« Chapitre 38 : Playmobil »

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   Jamais de la vie j'aurais pensé que construire un château princesse Playmobil était une tâche si compliquée.

- Non, je crois que ça fonctionne pas parce qu'on a mis la poutre blanche dans le mauvais sens, dis-je en relisant la notice pour ce qui doit être la millième fois. Regarde comme elle est dessinée ici...

   Linda prend la notice que je lui tends et examine la situation à son tour. Mon Dieu, si on m'avait dit que j'allais finir par jouer aux Playmobils avec Linda des ressources humaines un jour... Linda qui, je viens de l'apprendre, est ici car elle porte actuellement l'enfant d'Arthur Shelby. Je n'étais même pas au courant qu'ils étaient ensemble, mais ce n'est pas grave, je suis invitée à leur mariage dans trois mois. 

   Mais le pire dans tout ça, c'est que ce qui me perturbe le plus, c'est que Linda soit en jean. Je ne la croisais pas souvent au travail, mais elle portait toujours des jupes crayon si élaborées qu'on aurait dit qu'elle était née avec.

- Li-hi-da, ariv pa plamo.

   A côté de nous, Karl est en train de jouer aux figurines en ayant posé la boîte Playmobil sur le côté pour s'en servir de maison. Voilà, qu'est-ce qu'on s'embête à lui construire le truc si au final un carton fait l'affaire... Il tend un monsieur Playmobil et un petit chapeau de cow-boy à Linda pour qu'elle les mette ensemble.

- Tu ne peux pas mettre de chapeau à celui là, répond Linda en prenant les objets en main. Regarde, le papa n'a pas de cercle sur sa tête pour attacher le chapeau... Tiens, tu peux mettre le chapeau à celui-ci!

   Elle prend une autre figurine et lui met ledit chapeau sur la tête, mais Karl n'a pas l'air convaincu. Pendant un instant, je crois qu'il va se mettre à pleurer, mais sa maman arrive et le prend dans les bras.

- Allez, il est déjà beaucoup trop tard pour un grand garçon comme toi. Dis bonne nuit à Linn et Linda.

- Veupaaaa...

- Tu pourras continuer à jouer demain matin, d'accord? Tu fais coucou aux filles?

   Linda lui dit au revoir de la main, mais Karl ne réagit pas. Ensuite, Ada disparaît avec lui dans le couloir.

- Ça peut attendre demain, dit Linda en se levant et en désignant le champ de bataille de Playmobils qui occupe une bonne partie du salon déjà énorme. Viens, je vais te montrer ta chambre.

   Je me lève à mon tour et la suis, tout en faisant attention à ne marcher sur aucun Playmobil posé au sol. Elle emprunte un grand escalier en bois, qui ne craque presque pas sous mes pas.

- Tiens, tu peux prendre celle-là, dit-elle en désignant la première porte sur la gauche. Il y a tout ce dont tu as besoin à l'intérieur, et même plus que ça. Bien sûr, tu as aussi ta propre salle de bains.

   A la façon dont elle prononce cette dernière fois, je vois que comme moi, elle peine encore à s'habituer à cet univers. Elle me souhaite une bonne nuit et je rejoins la chambre.

   Cette dernière est exactement comme je l'avais imaginée : une fois de plus, les Shelby sont très fiers de leur héritage centenaire et on se croirait dans un décor de Downton Abbey. Je me demande si chaque chambre a son code couleur ou si elles sont toutes dans des tons vert foncé comme la mienne. Je fais un petit état des lieux et découvre que même dans la salle de bains, la baignoire semble sortir d'un autre temps. 

   Je m'assieds sur le bord du lit et sors mon portable pour voir si je n'ai pas eu un message de Michael depuis son départ avec les autres. Avant, quand j'étais avec Ada, Linda et le petit Karl, c'était plus facile : aucun d'eux n'avait l'air de se préoccuper de quoi que ce soit, comme si tout allait bien dans le meilleur des mondes. Mais maintenant que je suis seule, c'est différent.

   J'espère qu'il ne lui arrivera rien. Si c'était le cas, je ne serais pas bien du tout.

