« Chapitre 12 : Birmingham. »

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   En rentrant, je n'ai pas eu le courage de raconter à Olivia ce qui s'est passé. C'est d'ailleurs la seule raison pour laquelle je me suis forcée à aller en cours : ne pas devoir lui raconter et faire comme si rien de tout ça n'avait eu lieu. Ensuite, j'ai traîné à la bibliothèque jusqu'à la fermeture, en cherchant sur le site de pôle emploi quelque chose pour m'aider à arrondir les fins de mois. Pour l'instant, je n'ai rien trouvé ne demandant pas un an d'expérience dans le prêt à porter ou dans la restauration, ni ayant des horaires un minimum adaptées à mon emploi du temps.

   Comme tous les soirs, les jours où elle ne travaille pas, Olivia m'a demandé si j'avais vu monsieur Gray aujourd'hui. J'ai répondu que non, ce qui n'est pas mentir. Pas vraiment

   Par chance, elle avait un devoir à terminer pour ses cours et n'a pas insisté en posant plus de questions. Je pense que ma mine déterrée devait y jouer pour un peu. 

   J'ai mis longtemps à m'endormir ce soir-là. D'abord, j'ai rejoué la scène en boucle et en boucle dans ma tête, à essayer de comprendre le pourquoi du comment. Ensuite, j'ai pensé à ma famille, à mes parents qui travaillent effectivement pour Solomons Industries - ma mère en tant que secrétaire et mon père comme chauffeur. Je devrais leur donner plus souvent de mes nouvelles, d'ailleurs - mais pas pour leur raconter que j'ai été accusée d'espionnage à cause d'eux. Oh non, pas ça. 

   En suivant le fil de ces pensées, j'arrive bientôt à quelque chose qui me travaille l'esprit depuis pas mal de semaines, maintenant. Je n'aurais pas dû revenir à Birmingham. Cette ville a toujours été corrompue jusqu'à l'os, dirait ma mère, et pour la première fois, je vois vraiment de quoi elle parle : ainsi, les Shelby ont le pouvoir de dire à la police quoi faire et où aller? Mais dans quel monde on vit, au juste? 

   Mais malgré tout, ça reste la ville où j'ai grandi, dans un petit appartement au rez-de-chaussée d'un complexe de lotissement des années 80. Parfois, quand j'emmène Olivia à son travail, je fais un petit détour - juste deux rues plus loin, rien de fou - pour passer devant. Les murs orangés de l'immeuble n'ont toujours pas été repeints - je me souviens que c'était un combat que les habitants menaient contre le propriétaire ; combat qui n'a donc jamais été gagné. A l'endroit ou était accrochée une balançoire sous le balcon des voisins d'en haut - balançoire accrochée d'une façon ne respectant probablement aucune norme de sécurité quelconque, d'ailleurs - se trouve désormais une sorte de machine à laver qui devait certainement être blanche il fut un temps. Je ne suis pas certaine, mais je crois que les anneaux de la balançoire sont encore enfoncés dans le balcon d'en haut.

   Notre appartement à Londres était plus grand, moins chaud en été, moins froid en hiver, mais... je sais pas, ce n'est pas pareil. Quand je rentrais du collège les premiers mois après notre déménagement, j'avais l'impression d'aller dans une sorte d'hôtel, comme si on était en vacances dans un Formule 1 près d'une aire d'autoroute. 

   Au moins, ce n'était plus à Birmingham. Je ne sais même pas si mes parents étaient véritablement mieux payés à Londres - ils disent toujours que c'est pour ça qu'on a quitté Birmingham, mais je ne suis pas si sûre. A mon avis, ils voulaient surtout quitter Birmingham pour ne plus être à Birmingham, tout simplement.

   Et me voilà, quelques années après, de retour dans cette maudite ville. L'univers a définitivement un sens de l'ironie.

* * *

   Méditer sur le sens de la vie m'a pris une bonne partie de la nuit, ce qui fait qu'en me réveillant le lendemain matin, je suis complètement dans les choux. Le seul point positif dans cette histoire, c'est que comme les cours ne commencent qu'à 11 heures le vendredi et que je n'ai plus à aller au travail avant, je peux traîner au lit un peu plus longtemps. Ce n'est qu'une maigre consolation, mais consolation quand-même. 

