- Bon, je vais pas te raconter de quoi ça parlait parce que voilà, je crois que tu connais déjà mais dans tous les cas, c'était une technique qui avait fonctionné donc je vais faire pareil si tu es d'accord. Donc... attends, il faut que je réfléchisse à une histoire sympa de la vie du jeune Henry Johnson à raconter...
Je mentirais si je disais que l'entendre prononcer son ancien nom ne me faisait pas bizarre, mais je ne relève pas. A la place, je me blottis un peu plus contre son dos et trace du bout des doigts les contours de sa main que je tiens.
- Je n'ai rien d'aussi beau à raconter que Linn, huit ans, perdant un concours d'orthographe car elle ne sait pas écrire «mini-golf», mais... Ok, j'ai trouvé. Bon, c'est pas aussi intéressant que ton histoire, je te préviens.
- Impossible de faire mieux que mon histoire. Mais tu peux essayer.
- Je vais essayer. C'est donc l'histoire du petit Henry, qui devait avoir huit ans par là aussi, et de son frère Samuel, qui avait sept ans ou quelque chose comme ça. Mon frère adoptif. Bref. Donc pour le contexte, on vivait à la campagne, à trois quarts-d'heures de Birmingham à peu près, dans une petite vieille maison où il y avait des champs juste en face. Enfin ça, c'était quand on était petits, car entre-temps ils ont construit des immeubles à la place. Immeubles financés en partie par Shelby Company Limited, mais ça, c'est une autre histoire.
Il marque une pause pendant un moment avant de continuer.
- Oui. Du coup, dans ces champs, il y avait des chevaux certains mois dans l'année. Six chevaux, tous noirs sauf un qui était alezan. De très belles bêtes. Et il y avait aussi un poney. Un petit truc qui ressemblait à un croisement entre un Renard et un Shetland.
- Mignon.
- Très mignon, oui. Donc voilà pour le contexte. Il y avait ces six grands chevaux et ce petit machin qui leur trottait tout le temps après. Et là, on arrive à la partie intéressante de l'histoire. Je te préviens, c'est... Tu verras. Donc à cette époque, il faut savoir que les petits Henry et Samuel n'avaient clairement pas assez passé de temps devant des documentaires sur les animaux à la télé, parce que pour une raison où une autre, le concept de «poney», c'était pas quelque chose qui nous était familier. Dans nos têtes, le petit Ouistiti - car oui, c'est comme ça qu'on l'appelait, je... oui, le petit Ouistiti dans nos têtes de gamins, il allait encore grandir pour devenir aussi beau et majestueux que ses copains dans le pré. Tu suis?
- J'adore déjà cette histoire. Continue.
- On attendait le jour où il allait devenir un cheval. Je me souviens que Samuel avait collé dans le calendrier Iron-Man de sa chambre un autocollant dauphin sur la case du jour où Ouistiti était censé avoir atteint sa taille adulte - c'était un autocollant dauphin parce que notre mère était dans sa phase dauphin à ce moment et qu'elle nous collait des autocollants sur les contrôles où on avait eu des bonnes notes à l'école - d'ailleurs, je crois même que l'autocollant sur le calendrier de Samuel, il l'avait décollé d'une de ses copies et... on s'en fiche. Bref. Ouistiti.
- C'est un très beau nom pour un poney, je ne peux m'empêcher de commenter en souriant. J'espère que c'est toi qui l'a choisi et pas ton frère.
- Pour des raisons éthiques et morales, je ne répondrai pas à cette question. Donc avec Samuel, on attendait patiemment jusqu'au jour où ce petit poney dont ma dignité m'empêche désormais de prononcer le nom aurait du être devenu un beau cheval. Sauf que, contre toute attente et pas du tout parce que ce poney était génétiquement programmé à ne pas dépasser les 1m10, ce jour n'arriva jamais. Tu imagines notre déception.
- J'imagine votre déception. Ça a du être horrible.
