur sa joue. Rudy l'avait vu, mais il en aurait fallu bien plus pour l'attendrir.

— Et en ce qui concerne Illyes, tu arrives un peu après la bataille.

Yunes releva les yeux vers lui. Les siens s'étaient assombris. Il recommença à parler, achevant son discours.

— Tu te souviens de la chambre dans laquelle on s'est embrassé pour la première fois à la fondation ? Il marqua une pause le temps que Yunes se remémore. Dans celle-ci même lui et moi on a du baiser au moins cent fois.

Et jamais le silence de ce cimetière ne lui parut aussi pesant. Ses yeux noirs le regardaient presque avec pitié, ou peu être même une simple inattention. Quelque chose de typiquement Gianelli, un regard arrogant et très supérieur pour cacher la blessure qui venait de s'ouvrir au fond de son cœur.

HEY, RUDYOù les histoires vivent. Découvrez maintenant