« Chapitre 2 : Olivia. »

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   Olivia est la première - pour ne pas dire la seule - amie que je me suis faite depuis mon transfert à l'université de Small Heath en début de seconde année il y a quelques semaines. Parfois, j'aime penser que ce n'est pas juste parce que nous sommes colocataires qu'elle me parle, parce qu'en toute honnêteté, je la trouve plutôt cool.

   Notre sublime (non) appartement se trouve à deux arrêts du campus, mais je préfère marcher plutôt qu'attendre pendant dix-sept minutes sous la pluie jusqu'au prochain bus. Par chance, j'ai un petit parapluie télescopique sur moi - et oui, pour une fois qu'il sert à plus qu'à alourdir mon sac pour rien! Mais il y a tellement de vent que je n'ai pas l'impression que cela serve à grand chose, pour ne pas dire à rien du tout. Une fois que j'ai monté les trois étages jusqu'à mon nouveau chez-moi (ascenseur? Dans les années 60, ça n'existait peut-être pas), mes cheveux, d'habitude brun foncé, sont presque noirs à cause de l'eau et me collent sur le visage.

- Linn? demande-t-elle au moment où je ferme la porte derrière moi. J'espère que c'est toi, Linn!

- Qui d'autre? (Je tiens le parapluie à bras tendu de ma personne afin qu'il ne me trempe pas plus le jean que c'est déjà le cas.) Tu es prête?

   Je l'attends, immobile sur le tapis dans l'entrée pour pas salir tout le faux parquet qui recouvre le sol. Une seconde plus tard, Olivia apparaît, ses cheveux frisés eux aussi mouillés, mais eux à cause de la douche. Elle enfile un manteau beige qu'elle porte par-dessus sa tenue d'infirmière, puis je referme la porte derrière nous et nous descendons dans la cage d'escaliers. Dehors, nous marchons le long de deux pâtés de maisons avant d'arriver jusqu'à ma voiture, une petite Peugeot 106 rouge qui est probablement aussi vieille qu'Olivia et moi réunies. Mais elle roule. Ne parlons pas de malheur.

   Olivia a six ans de plus que moi, un bébé (Joshua, je ne suis pas très bébé mais c'est vraiment un adorable petit truc) et a repris des études de médecine. Son fils et son compagnon vivent à l'autre bout du pays et pour financer tout ça, elle travaille à temps partiel dans un hôpital de la ville.

   C'est bien beau, mais pourquoi suis-je actuellement en train de conduire Olivia jusqu'à l'autre bout de Birmingham? Olivia n'a pas le permis, qu'elle a raté selon ses propres dire un nombre trop grand de fois pour pouvoir l'évoquer en public. Pas grave : en temps normal, elle prend le bus pour aller au travail. Sauf que... et bien, sauf que les Shelby sont passés par là! A cause de la construction d'un nouveau quartier au nord de la ville, toute une partie des routes sont fermées et donc inaccessibles à la circulation. Ce qui veut dire que la ligne D des bus est tout simplement supprimée et que le commun des mortels comme Olivia doit compter sur ses amis pour l'emmener jusqu'à l'hôpital trois fois par semaine. En temps normal, elle fait du co-voiturage avec une de ses collègues, mais cette dernière étant malade, j'ai proposé de faire le trajet à sa place.

   Cela ne me dérange pas, j'aime bien conduire. Depuis le siège passager, Olivia est en train de bidouiller la vieille radio de la voiture, à la recherche d'une fréquence qui ne grésillerait pas.

- Olivia, tu as beau essayer ça ne...

- Ah, chut! Voilà! s'exclame-t-elle en montant le volume. Tu as vu? (Elle affiche un sourire satisfait.) J'ai ça dans le sang moi, l'électronique, ça vient du côté de mon père.

- Il n'était pas mécanicien, ton père?

- Chut, écoute! m'ordonne-t-elle en levant un doigt en l'air. C'est un interview de Thomas Shelby!

   Quand un Shelby parle, Olivia écoute. Non, tous les habitants de Birmingham ne sont pas aussi fans de l'empire Shelby qu'elle, mais quand-même un grand nombre.

- Il dit quoi? Il donne son avis sur la situation d'import-export avec l'Irlande du Nord? (C'est effectivement ce qu'il est en train de faire. Je ne l'avouerai pas de mon vivant, mais il a une voix agréable à écouter.) Sérieusement, Olivia? Depuis quand ça t'intéresse, ça?

