« Chapitre 68 : Guerre froide »

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   Ce n'est pas bon, mais c'est au moins un peu moins pire.

   Je ne m'étais pas rendue compte d'à quel point j'avais besoin de raconter ça à quelqu'un. A Michael.

   A Michael. 

   Il est resté assis à côté de moi sur le carrelage de la cuisine, principalement à me tendre des feuilles d'essuie-tout le temps que je me vide de toutes les larmes de mon corps. J'ai tellement pleuré que c'est un miracle que je ne sois pas morte de déshydratation. 

- Désolée, dis-je en me levant pour aller mettre le tube du rouleau d'essuie-tout vide dans la poubelle sous l'évier, tu avais probablement mieux à faire que de m'écouter chouiner sur mes histoires pourries.

   Je me passe les mains sur le visage, sans oser imaginer la tête que je dois avoir. Rien qu'à la température, je sais que mes joues doivent écarlates.

   Il se relève également et je me tourne pour lui faire face. Il est beau. 

- Linn. Si tu savais...

   Mais il n'a pas le temps de terminer sa phrase, car le vibreur de mon portable posé sur la table l'interrompt. J'hésite pendant une demi-seconde, puis vais répondre. C'est sûrement ma mère pour me demander si...

   Ce n'est pas ma mère. C'est Charlotte. Je décroche.

- Euh... salut? je demande d'une voix hésitante et en disant ces mots, je me demande si ça s'entend que je viens de passer une heure à pleurer ou non.

- Linn? (Ça résonne autour d'elle, comme si elle était dans un parking ou un tunnel. J'ai l'impression qu'elle chuchote.) Michael est où?

- Michael? Il est avec moi, pourquoi?

   L'intéressé m'interroge du regard et je dis Charlotte sans prononcer le moindre son pour qu'il sache de qui il s'agit. Une seconde plus tard, il vient vers moi et me fait comprendre que je dois lui passer le téléphone. Je ne proteste pas.

- Charlotte? demande-t-il sur un ton sec. Qu'est-ce qu'il y a?

   Je n'entends pas ce qu'elle répond, mais il ne dit rien pendant ce qu'il m'a l'air d'être une demi-éternité. Au moment où sa mâchoire commence à se serrer, je comprends qu'il y a un problème quelque part.

- Merde, jure-t-il au bout d'un certain temps. (Il ferme les yeux et inspire un grand coup.) Ne fais rien de stupide. Non - oui, tu as bien fait. Ok.

   Il raccroche et me tend mon portable.

- Tu avais raison, soupire-t-il en se passant une main à travers les cheveux. Tous les Harrison sont des idiots. 

- De quoi on parle? Qu'est-ce qu'il se passe?

- Il faut que je parle à Tommy, dit-il en sortant de la cuisine. Tu viens avec.

   Une fois dans l'entrée, il prend mon tote-bag que j'avais accroché au porte-manteau et me le tends. 

- Qu'est-ce qu'il se passe, Michael?

- Je t'explique dans la voiture, répond-il en ouvrant la porte et en me passant les clés.

   Non, non, non. Pas de nouveau cette chanson.

- Michael, tu me dis tout de suite ce qu'il se passe sinon je te jure que je fais comme la dernière fois et que je bouge pas jusqu'à ce que...

- Les Changretta viennent de nous déclarer une vendetta. On a encore un peu de temps avant que leurs cartes n'arrivent par la poste.

   Je ne sais pas ce qui me perturbe le plus : la rapidité avec laquelle il a accepté de m'expliquer la situation ou le contenu même de ce qu'il vient de dire. Une vendetta. Je ne sais même pas exactement ce que c'est, mais j'ai vu assez de films de gangsters dans ma vie pour me douter que cela ne vaille rien de bon.

- Charlotte t'a dit ça? Comment est-ce qu'elle...

