« Chapitre 61 : Autoroute »

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   Je cligne des yeux, comme si quand j'allais ouvrir les paupières, Michael et Charlotte allaient s'être évaporés dans l'air.

   Mais non, ils sont toujours là. Je ne sais pas quoi faire. Qu'est-ce qui est le plus gênant, que je parte dans la direction opposée comme si je ne les avais pas vu ou que je les rejoigne en mode «coucou, vous vous connaissez? wow le monde est petit...»? A moins que je ne...

   Et voilà. Charlotte fait un signe en direction de la supérette devant laquelle je me tiens toujours encore, probablement pour montrer à Michael où elle travaille. Où elle fait son travail d'intérêt général, plutôt. Et bien évidemment, Michael regarde dans la direction qu'elle désigne, sauf que son regard ne reste pas bloqué sur l'enseigne du magasin, mais bien sur moi. Coucou.

   Il ne faut pas longtemps à Charlotte pour comprendre que quelque chose cloche. Super. J'inspire un grand coup et décide d'aller abréger nos souffrances en allant les rejoindre. Pendant que je marche le long du trottoir, je serre un peu trop nerveusement l'anse de mon tote-bag qui ne contient rien à part mon porte-monnaie et mes clés et je fais une fixette sur son poids presque inexistant pendant tout le trajet. 

- Salut, dis-je lorsque j'arrive à leur niveau. Qu'est ce que tu fais ici, Michael?

- J'étais dans le coin, répond-il simplement et je crois que si je ne le connaissais pas un tant soit peu, son minuscule sourire en coin m'aurait sûrement échappé.

   Charlotte hausse l'un de ses sourcils parfaitement dessinés et je vois dans ses yeux qu'elle est actuellement en train de se demander ce que je suis en train de faire.

- Vous vous connaissez? demande-t-elle sur le même ton qu'elle aurait probablement employé pour me demander si je n'avais pas un peu perdu la tête après lui avoir demandé de sortir les poubelles à la supérette.

- Vous travaillez au même magasin, alors, enchaîne Michael au lieu de répondre sa question.

   Son ton ne le trahit pas, mais si on était à l'intérieur d'une maison, là serait probablement le moment où il se serait éloigné pour se poster près d'une fenêtre.

- Oui, admet Charlotte. C'est qui, Michael?

   Je ne peux m'empêcher de froncer les sourcils en l'entendant parler de moi comme si cela ne faisait pas trois semaines que je passe déjà la moitié de mon temps à lui donner des coups de main au travail. Heureusement pour moi, l'enchantement de Michael semble aussi avoir ses limites.

   Charlotte se tourne un peu vers moi et me dévisage de la tête aux pieds, comme si c'était la première fois qu'elle me voyait. C'est gênant. Les quelques passants font un petit crochet autour de nous.

- Tu es la fille de Rivka, dit finalement Charlotte au bout d'une demi-éternité. Vous vous ressemblez tellement, je sais pas pourquoi j'ai pas remarqué avant. 

   Ma mère. Pourquoi elle parle de ma mère, maintenant? Pourquoi est-ce que le prénom de ma mère traîne à beaucoup trop d'endroits obscures comme ça en ce moment?

- Euh... il y a peut-être confusion sur la Rivka en question, mais...

- Donc c'est vrai, continue Charlotte en reportant à nouveau son attention sur Michael. Tu es avec une Solomons. (Elle affiche tout à coup une expression beaucoup plus renfermée que d'habitude.) Tu aurais pu me le dire. Et toi... (Elle me jette un coup d'œil et le voile sombre qui ornait son visage semble avoir disparu comme par magie.) Je t'ai vraiment sous-estimée, je sais pas quoi dire. Michael Gray, vraiment? Toi? Tu m'expliques ce que tu as de plus que moi? 

   Ce n'est pas condescendant, c'est une vraie question qu'elle se pose. Enfin si, ça reste condescendant, mais... 

- Charlotte... intervient Michael et à la façon dont il prononce ce prénom, je devine que ce n'est pas la première fois qu'il le fait.

