- Michael, je n'aime pas qu'on me mente.
Sans m'accorder le moindre regard, Polly Gray pioche une cigarette d'un paquet de la poche de son manteau - très années 20, cela ne m'étonnerait pas que ça soit de la vraie fourrure - et l'allume, puis elle se dirige vers la chambre froide dont elle ressort avec une assiette qui a l'air de contenir la même chose que les nôtres.
Je repose ma fourchette sur le bord de mon assiette. Tout à coup, l'appétit m'est passé.
- Qu'est-ce que tu fais ici? demande Michael qui n'a pas bougé depuis l'arrivée de sa mère. Je croyais que vous étiez tous à Londres.
- Oui, chez les Solomons. (En prononçant ce nom, elle jette un rapide coup d'œil dans ma direction, puis met le micro-ondes en marche.) Je ne suis pas partie plus tôt pour en retrouver une traîner chez nous. Et je suppose que Finn et Isiah sont au courant?
Elle expire un nuage de fumée. Michael ne répond pas et semble fixer un point imaginaire sur le mur en face de nous.
- Michael, reprend Polly Gray sur un ton un peu moins tranchant, tu aurais pu me prévenir.
Il semble surpris pendant un instant, puis aborde de nouveau un air inexpressif.
- Si tu croises Tommy, dit-il finalement, explique lui encore une fois que personne ici ne peut blairer May et qu'il va falloir qu'elle parte.
Polly Gray soupire et je ne peux m'empêcher d'être soulagée de ne plus être le centre de l'attention. Peu importe qui est cette May, je la remercie mentalement d'exister.
- Qu'est-ce qu'elle a encore fait?
- Demande à Finn ce qu'elle lui a dit sur la façon de s'y prendre avec Tempérance... Ça faisait des mois que j'essayais de la redresser sans rênes allemandes, elle m'a tout foutu en l'air!
- C'est pas vrai, encore? Mais est-ce qu'elle parle français, celle-là?
Je n'ai aucune idée de ce que sont des rênes allemandes, mais visiblement, cela énerve autant Michael que sa mère, qui ont tout à coup l'air d'avoir complètement oublié ma présence. Parfait. Tant qu'à faire, je reprends ma fourchette et commence à manger.
- Vous avez fait un tour, alors? reprend-elle. Tu lui as donné qui, Gallery?
Et voilà, tout ça pour ça.
- Oui, Gallery, répond Michael - ce qui me surprend un peu, car je pensais qu'il allait continuer à l'ignorer. Maintenant, est-ce que tu as prévu de manger ici ou en haut, qu'on s'organise?
- Michael, dit-elle en même temps que le «ding» du micro-ondes, ce n'est pas comme ça qu'on va partir sur des bonnes bases, ta... amie et moi.
- On monte, me dit Michael en prenant nos assiettes en main et en se levant.
Ne sachant pas quoi faire d'autre, je l'imite.
- Linn, c'est ça? (Elle a fait un pas dans notre direction. Je n'arrive qu'à soutenir son regard pendant un court instant - ensuite, je repense immédiatement à la façon dont elle m'avait menacé avec un pistolet.) Linn, je crois qu'il serait peut-être mieux qu'on reprenne tout depuis le début.
- Oh, vraiment? répond Michael à ma place. Tu penses?
- Michael, je...
- Pas aujourd'hui, Polly. (Ils se toisent du regard pendant ce qui me parait être une demi-éternité. Je n'ai qu'une envie : sortir de cette cuisine le plus vite possible.) Parle de May à Tommy - si tu le fais pas, c'est moi qui le fais.
- Je m'en charge, dit-elle avant de s'adresser de nouveau à moi sur un ton que l'on pourrait presque qualifier de bienveillant si ce n'était pas Polly Gray qui prononçait ces mots. Linn, je suis contente de voir que tu vas bien. Michael m'a expliqué que tu avais dû aller à l'hôpital à cause de ton sang, si j'avais su que tu avais cette maladie, j'aurais...
- Tu aurais fait quoi, hein? l'interrompt Michael en me faisant signe de monter les escaliers, une assiette dans chaque main. Tu aurais vérifié qu'elle avait ses médicaments sur elle avant de la kidnapper, c'est ça?
Je monte les escaliers sans me retourner. Michael me suit. D'en bas, j'entends encore Polly Gray appeler son fils, mais il l'ignore.