- S'il te plaît, Linn, soupire Michael en attendant que je franchisse le seuil pour refermer la porte derrière nous. Je te jure que je t'explique tout en détail juste après, mais là, il faut vraiment qu'on y aille.

* * *

- Mon nom? je demande quelques minutes plus tard, alors que nous sommes en train de rouler sur l'autoroute à une vitesse qui doit être plus que supérieure à la limite autorisée. Mon nom, dans une vendetta? Mais c'est quoi cette idée?

- Charlotte m'a dit que c'était Harrison Changretta qui tenait à ce que tu sois sur la liste. A cause de la façon dont tu lui as parlé au pub.

- Mais c'est une blague? C'est une blague? (Je m'accroche à la poignée de la portière pour me donner de la consistance.) La façon dont moi je lui ai parlé? C'est lui qui me traite de pute et c'est moi qui me retrouve sur la liste des personnes à tuer de la famille Changretta?

   J'ai du mal à réaliser ce qui est en train de se passer. J'ai l'impression d'être à un million de kilomètres de là.

   Michael m'a expliqué en quoi consistait cette vendetta. C'est tout simple, en fait. Tu envoies un message menaçant à des gens pour les prévenir que tu vas les tuer. Et ensuite, tu les tues. Ici, en l'occurrence, c'est la famille Changretta qui vient de déclarer la guerre aux Peaky Blinders. Enfin, qui va déclarer la guerre aux Peaky Blinders.

   Mon premier réflexe a été de demander ce qu'il adviendra de mes parents - si moi je suis sur la liste, il n'y a pas de raison qu'ils ne s'en prennent pas à ma famille, mais Michael a été catégorique : ils sont affiliés aux Solomons, rien ne leur adviendra. Et ensuite, il a commencé à m'expliquer qu'il y avait des règles très précises dans une vendetta, stipulant par exemple le fait qu'il est formellement interdit de faire du mal à des civils.

   Je crois que j'ai loupé le moment où j'ai arrêté d'être considérée comme une civile.

   Vu la façon dont Tommy et Michael ont réagi quand j'ai débarqué avec Harrison Changretta aux trousses en interrompant leur réunion, j'ai tout de suite senti qu'il y avait de l'eau dans le gaz entre les deux clans. Mais de là à...

- Et pourquoi maintenant? je demande à Michael d'une voix qui monte dangereusement dans les aigus. Pourquoi genre là, ce vendredi soir?

   Je sens que Michael appuie encore plus sur l'accélérateur, si cela est encore possible.

- Ça faisait longtemps qu'il y avait un risque. C'est... les Changretta ont tué Grace - la femme de Tommy -, on a tué Vincente Changretta, le patriarche de cette famille, plus un de ses fils. Un œil pour un œil. 

- Un œil pour un œil, d'accord, pas de souci, mais cela ne me dit pas pourquoi... 

- Après qu'on soit partis du pub l'autre jour, Tommy a... disons qu'il a fait passer un sale quart d'heure à Harrison Changretta. Pas juste à cause de toi, c'est... ça fait des mois et des mois qu'il nous prend pour des cons.

- Et donc, quoi? Il lui fait passer un sale quart d'heure, ça ne lui plait pas et il décide de menacer de tuer tous les Shelby et Gray du coin? Oh, et moi aussi, soit dit en passant? Comment elle sait tout ça, Charlotte?

   Tout à coup, la circulation commence à ralentir et Michael est obligé de faire de même, ce qui ne m'enchante pas plus que lui. 

- Disons qu'elle les espionne à notre compte.

   Oh, mais bien sûr, pourquoi je n'y ai pas pensé toute seule! On dirait un mauvais film sur la guerre froide. Un très mauvais film sur la guerre froide.

- Qu'est-ce qu'il va se passer, Michael?

- On rentre à Birmingham. Tommy a un plan.

- Oui?

   Ça ne me rassure pas. 

- Tommy a toujours un plan.

Michael Gray » Peaky Blinders AUOù les histoires vivent. Découvrez maintenant