S O U V E N I R S

11.2K 1.3K 153
                                    

XVI

               Yunes les regardait, parce qu'il n'avait aucune envie que Rudy croit qu'il pouvait être soumis en baissant le regard, ou pire, en quittant les lieux.

Andrew semblait joyeux et s'agitait beaucoup. Plus l'équipe arrivait près du terrain. Plus le cœur de Yunes s'emballait. Il allait rester jusqu'à la fin de l'entraînement de Zak sûrement, et il allait également devoir observer ces joueurs de foot. Rudy marchait d'un pas lent et détaché, comme si les crampons de ses chaussures l'attiraient vers le sol. Il avait le regard dirigé au loin, ou vers Andrew ; il paraissait dans le vague. Leur équipement les faisait paraître encore plus grands qu'ils ne l'étaient. Chacun portait son casque à la main et Andrew tenait un ballon oval sous le bras.

Son regard jaune dévia vers lui, sans qu'il s'arrête de parler une seconde.
Rudy semblait l'écouter attentivement, avec pour seule expression un haussement de sourcil de temps à autre.
Est ce que Yunes pouvait réellement faire confiance à Andrew ? Non de toute évidence. Il était l'ami de Rudy, pas le sien.

Soudain, il vit Zak débarquer dans les gradins, montant les escaliers quatre à quatre. Il s'assit à côté de lui, essoufflé.

— Qu'est ce qu'il y a ? Demanda Yunes étonné.

— J'ai demandé à Louis d'arrêter pour aujourd'hui. J'ai mal au poignet depuis quelques temps. J'aurai pu rester sur le banc mais en voyant l'autre équipe arriver je me suis dit que tu ne refuserais pas un peu de compagnie.

Yunes étira un sourire.

— En effet...

Zakari retira son gant et sortit un strap de sa poche pour se bander le poignet. Il déchira l'emballage avec les dents et et leva le doigt pour signaler qu'il voulais dire quelque chose. Une fois la bouche libre il regarda l'équipe de foot qui était arrivée au milieu de la moitié de terrain qu'il pouvait occuper et l'interrogea.

— Tu dois te poser pas mal de questions non ?

Oui il s'en posait beaucoup, enfin... une seule en réalité : quel était le problème ?

— À propos d'eux ? Demanda le blond en pointant les joueurs du menton.

— Mh mh. Surtout Rudy.

— Je me demande pourquoi il est comme ça c'est vrai. D'ailleurs pourquoi est ce que tu as réagis aussi brutalement tout à l'heure ?... C'était si déplacé de ma part mes « envies de vengeances meurtrières » ? Demanda Yunes en mimant des guillemets au dessus de sa tête.

Zak rigola.

— Ça va faire douze ans que je le fréquente et cinq ans que je suis dans la même classe que lui... Je ne vais pas dire qu'on s'entend bien, mais on s'est déjà parlé quelques fois, et je l'ai toujours trouvé extrêmement triste et...

— Triste ? Comment tu peux dire ça... Ce mec ment sur son âge et son nom de famille et ça passe crème parce qu'il entretient une allure de mec ténébreux, c'est qu'un masque pour qu'on s'intéresse à lui, c'est...

— Je n'en suis pas si sûr... Enfin, ne va pas croire que je le défends hein. D'ailleurs j'ai toujours eu très peur qu'il s'en prenne à moi. Avoua t-il en se frottant l'arrière de la tête d'un sourire gêné.

— Qu'il s'en prenne à toi ? Qu'est ce que tu racontes ? Demanda Yunes avant de tourner la tête pour observer ce que faisait Rudy, tourné vers lui prêt à enfiler son casque. Les yeux toujours aussi sombres.

— Tu ne peux pas savoir le nombre de personnes qui sont ressorties complètement détruites d'une relation avec lui...

— Mais de quoi as tu peur ?

— Laisse moi finir, sinon je vais pas y arriver.

Yunes se tourna carrément vers lui, les jambes en tailleurs sur le banc, prêt à écouter tout ce qu'il avait à lui dire.
Zak termina son bandage, puis leva les yeux.

