« Chapitre 52 : H2O »

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- Linn?

   La voix de Michael me parvient étouffée à travers la porte fermée de la salle de bains. Assise sous la douche, le dos collé contre le carrelage du mur, j'ai perdu toute notion du temps et ai probablement fait exploser la facture d'eau de Michael. Et j'ai vidé la moitié de son flacon de shampoing, aussi, mais c'est pas grave au moins je sens le Michael maintenant et si je me concentre assez en pensant au fait que je sens le Michael, j'arrive à oublier qu'il y a encore quelques minutes, l'eau s'écoulant vers les égouts était teintée du sang rouge de Kimber qui était collé contre mon visage et que...

- Linn? 

- Je ne suis pas morte. Désolée, j'arrête de faire couler l'eau, ça va coûter une blinde et...

- Linn. Tu restes là dessous jusqu'à demain matin si tu veux, d'accord? Je vais juste ouvrir la porte pour te poser des vêtements propres par terre. Je ferme les yeux.

   A travers la paroi en verre recouverte de buée de la douche, je vois la porte s'entrouvrir, une petite pile de vêtements glisser sur le sol et la porte se refermer.

   Je serais probablement restée encore sous la douche pendant un moment, mais la perspective d'enfiler des habits de Michael combinée au fait que l'eau commence à refroidir de toute façon me fait changer d'avis. Je me relève en essayant de ne pas glisser - mourir dans la douche après tout ce qui vient de se passer, non merci -, éteins le jet d'eau et attrape une serviette accrochée contre le mur avant de sortir de la douche. Ensuite, j'enfile les vêtements que Michael a apportés - un sweat-shirt et un jogging gris qui doivent déjà être un peu larges sur lui, alors sur moi je dis même pas, ainsi qu'une paire de chaussettes blanches. 

   Lorsque je jette un regard dans le miroir, ce dernier est par chance encore recouvert de buée et je n'ai pas à affronter ma tête qui doit avoir l'air d'être sortie d'outre-tombe.

  Je respire un grand coup, comme si le fait d'amener plein d'oxygène aux cellules de mon cerveau allait améliorer quoi que ce soit et ouvre la porte. Michael se tient dans le couloir à quelques mètres de là. Pendant que je me douchais, il a troqué son costume pour une tenue similaire à la mienne - probablement parce que j'avais mis du sang partout sur lui. Quand il me voit, il fait quelques pas dans ma direction et me resserre dans ses bras. Oh mon Dieu, oui. 

   Mais ce moment de quiétude ne dure pas longtemps.

- Tu as fini, Linn? j'entends ma mère appeler d'en bas. 

- J'arrive, je réponds à travers le pull de Michael et je ne suis pas sûre qu'elle ait entendu quoi que ce soit. 

   Quelques instants après que Michael soit arrivé me retrouver à côté des cadavres, c'est ma mère qui a fait son apparition. Elle était encore plus paniquée que le jour où une fois en CP je m'étais dit que c'était une bonne idée que de tenter de rentrer à pied toute seule au lieu de l'attendre et que mes parents avaient fini par appeler la police, uniquement pour trouver Linn, 6 ans en train de patienter tranquillement, le temps que quelqu'un vienne ouvrir la porte de notre appartement. 

   Polly a donc eu à gérer non seulement un Michael qui n'était pas du tout content d'avoir été le seul à ne pas être au courant des plans de Thomas, mais également ma mère, qui se plaignait à peu près de la même chose, mais en traitant les Shelby avec un panel de noms d'oiseaux plus variés que Michael. Je ne sais pas trop quand, mais c'est à peu près par là que j'ai compris que ce n'était ici pas la première fois que Polly Gray et Rivka Pritchard se criaient dessus, et j'ai aussi compris que j'étais la seule pour laquelle Billy Kimber était un inconnu au bataillon. 

   Au bout d'un moment, la situation s'est un peu calmée quand Polly a expliqué en long, en large et en travers que les pistolets des Kimbers étaient trafiqués et que je ne risquais rien du tout. Comme si c'était la chose la plus normale du monde, notre petit quatuor de choc s'est donc rendu dans la maison de Michael pour que je puisse me laver. 

