« Chapitre 39 : Esthétique »

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   Le temps que je me rende compte qu'il fait un peu frisquet pour se balader dehors sans veste comme je le suis, nous arrivons devant une petite série de maisonnettes accolées qui se cachent derrière le grand manoir et dont je n'avais même pas soupçonné l'existence. Bon, le terme «maisonnette» est peut-être un peu exagéré : ce sont des maisons tout court, en fait. Elles sont un peu dans le même style que le manoir, mais n'ont pas l'air aussi anciennes que ce dernier.

   Sans lâcher ma main, Michael ouvre la porte de la maison la plus à gauche et entre à l'intérieur.

   L'entrée débouche directement sur un petit salon - meublé à l'image de l'intérieur du manoir, une fois de plus. Même si au premier abord, tout a l'air aussi personnalisé qu'un catalogue IKEA du siècle dernier, je devine tout de suite que c'est chez Michael.  Ça sent comme lui. 

- C'est chez toi? 

   Il hoche la tête, puis abandonne mes doigts pour enlever son manteau et le suspendre à un crochet dans l'entrée. Ensuite, il se dirige vers le salon - mais pas pour s'asseoir sur le canapé ou dans un fauteuil, non, bien évidemment, mais pour aller s'adosser contre le rebord de la fenêtre. Les mains dans les poches? Les mains dans les poches, bien évidemment. 

   Au moment où il se penche un peu pour jeter un regard à travers les rideaux clairs par la fenêtre, un rayon de lumière joue avec ses cheveux, leur donnant une petite teinte dorée.

- Ce n'est pas moi qui ai choisi la déco, si c'est ça qui te fait sourire. 

- Non, c'est pas ça, dis-je en croisant les bras et en venant m'adosser au rebord à côté de lui. Je pensais juste au fait que... (J'hésite pendant un instant, mais me jette finalement à l'eau. Tant qu'à faire, au point où j'en suis...) Je sais pas, je me disais juste que tu es quand-même quelqu'un d'esthétiquement très plaisant à regarder et que ça aurait vraiment été du gâchis si tu étais mort défiguré dans un ravin.

   Il hausse perplexement un sourcil, mais un sourire en coin se dessine sur son visage.

- J'ai bien fait de ne pas mourir dans un ravin, dans ce cas.

   Michael sourit encore. Et un peu plus. Et encore un peu. Et il se penche pour attraper le bout d'une de mes mèches qui s'est détachée de mon chignon à moitié défait. Et il la fait tourner entre ses doigts. 

   Heureusement qu'il n'est pas mort dans un ravin.

- Tu es sûr que ça va? je demande sans pouvoir retenir plus longtemps la question qui me trotte dans la tête depuis son retour. Est-ce que tout s'est bien passé? Bon, bien n'est pas forcément le bon mot quand on parle de meurtre je suppose, mais...

- Personne n'est mort, si ça peut te rassurer, répond-il en lâchant ma mèche et se renfermant un peu. Et personne n'a été blessé, non plus. Tout s'est même beaucoup trop bien passé, à mon avis, parce que figure-toi que maintenant, les familles Shelby et Lee sont alliées.

- Tout ça en une seule nuit? Wow.

   Il hoche la tête, mais n'ajoute rien.

- Ok, dis-je au bout d'un moment, on remercie comme d'habitude Linn pour avoir cassé toute l'ambiance avec ses commentaires pourris, mais maintenant que ça c'est fait, qu'on sait que tout est bien qui finit bien, est-ce qu'on peut reprendre où on s'était arrêtés? (Devant son air un peu perdu, j'ajoute : ) Quand tu souriais et que tu me regardais un peu comme si j'étais le truc le plus mignon que t'avais vu depuis un moment - parce que je veux pas dire, mais je crois que j'aurais pu même finir par y croire donc si jamais tu avais continué comme ça donc bon voilà je dis ça je dis rien chacun sa vie chacun ses choix et... Oula, non, pas comme ça, là on dirait juste que tu te demandes ce que j'ai fumé.

   Ce n'est pas vrai, il me regarde exactement comme avant. Il le sait.

   J'aime la vie. Il n'est pas mort dans un ravin, il est là, avec moi, à ne pas avoir l'air de remettre en question toute sa vie face au je-ne-sais-quoi que je viens de débiter.

   Il se décolle du rebord de la fenêtre et fais deux pas avant de se retrouver juste face à moi. Oh mon Dieu. 

- John et Esme se sont mariés.

- Hein? 

   Mais il continue à sourire, comme s'il venait simplement de me dire qu'il trouvait que mon pull était particulièrement beau. Ce qui n'est pas le cas.

- Attends, c'est ça, cette alliance? Est-ce qu'ils se connaissent, au moins?

- C'était leur idée. On était à Londres, à ça d'attraper Johnny Dogs et là, Esme et John arrivent, main dans la main, en disant qu'ils venaient de se marier à l'église du coin et que toute atteinte à Johnny Dogs serait donc une atteinte à la famille Shelby. Et crois-le ou non, Tommy a accepté.

   Attends, quoi?

- Mais... je croyais que Johnny Dogs avait tué quelqu'un, comment est-ce que Tommy peut juste...

- Heureusement pour lui, Johnny Dogs n'a pas directement tué quelqu'un. Bon, je te passe les détails, mais John a fait un beau discours à la «tue l'oncle de ma femme et tu ne me reverras plus jamais, Tommy», et ça a plus ou moins fonctionné. Maintenant, Esme fait partie de la famille.

- Wow. Je sais pas quoi dire, c'est...

- Pareil. 

   Et il reste toujours encore planté devant moi. Je ne m'en étais même pas rendue compte, mais il a même réduit la distance qui nous séparait pendant qu'il racontait son histoire avec John et Esme. Histoire qui me semble tout à coup très, très éloignée de l'instant présent. 

   Mais lui est très, très proche. Je dois lever un peu la tête pour le regarder.

   Est-ce qu'il attend que je fasse quelque chose? J'essaye d'entendre quelque chose au dessus des bruits sourds des battements de mon cœur qui résonnent dans mes oreilles.

   Au bout de ce qui me parait être à la fois une seconde et la moitié de l'éternité, il n'y a tout à coup plus du tout de distance entre nous. Je sens ses lèvres frôler les miennes. Oh mon Dieu. Oh mon Dieu.

   Une fois que je suis sortie de ma stupeur, sans toutefois vraiment réaliser ce qui est en train de se produire, je passe les bras autour de son cou et me penche vers lui.

   Mais au moment même où je lui rends son baiser, Michael me glisse littéralement entre les bras et s'écroule d'un coup en tombant au sol. Je n'ai que le temps de retenir sa tête pour ne pas qu'elle se cogne pas contre le radiateur.

Michael Gray » Peaky Blinders AUOù les histoires vivent. Découvrez maintenant