P R O N O S T I Q U E S

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XVIII

— Prends soins de lui ?... Répéta Yunes en détachant chaque mot comme s'ils avaient un double sens ou une importance capitale.

Zak haussa les épaules...

— Là je ne sais pas...

Le blond fit la grimace. Il pensait que Zak saurait une fois de plus quel était le message subliminal caché au seins de cette phrase biscornue...
Il appuya mollement sur le bouton de mise en veille de son téléphone et le laissa tomber à côté de lui.

— Quels sont tes pronostiques ?

— Mes pronostiques ? Demanda le châtain en penchant légèrement la tête d'un air interrogatif.

— Que penses-tu de tout ça ?

— Je pense que c'est étrange que cette histoire t'affecte autant. Tu ne me cacherais pas quelque chose ?... Lui demanda t-il en haussant les sourcils.

Yunes baissa la tête et tritura nerveusement un bout de couverture qui se trouvait entre ses jambes.

— Le soir où Rudy est venu chez moi travailler, après le cours de sport, on était sur le balcon, il devait être... aux alentours de vingt heures, il fumait sa clope, et puis là il m'a dit que je lui plaisais.

Zak ne dit rien. Yunes n'osa pas relever la tête, un peu gêné de lui raconter tout ça.

— Et depuis ça me reste dans la tête. Je me repasse la scène en boucle, en boucle, en boucle continue. Et c'est encore pire quand je le vois, inconsciemment j'aimerai que cette scène se reproduise. Il leva la tête. Tu trouves ça normal ?

— Je ne suis pas docteur en sentiments, mais tu couves quelque chose.

— J'ai l'impression de tomber dans le panneau, que tout ça c'est programmé pour lui. C'est pas normal de penser positivement à quelqu'un qui nous fait aussi peur.

— Alors comme ça tu as peur de lui ?

— Comment ne pas en avoir peur ? Répondit Yunes avec désappointement.

— Qu'est ce qu'il t'a fait ?

Yunes haussa les sourcils.

— Quoi ?

— Je te demande ce qu'il t'a fait pour que tu aies aussi peur de lui.

— Il m'a menti sur son nom de famille et m'a fait croire qu'il avait redoublé.

— Et donc c'est ça qui te fait peur ?... Lui demanda Zak la voix assaisonnée d'une pointe de sarcasme.

Yunes ne répondit pas de suite, réfléchissant à sa réponse.

— Non... Bien sur que non, mais au vu de tout ce que vous m'avez dit de lui...

— Nous ? Moi et Andrew ? Il rigola. Comme tu as pu le constater nos prévisions sont souvent foireuses alors...

Il se frotta la tête et le regarda l'air de dire fais comme tu le sens.

7h44 ~ Dans le bus

Yunes regardait le paysage par la vitre du bus salie de poussière. Le ciel était encore rose mais déjà la voûte céleste s'éclaircissait sur le pays pour laisser place au jour.
Zak était d'humeur morose, il se plaignait d'un mal de ventre depuis le réveil et semblait ne pas avoir dormi depuis trois jours.

— J'ai l'impression d'être un mollusque... Marmonna t-il tassé sur son siège.

Yunes le regarda d'un air de pitié et Zak trouva du réconfort dans le regard de son ami qui lui accordait un semblant de compassion. Le châtain soupira en apercevant le lycée par la vitre.

— Allons passer fièrement les portes de l'enfer... Annonça t-il en se levant, traînant son sac derrière lui.

La journée s'annonçait grise, l'esprit de Yunes l'était aussi, aussi gris que le pull qu'il portait. Aujourd'hui tout était gris.

Les cours d'anglais se déroulaient aussi avec Mme Clark en plus de la philosophie, et Yunes pensa alors qu'il serait à côté de Rudy, et peut-être aurait-il enfin une explication...
Mais la chaise resta vide, et jusqu'à la fin de l'heure, Rudy ne montra pas le bout de son nez.
Ni les heures suivantes, ni jusqu'à la fin de la journée. Et aucun professeur ne semblait s'en inquiéter.

Dans la soirée, Zakari fut prit d'une gastro affreuse décrite intégralement par snapchat durant toute la nuit. Yunes avait beaucoup ri, vraiment beaucoup. Il avait profité de cette nuit tranquille et du décalage horaire pour faire un face-time avec Élias et Louise. Et tout cela lui faisait oublier pour un temps le visage de Rudy, qu'il avait désespérément envie d'appeler, pour savoir où il était passé.

~ Vendredi

Le lendemain était encore plus morne que la veille, c'était une des dernières journées chaudes, et pourtant Yunes ne trouva aucun plaisir à aller au lycée. Zak était officiellement devenu son docteur en sentiments et lui avait prescrit de «ne pas faire le ouf» aujourd'hui «sous prétexte qu'il n'était pas là» et d'attendre que Rudy vienne le voir si jamais il se pointait.
Ce qui ne fut pas le cas. Évidement. Même Andrew était absent, pas grand monde pour éclairer ses huit heures d'ennui ; aucun signe de vie, ni d'un côté, ni de l'autre.

En rentrant chez lui, un vent tiède passait doucement dans ses cheveux blonds. Il avait la tête rempli par le travail qu'il avait à faire, et son téléphone vibra nerveusement dans sa poche.

**

Zak ?

Ah tu réponds enfin, je voulais te dire que je vais mieux... enfin j'ai toujours l'impression d'avoir un reptile dans le ventre mais j'ai arrêté de vomir et...

Passe moi les détails.

Bon d'accord... En fait je voulais juste te demander si tu avais vu Rudy ?

Non, il n'est pas venu.

Pas étonnant, il est souvent absent plusieurs jours d'affilé. Alors je t'accompagne au match demain.

Zak c'est pas raisonnable tu vas vomir partout c'est dégueulasse.

Je t'ai dit que j'avais arrêté de vomir ! Et puis si je ne viens pas je sais que tu n'iras pas, sauf que moi je sais que Rudy sera là, il ne rate pas un seul match...

Encore un de tes pronostiques foireux ?

Je te permets pas ! Et de toute façon il faut t'éduquer à la culture de notre pays, fini le foot occidental le vin rouge et le saucisson. Maintenant c'est foot américain, et je t'accompagne sans possibilité de négocier, sur ce, je vais vomir, bisou.

**

Et il raccrocha.

Yunes étira un sourire moqueur, et monta chez lui.

Sa première initiative fut de se mettre en pyjama, il aurait bien aimé sortir, mais sans personne, il trouvait ça triste.
Il mâchonnait un gâteau, assis sur le béton gris du balcon chauffé par le soleil... Son esprit était embrumé par des souvenirs nostalgiques et il laissa son imagination divaguer à droite à gauche en regardant les oiseaux survoler les toitures.
Son portable vibra sur le béton à côté de lui, il pencha distraitement les yeux dessus et se sentit soudainement apaisé, comme si une vague de chaleur confortable venait de le recouvrir.

« On se voit demain »

HEY, RUDYOù les histoires vivent. Découvrez maintenant