L O U A N G E S

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LVIII

                Quelle douce ironie. Elle se lisait à présent dans les yeux de Rudy qui venait d'entamer une certaine revanche. Son regard lui faisait peur ; autant que la totalité de son être. Comment pouvait-il aimer une personne aussi effrayante ?
Quoique effrayant n'était peut- être pas le bon mot. C'était plus quelque chose de tragique. Comme s'il n'avait pas choisit d'être aussi haïssable.
C'était tout à fait Rudy en quelque sorte. Mais Yunes avait peur de n'en voir encore qu'une petite partie.
Le brun remonta dans sa voiture sans se faire prier et Yunes observa la voiture s'éloigner dans l'horizon couvert de blanc. Ses jambes pivotèrent d'elles même et le portèrent dans la neige sur la route du retour.
Le froid n'était plus qu'un détail au fond de ce cauchemar. Et Illyes dans tout ça... il ne comprenait pas. Il ne comprenait pas pourquoi il ne lui avait pas dit. Pourtant ils s'étaient vu au dojo deux fois ; pourquoi n'avait-il pas remarqué qu'ils se connaissaient ?

Rudy ne pouvait pas mentir, Illyes avait l'air bien trop impliqué.
La route était en serpentine à l'orée des quelques arbres de la bordure de New-York, nus et vide de leurs feuilles.
Il voulait rentrer en France, maintenant et tout de suite, retrouver son lit, la chaleur des fêtes dans Paris. Elias et Louise, sa tortue et son bonheur certain. Sauf qu'il ne pouvait même plus regarder son père en face, il aurait bien trop envie de lui balancer son poing dans la figure. Et rien que le fait d'être la progéniture d'un homme avec aussi peu de droiture l'écœurait.
Pour la première fois il avait envie de disparaître, s'endormir cent ans en se piquant le doigt sur un fuseau.

Ses larmes ne coulaient plus, comme si elles avaient gelé à l'intérieur de son corps. Plus rien ne sortait, ni son ni plainte. On pouvait juste apercevoir encore le bleu de ses yeux fatigués et irrémédiablement tristes.
Il rentra chez lui dans le plus grand des silences, ne jetant même pas un regard au voisin qui lui disait bonjour.
Tout était si morne et si délabré. C'était vraiment moche à en crever.
Il rangea son appartement comme un automate, pour ne plus voir le bordel fleurir sous ses pieds. Puis il pensa à prendre ses médicaments mais n'avala rien d'autre, l'appétit coupé par le sentiment de malaise qu'il ressentait.

Enfin il décida de se recoucher malgré le fait que son réveil affiche les treize heures de l'après midi.
Et là il se demandait à quoi pouvaient bien servir les paquets de muscles qui s'étaient encore durcit sous sa peau ces derniers temps. Même plus capables de le porter correctement. C'était ça le truc, c'était psychique ; il avait le cerveau en vrac.
Et comme à son habitude par les jours de grande fatigue ou de déprime il s'enroula dans sa couverture, laissant dépasser sa tête et rien de plus, réfléchissant à s'en rompre les neurones.
Même si à vrai dire c'était des pensées très vides qui lui traversaient l'esprit, comme si son âme avait quitté son corps pour d'autres horizons.
Parce que ça n'était plus de la déprime, c'était un retour sur Terre inattendu et très mal venu au vu de la situation.
Sa mère ne l'avait pas abandonné, et Illyes se trouvait être l'une des anciennes relations de Rudy qui venait de le quitter pour un mois et demi... ou même définitivement, il ne savait pas.
Et toute cette monstrueuse journée grisâtre se déroula sous une couette sans bouger, jusqu'à ce que le soleil se couche et qu'il s'endorme, usé jusqu'à l'os par ses pensées.

Ce fut vers trois heures du matin, alors qu'il prenait son médicament, que le trop-plein s'autorisa à sortir.
D'abord quelques larmes, et rien de vraiment inhabituel pour un garçon au bord du gouffre et confronté à des peurs inconnues.
Puis une violente crise de chagrin. Quelque chose qui le rongeait jusqu'au fond du ventre, qui lui bloquait le diaphragme, qui l'empêchait de reprendre son souffle entrecoupé de sanglots tortueux et bruyants. Son beau visage se déformait, comme si une force invisible lui passait des aiguillons sous la peau pour le torturer davantage.
Comme un petit enfant, qui viendrait de perdre sa maman. Comme un ado entiché aveuglément, regardant avec vertige son amoureux lui filer entre les doigts.
Ça oui il avait mal, mal au cœur et à l'amour.

HEY, RUDYOù les histoires vivent. Découvrez maintenant