   Depuis que je suis montée à la salle de bains, nos mères ont pris le thé dans le salon en bas - ou en tout cas, j'espère qu'elles ont pris le thé et qu'elles ne se sont pas entre tuées ou quelque chose comme ça.

   Mais lorsque je descends l'escalier derrière Michael, je vois que la situation semble s'être quelque peu calmée. Elles sont assises autour de la table, des tasses vides devant elles. 

   Michael reste debout et va s'adosser contre la fenêtre. J'hésite à faire pareil, mais vais finalement m'asseoir à côté de ma mère qui se tourne immédiatement vers moi et libère certaines de mes mèches de cheveux mouillées qui étaient encore coincées entre mon cou et la capuche du pull.

- Tiens, brosse-toi les cheveux après dans la voiture, dit-elle ensuite en ouvrant son sac à main et en en sortant une brosse pliable. Ils ne sécheront pas correctement sinon.

   Sachant pertinemment que négocier ne sert à rien, je prends la brosse et la pose sur mes genoux, mais reviens quand-même sur un certain point.

- Dans la voiture? Maman, je vais pas...

- Tu ne vas quand-même pas rester là! Non, tu rentres à Londres avec moi et...

- Rivka, commence Polly, ta fille va s'endormir sur place, je ne pense pas que trois heures de voiture soient une bonne idée. Elle peut rester ici.

- Elle peut dormir dans la voiture, rétorque ma mère sur un ton sans appel en se levant. Linn?

   Mais je ne bouge pas. Je n'ai pas envie d'aller à Londres avec ma mère, qui s'est bien cachée de me dire qu'elle était une sorte de double-agent Solomons à la retraite ou je ne sais quoi. Est-ce que mon père est au courant, au moins? Est-ce qu'elle avait prévu de m'informer de ce fait à un moment ou à un autre? Qu'est-ce qu'elle s'est dit quand je lui ai présenté Michael, qu'à aucun instant quelqu'un de sa famille ne dise «tiens, mais c'est Rivka qu'on connait tous pour une raison obscure ou une autre!»? 

- Je vais rester ici, maman. Tu m'envoies un message quand tu es bien arrivée?

   Pendant une seconde, je crois qu'elle va protester et me faire un discours à la ma-fille-je-suis-ta-mère, mais elle finit simplement par soupirer.

- A la moindre chose, tu m'appelles. D'accord? Polly, je ne te fais pas confiance, mais fais attention à ma Linn. Et toi, jeune homme (Elle se tourne vers Michael, qui n'a pas bougé et le pointe du doigt.) - toi...

   Elle ne finit pas sa phrase. Elle referme son sac à main et Polly se lève pour aller l'accompagner jusqu'à la sortie. Je les entends parler à voix basse, mais n'arrive pas à comprendre ce qui se dit. Je reste assise et mets ma tête entre mes mains. Polly n'avait pas tort, je crois que je pourrais dormir 72 heures d'affilée sans problème.

   J'entends la porte d'entrée se fermer et ensuite, c'est le silence complet. Polly a du partir elle aussi. 

   Quelques instants plus tard, j'entends Michael s'asseoir sur la chaise à côté de moi.

- Je peux te ramener chez toi à Birmingham si tu veux, commence-t-il. Ou tu peux rester ici aussi, si tu préfères. Comme tu veux. Ou bien, entre les deux, tu peux aller au manoir à côté, ou je peux aller à côté et toi tu peux rester ici et...

- Je peux rester avec toi? je demande en levant un peu la tête. Enfin, si ça te dérange pas bien sûr, sinon...

- Linn. (Je crois que son visage semble se décrisper un peu, mais je ne suis pas sûre.) Viens, on va te trouver un meilleur endroit pour dormir que cette table.

   Il se lève et je fais de même.

Michael Gray » Peaky Blinders AUOù les histoires vivent. Découvrez maintenant