- C'était une période très difficile de ma vie. Mais l'histoire ne s'arrête pas là, non. Le meilleur est à venir. Donc pour faire court, mon frère et moi, on a ensuite réfléchi au sens de la vie et on a cherché le pourquoi du comment Ouistiti ne grandissait pas alors que les autres chevaux oui. Ce ne pouvait pas être à cause de la nourriture, car ils étaient tous sur le même pré, ni à cause de l'eau car là aussi c'était la même pour tous... Et c'est là qu'on a eu la révélation. Si Ouistiti ne grandissait pas, c'était parce que les grands chevaux ne le laissaient pas de place pour manger quand leur propriétaire leur livrait une botte de foin toutes les deux semaines.
- Donc vous avez donné à manger à Ouistiti en cachette? je demande en essayant de deviner la suite. Et vous vous êtes fait crier dessus à cause du panneau «ne pas nourrir les chevaux»?
- Si seulement, Linn. Si seulement. Non, on a fait mieux que ça. Un soir d'été, alors que nos parents étaient couchés, on s'est faufilés dehors en pyjama, avec une lampe de poche en plastique qui n'éclairait absolument pas que Samuel avait reçu en cadeau avec un magazine Iron-Man, probablement parce que c'était sa plus grande passion dans la vie et... Oui, on s'était faufilés dehors, on a traversé la route et on a passé un demi-siècle à chercher où s'ouvrait la clôture des chevaux pour... Merde, je viens de tout spoiler. Bon, en résumé, on a réussi à ouvrir la clôture - alors que c'était un machin électrique, je sais pas comment on a fait pour pas mourir -, on a attrapé Ouistiti - ce qui n'était pas super compliqué car on avait amené des pommes pour l'appâter -, on lui a mis une corde à sauter autour de la tête pour ne pas qu'il s'échappe et on a fait ce qui nous paraissait être une excellente idée à l'époque : on a emmené Ouistiti dans notre jardin pour qu'il puisse manger.
- L'idée n'est pas bête.
- Si, c'est complètement con. Je sais pas comment on pensait ça, mais on s'était dit qu'on allait faire ça toutes les nuits jusqu'à ce qu'Ouistiti soit devenu un cheval. Malheureusement, ça n'a pas fonctionné car même pas cinq minutes après qu'on ait amené Ouistiti dans notre jardin, notre mère a débarqué et je peux te dire qu'à cet instant, elle était tellement en colère que j'ai cru qu'elle allait me retourner directement à l'agence d'adoption.
- Mais c'est horrible!
- Elle ne l'a pas fait, bien sûr. A la place, elle nous a envoyé dans nos chambres et de la fenêtre, on l'a regardée ramener Ouistiti au pré. Et... voilà, fin de l'histoire.
Je me retourne dans ses bras pour lui faire face et vois qu'il y a un peu d'amertume dans son petit sourire en coin.
- C'était une très belle histoire, dis-je en me redressant un peu.
- Oui, soupire-t-il en se passant une main sur la tempe comme pour se remettre les idées en place. Ça va mieux?
- Oui.
Et ce n'est pas mentir : je sens que ma respiration est de nouveau complètement normale et...
- Et toi, ça va?
- Moi? demande-t-il un peu trop brusquement pour que cela paraisse naturel. Bien sûr que ça va, ce n'est pas moi qui ai vu Billy Kimber se...
- Je ne parle pas de Kimber. Je...
Je ne sais pas quoi dire. Comment est-ce que tu fais pour gérer le fait que toute ta vie a basculé du tout au tout quand tu as eu 18 ans? Que tu as changé de famille et même de nom? Est-ce que tu parles encore à tes parents adoptifs? A ton frère? Est-ce que tu as remis les pieds dans cette petite maison de campagne depuis? Est-ce que ça va?
- Ne t'inquiète pas pour moi, Linn.
Son petit sourire se veut rassurant, mais ses yeux disent le contraire.
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Michael Gray » Peaky Blinders AU
FanfictionBirmingham, 2019. Depuis plus d'un siècle, la famille Shelby est reine de Birmingham, à la tête d'un empire d'import-export aux quatres coins du monde. Rien ne semble pouvoir les arrêter. Mais cela ne plait pas à tout le monde... Linn, 19 ans, revie...