   Une fois levée, je décide d'aller piocher dans la collection de thé d'Olivia. Elle les range dans une sorte de boîte brune qui a la forme d'un jeu d'échecs, où les sachets sont classés par ordre alphabétique - oui, vraiment. Je parcours la boîte du regard et suis interpellée par un sachet rose pâle sur lequel est inscrit SWEET DREAMS en lettres calligraphiées dorées. 

    Parfait, c'est exactement ce qu'il me faut : que tout ça ne soit au final qu'un mauvais rêve.

   Je mets de l'eau à chauffer dans la bouilloire tout en pensant, comme à chaque fois, qu'il faut impérativement que j'achète du produit anti-calcaire la prochaine fois que je fais les courses, puis prends une tasse propre dans l'unique placard de la mini-cuisine. C'est ma tasse préférée, elle est noire et il y a écrit MEILLEUR ONCLE dessus. Je l'ai gagnée à une tombola du lycée un jour.

   Une fois que le voyant de la bouilloire s'éteint, je m'apprête à verser de l'eau dans la tasse, mais suis interrompue par la sonnerie de mon portable. Je pose la bouilloire et me dépêche d'aller attraper mon téléphone posé sur mon bureau. 

   Numéro inconnu. Je n'aime pas ça. Je décroche quand-même.

- Allô? 

- Mademoiselle Pritchard? Ici Linda des ressources humaines. Il est 8h45 et vous n'êtes pas encore au travail, il y a-t-il un problème?

   Il me faut un moment pour faire apparaître le visage de Linda dans mon esprit. Oui, Linda. Blonde, des ressources humaines. De chez Shelby Company Limited.

- Euh, je crois qu'il y a une erreur...

- Une erreur, vous dites? (J'entends des feuilles de papier être tournées de l'autre côté de la ligne.) Pourtant, j'ai écrit ici : Linn Pritchard, du lundi au vendredi de 8h à 10h.

- Oui, mais... euh, vous devriez en discuter avec monsieur Gray, il vous expliquera la situation et...

- Quelle situation, miss? Vous ne souhaitez plus travailler avec nous? Vous avez démissionné? Dans ce cas, il faut que vous passiez me voir à mon bureau, pour que nous remplissions une annulation de contrat et...

- Non, je n'ai pas démissionné, dis-je un peu brusquement en l'interrompant. Je... en fait, c'est un peu différent, je... demandez à monsieur Gray, il vous expliquera ça mieux que moi, mais je pensais que j'avais été, euh... genre, virée?

- Virée? Mais pour quel motif? Non, miss, je peux vous assurer que vous n'êtes pas virée, et que ce n'est pas non plus dans l'agenda de monsieur Gray.

- Oh. Euh...

- Miss Pritchard - (Ce n'est peut-être qu'une impression, mais je crois que son ton s'est adouci.) - monsieur Gray m'a parlé de votre... discussion, hier, avec lui et sa famille, et m'a dit que vous ne vous pointeriez certainement pas ce matin, mais que je devais faire de mon mieux pour vous convaincre de venir. Alors, vous venez? Plus ce matin, évidemment, c'est trop tard, mais est-ce que je peux compter sur vous pour la semaine prochaine? Lizzie m'a dit que vous faisiez du bon boulot, et c'est affreusement long que de faire des papiers d'annulation de contrat. 

- Oui, je réponds sans vraiment réfléchir à autre chose qu'aux 15£ de l'heure. Oui, je serais là. Je m'excuse pour aujourd'hui, retirez les heures de ma paye s'il le faut et...

- Ne dites pas de bêtises, miss. Vous ne vous sentiez pas bien, ce matin, voilà tout.

   * * *

(Mais quel plot twist inattendu, Linn n'aurait donc pas été renvoyée de la Shelby Company dès le chapitre 11? In-croy-able.)

Michael Gray » Peaky Blinders AUOù les histoires vivent. Découvrez maintenant