C O L O S S E O

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LXXXVI

Le vent attisait les flammes, la fortune flambait désormais comme du petit bois, Yunes ne s'était jamais sentit aussi subjugué. Ils venaient incontestablement de commettre un délit, en brûlant un bien de l'État, mais cela ne semblait pas les effrayer le moins du monde. Yunes avait déjà assisté à ce genre de scène d'autodestruction, sans le moindre sens à ses yeux... Il resta rivé sur l'écran, voulant revoir Rudy. Mais un bruit sourd se fit entendre et Andrew fit dévier la caméra vers l'horizon. Un hélicoptère de la police arrivait visiblement droit sur eux. On entendait juste la voix sarcastique d'Andrew en arrière plan :

« Ah, voilà nos copains, on vous laisse. »

Et le live se coupa net.

— Qu'est ce qu...

Yunes laissa tomber son téléphone sur ses draps, les mains tremblantes, le regard perdu. Il ne savait pas quoi faire, entre les conseils d'Illyes de ne pas intervenir, les allusions d'Andrew sur une potentielle rencontre ce soir, et son envie fulgurante de tout balancer contre les murs... Il se trouvait bloqué, comme paralysé, ressassant les dernière images de la vidéo. Au moins une minute s'écoula. Appeler Andrew, oui, c'est ça qu'il allait faire. Ses mains tremblaient tellement qu'il dû s'y prendre doucement, comme s'il avait peur de faire ça.

*

Bah t'en as mis du temps, j'ai faillit croire que t'avais pas vu la vidéo...

— Andrew... Qu'est ce que vous êtes en train de faire ? Demanda le blond d'une voix éteinte.

La je suis dans un des ascenseurs, pourquoi ?

— Et Alice ?

— Oh ça fait un bail qu'elle est partie déjà, elle doit sûrement être arrivée sur le toit de l'immeuble d'à côté à l'heure qu'il est.

Yunes ne comprenait rien, mais à ce stade, il était persuadé qu'il était trop tard pour comprendre quoi que ce soit.

— Et Rudy ?...

— Il est resté seul là haut. Pourquoi ?

Yunes sentit une bouffée de colère monter en lui.

— Quoi ? C'est une blague Andrew tu le laisses seul avec cet hélico pendant que tu te tires en douce ?! Reste avec lui !

— Eh calme toi darling t'as qu'à venir si t'y tiens tant, moi j'ai du taf là. Y'a personne dans le bâtiment on a réinitialisé tous les codes d'accès, la police sait qu'ils peuvent pas monter sur le toit sans utiliser les ascenseurs qui sont verrouillés donc ils viennent en hélico tu risques rien en passant par en bas, mais il doit y avoir déjà des centaines de personnes agglutinées devant la porte alors passe par une des entrées de service à l'ouest de la tour, t'as capté ?

Yunes ne répondit rien. Mais Andrew prit visiblement ça pour un oui.

Grouille toi.

*

Et il raccrocha. Yunes ne se le fit pas dire deux fois et sauta de son lit, enfila ses chaussures qu'il laça avec entrain avant d'attraper son manteau et de dévaler les escaliers de l'immeuble à toute vitesse. Il n'avait pas le temps d'appeler un taxi, la première bouche de métro n'était pas très loin en tapant un très très bon sprint. Et jamais de sa vie il n'avait couru aussi vite. L'air froid lui tailladait la peau et l'intérieur des poumons, il avait envie de chialer mais les larmes auraient certainement geler sur place. Il repensa à la première fois où il avait affronté Rudy en course, il l'avait poussé dans ses retranchements. Et aujourd'hui encore, il courrait pour le rattraper. Il ne sentait plus ses jambes. Heureusement un métro arriva en même temps que lui à quai et il s'infiltra à l'intérieur, reprenant son souffle tant bien que mal. Il posa sa tête en arrière contre la vitre du wagon, tapant frénétiquement du pied au sol. Quelle torture. Une boule s'était formée dans sa gorge, une autre dans son ventre. La frustration d'être écarté certainement.