- Oui, c'est moi. C'était bien de te revoir, Michael. Linn, tu sais où Patrick garde les fiches des employés - les genre de machins qu'on avait à remplir pour le travail où il fallait écrire nom, prénom, adresse et tout? 

- Euh... oui?

- Parfait. Quand cet enfoiré t'aura arraché le cœur et l'aura jeté au milieu d'une autoroute à l'heure de pointe, tu me passes un coup de fil. On se voit demain au travail. J'aurais probablement cinq, dix minutes de retard, donc tu pourras tenir la caisse jusqu'à là si jamais?

   Et sur ces belles paroles, ses yeux défilent le long de Michael de la tête aux pieds et elle s'en va. Le son de ses pas sur le béton devient de moins en moins fort, jusqu'à disparaître entièrement. 

   D'accord, pas de souci.

- C'était quoi ça? je demande finalement à Michael.

- Charlotte, répond-il simplement en se mettant à marcher dans la direction opposée que cette dernière et je lui emboîte le pas.

* * * 

   Quelques minutes plus tard, je me retrouve assise sur le siège passager dans sa voiture, lui derrière le volant, au beau milieu d'un parking sous-terrain où il est garé. Les lumières artificielles du parking et le silence ambiant créent une ambiance bizarre. Michael m'a proposé de me ramener chez moi, mais pour l'instant, il n'a même pas encore mis la clé dans le contact.

- Je pense que tu as compris qui c'était, dit-il en brisant le silence.

- Oui. Charlotte. C'est ton ex, je suppose? 

   Il hoche la tête. Ses mains sont posées sur le bas du volant et il s'y agrippe un peu trop fermement pour que cela ne me fasse pas penser à une bouée de sauvetage. De toute évidence et vu qu'il ne m'avait jamais mentionné son existence, le fait que je puisse croiser Charlotte un jour n'était pas quelque chose qu'il avait envisagé dans un futur proche.

- C'était il y a quatre ans, quatre ans et demi, dans ces eaux-là. Je... ça faisait des mois que je lui avais pas parlé, ajoute-t-il un peu rapidement.

-  Tu fais ce que tu veux, Michael. Je suis sûre qu'elle est sympa, quand on la connaît mieux. Elle était plutôt sympa avec moi, aujourd'hui. Elle m'a dit merci deux fois, ce qui est plus que le nombre de mercis que je ne reçois en moyenne de la part de Patrick, donc c'est un bon signe je dirais. Après... je sais pas trop comment j'imaginais tes anciennes copines, mais... je sais pas, peut-être un peu moins comme ça?

   Mais quand je m'entends prononcer ces mots, je me rends compte que ce n'est pas vrai. Bien évidemment que Michael fréquente de belles et riches héritières. C'est son monde, après tout. Pas le mien, qui consiste à passer mes étés à ranger des sachets de soupe.

- Elle était un peu différente quand je l'ai connue. (Il se tourne un peu vers moi et vient me passer une mèche de cheveux derrière l'oreille.) Comme elle a pu te le faire comprendre, ça ne s'est pas très bien terminé. 

   Ça, c'est le moins qu'on puisse dire. D'un côté, l'idée d'en apprendre en long, en large et en travers sur la relation qu'il a pu avoir avec elle par le passé ne m'enchante pas vraiment, mais je mentirais si je dirais que l'avertissement de Charlotte ne m'a pas un peu perturbé. 

- C'était une très belle métaphore, son machin avec l'autoroute, dis-je d'une façon un peu hésitante. 

   Il ne répond pas pendant un petit moment et se contente de fixer un point imaginaire à l'autre bout du parking. Puis, il inspire un grand coup et met la clé de la voiture dans le contact.

- La connaissant, elle va te raconter tout en détail demain matin, dit-il finalement. Histoire que tu ne fasses pas les mêmes erreurs qu'elle.

   Il sort de la place de parking et je n'arrive pas lui demander si par «erreur», il entend le fait d'être avec lui. Ni pourquoi il ne tient pas à raconter sa version des faits d'abord. Cela n'est pas logique du tout.

Michael Gray » Peaky Blinders AUOù les histoires vivent. Découvrez maintenant