* * *

   Je n'ai pas du dormir plus de quatre heures cette nuit, malgré le matelas on ne peut plus confortable. D'abord, j'ai essayé d'écouter de la musique pour ne plus penser à Michael-qui-est-peut-être-déjà-mort-pour-ce-que-j'en-sais-et-puis-est-ce-que-si-il-était-en-train-de-mourir-je-le-sentirais-pas-quelque-part-genre-comme-dans-les-films et... non, en fait, c'est tout. Ça résume très bien ce que j'ai fait cette nuit.

   J'aurais bien aimé me doucher, mais la baignoire ne m'inspirant pas confiance, je me contente de me laver le visage. En temps normal, je crois que je me serais amusée à tester absolument chaque savon, crème et je ne sais quoi qui sont posés sur le rebord du lavabo - d'accord, en me sentant un peu coupable mais pas trop non plus, mais là, je n'ai même pas la tête à ça. 

   Je veux juste qu'il revienne avec deux bras, deux jambes et sans traumatisme crânien de préférence. Parce que si quelque chose...

   Tout à coup, j'entends ce que je devine être la grande porte d'entrée d'en bas s'ouvrir et se fermer. Oh mon Dieu, faites que ça soit lui.

   J'enfile mon jean et mon pull en un temps record, puis sors de la chambre en ignorant la partie de mon cerveau me disant que ce n'est probablement qu'un employé, ou Ada rentrant d'une promenade matinale avec Karl ou...

- Oh, bonjour, m'accueille Linda dans le couloir.

   De toute évidence, elle a eu la même idée que moi - sauf qu'elle n'a même pris la peine de s'habiller. Elle porte une robe de chambre bleu pâle dont elle est en train de nouer la ceinture autour de la taille. Ses cheveux blonds sont emmêlés dans un chignon las, un peu comme les miens le sont actuellement.

- Bonjour, Linda. J'ai entendu la porte et...

- J'ai vu une de leur voitures arriver, par la fenêtre. Viens, c'est bon signe!

   Elle descend les escaliers en courant presque et je la suis au même rythme. Personne dans le hall d'entrée, mais lorsque nous arrivons dans le salon...

- Ah, là voilà! s'exclame Arthur Shelby en ouvrant les bras et Linda s'accroche à lui. Je vous ai manqué, à toi et au petit?

   Du coin de l'oeil, je vois qu'il pose une main sur le ventre de sa fiancée, qui hoche vigoureusement la tête. Mais je n'arrive pas à partager leur joie : à côté d'eux ne se tient que Thomas Shelby. Que lui. Pas Michael.

   Michael n'est pas là.

   Thomas Shelby me fixe. Je le fixe. Il ne dit rien.

   Oh mon Dieu.

   Oh mon Dieu.

   Non non non. Non non non non non.

   Je n'arrive plus à respirer.

- Linn?

   Ce n'est pas Thomas Shelby qui m'a appelé. Non, ça vient de derrière. 

- Oh mon Dieu, Michael, dis-je en me retournant, j'ai cru que tu étais mort dans un ravin.

   Il n'a pas le temps de répondre, je franchis en quelques pas la distance qui nous sépare et m'accroche à son cou. Il hésite pendant un moment, puis me rend mon étreinte.

- J'ai cru que tu étais mort dans un ravin, je répète en essayant de calmer ma respiration. Il m'a regardée comme si tu étais mort dans un ravin.

- Tout va bien, Linn, murmure-t-il et je sens ses doigts passer sur mes cheveux. 

   Je me détache un peu de lui pour voir sa tête. Non, tout a l'air d'être en place, pas la moindre égratignure. J'hoche la tête, sans trop savoir pourquoi. 

- Ah, les garçons sont de retour!

   Au même moment, Ada fait son apparition dans le salon, Karl dans les bras. Par réflexe, je me décroche de Michael et me plante un peu bêtement à côté de lui. 

- Salut, Karl! s'exclame Arthur en se dirigeant vers lui. Alors, tu as été gentil avec ton petit cousin à venir?

   Linda répond quelque chose comme quoi cela pourrait tout aussi bien devenir une petite cousine, mais je ne l'entends qu'à moitié. Je sens les doigts de Michael s'entremêler aux miens et il fait un signe de tête en direction de la porte. Il se met à marcher dans cette direction et je le suis. Bien sûr que je le suis.


Michael Gray » Peaky Blinders AUOù les histoires vivent. Découvrez maintenant