É C A R L A T E

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Musique ~ Indigo Night

LXXXI


Illyes ne lui accorda pas un regard, comme confus d'être ici. Il suivit Andrew dans le bureau sans se faire prier. Yunes le vit disparaître dans l'embrasure de la porte, cela lui procurait une sensation étrange de le revoir après son départ qui était sensé être définitif. Il ne comprenait pas ce qu'il revenait faire aux États-Unis... peut être même n'était-il jamais vraiment parti... Alice lui accorda un dernier regard ; mélange de pitié et d'aigreur. Le blond avala sa salive, sentant le monde se retourner contre lui.

Alice referma la porte du bureau, Yunes s'apprêtait à bouger quand Rudy attrapa sa main pour l'empêcher d'avancer. Il se tourna et vit ses yeux sombres vidés de toute leur colère, même de toute émotion. Il paraissait fatigué. L'emprise de sa main n'était même pas vraiment sérieuse.

— Maintenant ça suffit... va t'en d'ici...

Yunes fut percuté de plein fouet par ces quelques mots. Il resserra ses doigts sur ceux du brun.

— Qu'est ce qui suffit ? Pourquoi est ce que t'as pleuré ?

Rudy ne répondit pas, il se dégagea simplement de son emprise et tendis la main comme s'il réclamait quelque chose.

— La clé. Donne la moi...

Yunes resta stupéfait. Rudy insista.

— Tu ne dois plus monter ici.

— Mais...

— J'ai dit ça suffit.

Yunes abdiqua et plongea la main dans sa poche pour lui remettre la petite clé dorée.
Rudy passa ensuite à côté de lui pour se diriger vers la porte de son bureau.

— Rentre chez toi. Et n'approche plus cet endroit.

Et la porte se referma derrière lui.
Yunes resta planté là plusieurs minutes, le temps de comprendre ce qu'il venait de se passer. Il monta ensuite dans l'ascenseur et rentra chez lui comme un automate, les yeux dans le vide. L'image des yeux rouges de Rudy lui revenait sans cesse dans la tête. Puis il regarda la bague d'argent qui entourait son index gauche. Qu'est ce que cela signifiait au juste ?...
Son téléphone vibra dans sa poche.
Un message de Illyes.

« Retrouve moi au dojo dans deux heures. Laisse ton téléphone chez toi. »



14:41 ~ Dojo

Yunes avait suivit ses indications, piqué au vif par la curiosité une fois de plus.
Illyes fut ponctuel, couvert d'une grosse veste et d'un bonnet noir.

— Salut. Lança le garçon métis, remontant son sac sur son épaule, expirant dans l'air glacé.

— Salut.

— Désolé pour ton téléphone, mais je lui ai ajouté un mouchard à la demande de Rudy.

— Je me doute.

Un silence s'installa. Yunes comptait bien le laisser parler.
Illyes se mit à fouiller dans son sac. Il en sortit une enveloppe en papier kraft et la lui tendit.

— Tiens. Brûle tout une fois que tu auras lu.

— Qu'est ce que c'est ?

— Sûrement une part des réponses à tes questions.

Yunes regarda l'enveloppe et releva les yeux vers le garçon métis qui se tenait devant lui, les pieds dans la neige.

— Pourquoi...

— Je ne sais pas Yunes, laisse tomber. Tout ce que je peux faire c'est te donner cette enveloppe. Le secret qui entoure Rudy est destiné à rester un secret jusqu'à ce qu'il décide de le faire éclater. Tu penses sûrement que nous savons tout, mais tu te trompes. Tu sais des choses qu'Andrew ne sait pas, Andrew sait des choses que tu ne sais pas, Alice sait des choses que nous ignorons... Chacun qui entoure Rudy prend sa part de révélations et de confidences. Quelque part nous sommes tous des pions à son service, liés par les sentiments, l'argent... Il nous rend aveugle.

— Et pourquoi est ce que tu me donnes ta part de secrets ?

— Parce que personne ne mérite d'être dans ta situation. Et aussi parce que j'espère que tu vas te détacher de lui si tu assembles suffisamment de pièce de ce puzzle.

Le blond fronça les sourcils.

— Pourquoi est ce que tu veux ça ?

— Je ne sais pas ce qu'ils préparent, mais crois moi, tu vas être celui qui va trinquer à la fin. Et ce jour là il n'y aura plus personne pour te sauver, j'aurai disparu, et eux aussi. Fais attention.

— Attention a quoi au juste ?

— Au temps. Tout va aller très vite maintenant.



19:59 ~ Villa Gianelli

Rudy était rentré chez lui et s'était enfermé dans sa salle de bain, les yeux piquants, la rage au ventre. Il haïssait son père, il haïssait son oncle, il haïssait toute sa famille, il haïssait sa mère de l'avoir laissé, il se haïssait de n'avoir de l'emprise que sur les choses matérielles. La nuit était déjà tombée. Il retira tous ses vêtements en tremblant, autorisant ses larmes à couler le long de ses joues maintenant que personne ne pouvait plus le voir. Son chagrin était comme une lame qui entaillait ses joues et incendiait sa poitrine.
Ça n'était pas une douleur naturelle, si vive et cruelle. Mais comme disait son père, c'était certainement parce qu'il était fou. Et la dure réalité ne manquait pas de lui rappeler que jamais personne ne pourrait le sauver de lui même. Errer dans une solitude chaque jour plus profonde était ce qui l'attendait, jamais il ne pourrait se dépêtrer des filets de la corruption et du vice. Jamais, jamais... jamais.

Toutes les belles choses posées sur les étagères de cette salle de bain, les bouteilles de cristal, les flacons, les bijoux, les miroirs, tout vola en éclat sur le carrelage de porcelaine. Il pouvait hurler de rage et de tristesse, personne ne venait l'aider, et personne ne viendrait jamais. Il n'irait pas au rendez vous qu'il avait donné ce soir, ni nulle part, rester là lui allait très bien, personne n'avait envie de le voir de toute façon, personne n'aime voir les monstres lorsqu'ils sortent de sous le lit. Personne ne veut voir le vrai visage d'une âme en peine. Ses sanglots étaient violents, ses cheveux se collaient à la transpiration sur son front. Il leva la tête et contempla avec intérêt la boite en métal dans laquelle était enfermé le revolver qu'il avait gracieusement eut pour ses dix-huit ans, tout en haut d'une étagère. Son regard se détourna vers les médicaments qui étaient sensés le guérir. Il en avala assez pour ne plus pleurer.

Il se plongea dans l'eau brûlante du bain. Il s'était coupé en cassant des objets précieux, l'eau prit rapidement une teinte rosée et piquait ses plaies. Il observa le plafond en divaguant, ses sanglots avaient cessés. Il ferma les yeux, fatigué.

HEY, RUDYOù les histoires vivent. Découvrez maintenant