— Je crois que ça a commencé quand il est entré à Avery. Je suis arrivé la même année que lui. On l'a déposé le jour de la rentrée et il hurlait dans les bras de sa nourrice le nom de ses parents, les enseignants ont mis toute la journée à le calmer mais déjà à cette époque c'était étrange... Les adultes n'osaient pas le toucher, comme si le moindre faut pas avec cet enfant allait leur coûter leur emploi. Deux mois plus tard j'ai compris, en voyant Mr Gianelli débarquer à l'école un matin, il était venu chercher son fils dans une très belle voiture. C'était un homme de belle carrure, propre sur lui et il avait l'air confiant. À ce moment là en voyant père et fils à côté, on a tous compris qu'il y avait un océan entre notre milieu social et celui des Gianelli. C'était un drôle de choix qu'avait prit son père de le mettre dans cette école de banlieue quand on y pense... Ce jour la, ils sont partis à Washington pour enterrer sa mère. Je ne sais pas comment ni pourquoi elle est morte, mais je sais que la famille Gianelli avait été ébranlée par un divorce catastrophique, clos par la mort tragique de Mme Gianelli. Pendant les deux mois qui séparaient la rentrée et la mort de sa mère on avait eu droit à des pleurs à répétition, et puis après plus rien. Il est revenu tout sombre, encore plus qu'avant, il ne parlait plus et ne supportait plus la moindre compagnie. Andrew est le seul qui est allé lui chercher des poux, accompagné d'une fille dont je ne connais toujours pas le nom. Il le cherchait tout le temps en rigolant, et puis ils se bagarraient souvent aussi. Tellement souvent qu'ils sont devenus inséparables. J'ai toujours cherché à savoir qui était Andrew... Et ce qui avait fait que Rudy l'avait accepté. Ils étaient tellement différent et à la fois tellement semblables. Deux êtres submergés par des remords et des secrets qu'ils ne savent pas exprimer, et voila le tableau : ils ont des vies bien trop tristes et superficielles pour vivre normalement. Alors maintenant ils vivent de soirées, de bêtises, de fugues et de jeux d'argent... et personne ne dit rien, parce que Rudy à les moyens de masquer tout ça. C'est ce que je me dis quand je les regarde.

Yunes ne dit rien. Interloqué par toutes ces informations ; il avait toujours cru que Zak connaissait Rudy depuis le lycée, mais en réalité il en savait bien plus. Il regarda son ami longuement, puis tourna à nouveau la tête en direction de Andrew et Rudy, en cercle avec le reste de leur équipe, pour une réunion de post-entraînement.

— Et pour répondre à ta question... Je pense que la moindre personne qui entreprendrait une quelconque vengeance envers lui, finirait la tête dans les toilettes ou bien le cœur ravagé par des sentiments malheureux.

Peut être Yunes avait-il mal jugé son compagnon de travail, mais en attendant, il n'éprouvait qu'une cruelle pitié à son égard.

— Est-ce que tu veux venir dormir à la maison ce soir ? Lui proposa Zakari d'un faible sourire, comme si remuer ces souvenirs avait laissé place au blues. Le blues d'une après midi de fin d'été, le blues d'un souvenir d'enfant.

Yunes accepta sans hésiter ni réfléchir, et ils ne se firent pas prier pour quitter le stade, ou l'atmosphère était devenue pesante.

En descendant les marches, Yunes observa Rudy qui discutait avec un autre gars ; il n'arrivait pas à le quitter des yeux. Sans trop savoir pourquoi.

Rudy s'aperçut alors que Yunes et Zakari s'apprêtaient à quitter les lieux et il avança vers eux, abandonnant sa conversation passionnante. Le blond préféra détourner le regard, jusqu'à sentir une main sur son épaule qui le retenait.
Mais s'en était trop, il n'avait pas envie de le voir, ni de lui parler, ni même de sentir sa main, qu'il dégagea donc avec toute la nonchalance dont il pouvait faire preuve en lui lançant un regard assassin.

Rudy ne sembla pas réagir, ou peut être était-il blessé mais ne le montrait pas. Yunes s'en fichait, il se détourna pour continuer son chemin et croisa le regard d'Andrew qui affichait une grimace comme si Yunes venait de commettre l'irréparable.

HEY, RUDYOù les histoires vivent. Découvrez maintenant