En sortant, il pu observer l'agglomération de gens au pied de l'immense tour de verre, ainsi que des journalistes, quelques policiers et des camions de pompiers. Évidement, faire un feu en haut d'un bâtiment, quelle brillante idée.
Yunes avança dans la foule le plus naturellement possible, ayant envie de pousser tout le monde pour arriver à son but, l'ouest. En effet ce côté était relativement vide, puisque la fumée visible et les événements se déroulaient de l'autre côté. C'était une rue banale, encadrée par ce building, et un autre de la même taille juste à côté. Il tenta d'ouvrir l'une des portes de service mais elle était verrouillée. Yunes resta planté devant, paniqué à l'idée de ne pas pouvoir aller plus loin. Le digicode lui souriait presque. Le blond frappa un coup contre la porte, il n'en pouvait plus, il n'en pouvait plus de se faire balader de cette façon, de devoir résoudre des énigmes. Si seulement lui aussi avait pu être hacker comme Illyes, il aurait pu entrer sans soucis. Mais voilà le soucis, il n'avait aucun don particulier. Illyes, plus il repensait à lui plus cela l'énervait, pourquoi ne lui avait-il rien dit de tout ça ? Il était forcément au courant.

Illyes... Une lumière traversa son esprit. Zéro quatre zéro neuf. La porte se déverrouilla.
Il eut une brève pensée pour Beyoncé, avant d'ouvrir grand la porte et de s'engouffrer dans cet immense bâtiment.
Il poussa les portes les unes après les autres, jusqu'à atteindre le hall central. La police l'aperçu rapidement au travers des grandes baies vitrées, les agents lui hurlaient les choses qu'il ne pouvait pas comprendre, certainement de sortir immédiatement... Mais Yunes ne leur prêta pas plus de dix secondes d'attention et ouvrit l'un des ascenseurs. Il monta jusqu'au trentième étage, puis la machine lui réclama à nouveau un code. Zéro quatre zéro neuf toujours. Être seul dans ce bâtiment le faisait flipper à un point inimaginable, il avait peur de se faire descendre à tout moment. Mais Rudy l'attendait quelques étages plus haut. Et ce ne fut pas sans mal qu'il y arriva, le toit n'était visiblement pas un endroit très fréquenté.

Il grimpa donc jusque là et se retrouva plus haut que les nuages, debout sur cette immense dalle de béton sur laquelle trônait une gigantesque antenne lumineuse et de gros ventilateurs. Il se tourna pour observer autour de lui, c'était immense, et gris. Il n'y avait même pas de barrières de sécurité, à plusieurs centaines de mètres au dessus du sol, dans un fin brouillard, avec le bruit assourdissant de l'hélicoptère qui devait l'avoir repéré, et cette odeur de fumée...
Suivant sa logique il s'avança vers la fumée grisâtre qui s'élevait à l'opposé de lui. Mais la police dans l'hélicoptère ne semblait pas de cet avis et une grosse lumière fut pointée sur lui au milieu du brouillard. Le soleil était en train de décliner à l'horizon. Paradoxalement il n'avait jamais rien vu d'aussi beau.
Cette lumière aveuglante lui procura un stress insoutenable, comme un animal piégé devant les phares d'une voiture, il s'apprêtait donc à fuir, parce qu'il ne pouvait pas se faire choper avant d'avoir récupéré Rudy.
Mais au même moment il entendit un bruit d'arme à feu retentir dans l'immensité du ciel. Pas une petite arme, quelque chose de beaucoup plus gros, comme un canon. Puis un souffle chaud balaya l'atmosphère. L'hélicoptère avait explosé en vol. Le cerveau de Yunes le fit reculer instinctivement de quelques pas, regardant avec effroi l'engin de désagréger dans le ciel, pensant à tous ces gens en bas. Heureusement il vit le plus gros de ce carnage s'écraser sur le haut du gratte ciel d'à côté.
Yunes avait le souffle coupé. Qui avait osé faire ça ? Il tomba à genoux.

Il entendit alors un cliquetis devant lui, le brouillard s'était dissipé après l'explosion. Il releva la tête... Rudy se tenait devant lui, le regard plus sombre que jamais, une arme à la main, qu'il pointait droit sur lui, sans aucun scrupule.

— Qu'est ce que tu fais là ?

HEY, RUDYOù les histoires vivent. Découvrez maintenant