Une fois que nous sommes à l'étage, Michael me montre le chemin jusqu'à une grande salle à manger, où il pose notre repas sur une énorme table drapée de blanc. Ensuite, il va s'adosser à un rebord de fenêtre et allume à son tour une cigarette.
De mon côté, je m'assieds sur une chaise et continue de manger, parce que... parce que je n'ai pas envie que Polly Gray soit la raison à cause de laquelle je passe à côté de ce qui sont de loin les meilleures pâtes que j'ai mangé de toute ma vie.
- Je suis désolé pour tout ça, dit Michael au bout d'un moment en éteignant sa cigarette dans un cendrier. Si j'avais su qu'elle viendrait, je t'aurais pas fait venir.
- C'est pas grave, je... je vais m'en remettre.
Je ne sais pas exactement à quoi je fais référence, mais j'espère que c'est vrai.
- Est-ce que ça va?
- Oui, oui, je réponds en clignant des yeux pour tenter d'y voir un peu plus clair. C'est juste que... ça m'a fait bizarre de la revoir, comme ça. Je crois que mon instinct de survie n'a pas trouvé ça super chouette.
Il se redresse et fait quelques pas avant de s'asseoir sur une chaise à côté de moi. Je pose les coudes sur la table et me passe les mains sur le visage pour essayer de me rafraîchir en vain les idées.
- Si j'avais su qu'elle était là, répète-t-il, jamais de la vie je t'aurais fait venir aujourd'hui.
Pendant une fraction de seconde, je crois qu'il va poser sa main sur mon genou ou quelque chose comme ça, mais finalement, il pose ses coudes sur les siens et reste silencieux un moment.
- C'était peut-être une mauvaise idée, tout ça, reprend-il en se redressant un peu. Peut-être que j'aurais pas dû être égoïste comme ça et tenter quelque chose avec toi alors qu'il y a toute cette merde avec Polly.
- Non non non..., je réponds un peu brusquement en sentant tout à coup une vague de panique m'envahir, c'est bon, je...
- Linn, tu...
- Honnêtement, dis-je en l'interrompant avant qu'il n'ait le temps de terminer sa phrase, j'y ai pas mal réfléchi, à tout ce machin avec Polly, et... je sais pas, c'est un peu bizarre dit comme ça, mais je crois que si... si c'était ma mère à moi qui avait été dans la situation de la tienne, je crois que... bon, déjà, elle aurait probablement appelé la police et les autorités compétentes, ce genre de choses, mais... si la situation avait été vraiment la même, je crois que ma mère aurait fait pareil que Polly pour me retrouver. Elle est aussi un peu comme ça, je crois.
Je me redresse un peu et inspire un grand coup avant de me tourner dans sa direction.
- Voilà, je sais pas pourquoi je te raconte ça maintenant, c'est juste que... il est vrai que le fait de traîner avec des Peaky Blinders a ses inconvénients - kidnapping, ce genre de trucs -, mais de l'autre côté, il y a... euh, des pâtes qui sont super bonnes, déjà, et des chevaux qui sont super mignons aussi, et clairement ça, ça joue pour beaucoup dans la balance.
Son expression s'est détendue au fur et à mesure que j'ai débité mon petit discours et l'ombre d'un sourire a même fait son apparition quand j'ai parlé des pâtes. Voilà, c'est déjà mieux.
- Aie, coup dur pour Michael Gray, commente-t-il quand j'ai fini de parler, j'ai cru que tu allais mettre mon nom dans la catégorie des points positifs, mais... non, apparemment les pâtes sont plus importantes que moi. Pas de souci, je le prends pas mal du tout. (Il se redresse et s'adosse contre le dossier de sa chaise, les mains dans les poches.) Est-ce qu'il y a des chances que je réussisse à dépasser les pâtes dans ce classement?
Il tend une main dans ma direction et replace une mèche de mes cheveux derrière mon oreille. Ohmondieu. Je meurs cinq fois à l'intérieur.
- C'est possible.
VOUS LISEZ
Michael Gray » Peaky Blinders AU
FanficBirmingham, 2019. Depuis plus d'un siècle, la famille Shelby est reine de Birmingham, à la tête d'un empire d'import-export aux quatres coins du monde. Rien ne semble pouvoir les arrêter. Mais cela ne plait pas à tout le monde... Linn, 19 ans, revie...