   Je ne peux m'empêcher de sourire, car je connais la réponse.

- Ce mec, il peut raconter n'importe quoi, il... il pourrait me parler de pingouins en Antarctique ou je sais pas quoi, je l'écouterais quand-même. Et puis oh, Linn, ça va, hein! Tout le monde sait que tu peux pas les blairer, mais t'es obligée d'admettre qu'ils font des trucs bien aussi, la Shelby Company Limited. Sans eux, on aurait pas cette université gratuite juste en face de chez nous! Et c'est une des entreprises qui payent le mieux leurs salariés au monde - même ceux tout en bas de l'échelle! Je suis sûre que chez eux, être femme de ménage ça paye mieux que ce que je fais moi avec mon bac+3... Et là, je parle même pas de tous ces orphelinats et associations qu'ils sponsorisent...

   N'ayant pas envie d'entraver sa bonne humeur, je décide d'aller dans son sens, même si cela me force à mentir un peu. Non, pas à mentir. Disons à embellir les choses.

- Je ne dis pas le contraire, vive les orphelinats! C'est juste que... bref, comme tu le dis, si j'ai un problème avec eux, ça doit venir de moi.

   Mais elle ne m'écoute déjà plus, plongée dans ce que monsieur Shelby raconte à la radio. Une dizaine de minutes plus tard, alors que nous sommes presque arrivés à destination, je décide de lui faire part de ma petite rencontre d'avant.

- Tu sais, Olivia, si déjà on parle des Shelby...

   Je la vois du coin de l'œil tourner la tête dans ma direction et ne peux qu'imaginer le regard suspicieux qu'elle doit être en train de me lancer.

- Dis moi tout.

- Avant, à la bibliothèque...

- Avant, à la bibliothèque... répète-t-elle pour que j'accélère un peu.

- Avant, à la bibliothèque...

- Arrête de faire durer le suspense!

- C'est toi qui m'interromps! Ok, donc imagine le truc : j'étais tranquillement en train de rendre mes livres sur Tesco - je t'ai parlé de cet exposé que j'avais à faire? Figure toi qu'en 2019, c'est aussi le centenaire des supermarchés Tesco!

   Olivia me dévisage comme si l'humanité entière se contrefichait des supermarchés Tesco.

- On s'en fiche des supermarchés Tesco!

   Je fais mine d'être outrée face à un tel propos tout en m'arrêtant pour laisser une dame avec poussette traverser à un passage piéton. La voiture de l'autre côté de la route ne s'est pas sentie concernée par la petite famille, ce qui lui vaut une floppée d'insultes que je n'entends pas de la part de la mère.

- Je disais..., dis-je en faisant mine d'être vexée. Donc je rendais mes livres sur Tesco, lorsque tout à coup, je me retourne et...

- Et...

- Et il y avait le jeune, là!

- Le jeune? Quel jeune? Quand même pas John Shelby?

   Je ne peux m'empêcher de sourire en la sentant s'affoler à côté de moi. Au moins, elle aura quelque chose de marrant à raconter à ses collègues pendant son poste de nuit.

- Qu'est-ce que John Shelby ferait à l'université de Small Heath? Non, c'était pas lui.

- Oh mon Dieu, c'était Michael, alors! Tu as vu Michael Gray?

- Mieux que ça : je lui ai parlé!

- Non!

- Si! Je lui ai dit: Bonsoir, monsieur Gray - bon, ça faisait un peu 50 Shades quand on l'entend comme ça mais...

   Elle me secoue par l'épaule.

- Linn! Je! Vais! Te! Jeter! Hors! De! Cette! Voiture! Qu'est-ce qu'il faisait à la bibliothèque?

- Arrête de me faire rire, je vais nous envoyer dans le fossé, là! Il empruntait des livres, mais j'ai pas réussi à voir lesquels. Tu penses qu'il doit payer un abonnement?

- Linn, la moitié des salles de l'université portent son nom, je pense pas qu'il ait besoin de payer un abonnement. J'ai vu des posts sur Twitter d'étudiants qui disaient l'avoir aperçu se balader sur le campus, mais je pensais pas que c'était vrai...

- Et bien c'est vrai, visiblement.

Michael Gray » Peaky Blinders AUOù les histoires vivent. Découvrez maintenant