Dans un petit coin de ma tête, je nourrissais l'espoir que tous les jours ne seraient pas aussi fatigants que le premier. Qu'au fil du temps, j'arriverais à trouver un certain rythme entre le travail le matin et les cours juste après.
Mais pour l'instant, on n'y est pas encore. Deux semaines plus tard, je m'écroule toujours encore de fatigue chaque soir.
Mon rythme de deux cartons par matinée s'est tout doucement rapproché des deux cartons et demi. Lentement, mais sûrement, je prends le pli. Le fait que je ne passe plus une demi-éternité à lire ce qu'il y a écrit sur chaque feuille y est pour beaucoup, je l'avoue, même si ma curiosité en prend un coup. Au début, j'avais peur que Lizzie vienne me faire une remarque concernant mon avancée relativement lente, mais quand un matin avant de partir je lui ai fait part de mes craintes, elle les a simplement balayées d'un revers de la main en continuant de siroter son café.
Du côté d'Esme et de son nouveau job, ça a l'air de bien se passer. Contrairement à moi, elle adore son travail et chaque jour, j'ai le droit à un récit détaillé de ce qu'elle a fait, vu, entendu. Elle n'a pas la chance de travailler comme moi dans les locaux historiques - non, elle s'est retrouvée au 8e étage d'une grande tour moche -, mais pour la peine, son activité a un peu plus de piquant que la mienne. Elle a le droit de s'amuser sur Excel afin de vérifier que diverses listes de livraison sont bien à jour. D'après ce que j'ai compris, il y a d'abord un gestionnaire qui créé ces listes, puis un sorte de correcteur qui vérifie le tout et enfin Esme qui y jette un coup d'œil à la fin. Au début, elle m'a dit avoir été un peu perplexe face à cette tâche, mais depuis qu'elle a effectivement repéré quelques erreurs, ça y est, elle a trouvé sa vocation.
Et en ce qui concerne Isiah, je ne l'ai pas recroisé en cours depuis - non, ce n'est pas tout à fait vrai, je l'ai plusieurs fois vu de loin, mais il ne m'a pas vue et je n'estime pas encore nos relations assez cordiale pour crier son nom depuis l'autre bout de l'amphi.
Ou en tout cas, je ne l'avais pas recroisé jusqu'à ce matin, au travail. Alors que j'étais en train de sortir un carton pour le caler comme d'habitude contre la porte ouverte du coffre-fort, une paire de chaussures en cuir apparaît dans mon champ de vision.
- Oh, salut. Qu'est-ce que tu fais là?
C'est la première chose qui m'est venue à l'esprit. Le mardi, on a cours de 8h à 9h en temps normal. Je me redresse et m'adosse sur le côté contre l'encadrement de la porte.
- J'avais un truc à déposer pour Michael - monsieur Gray, rectifie-t-il. Et... Lizzie m'a dit l'autre fois qu'une certaine miss Richard travaillait dans le coffre tous les matins, donc je me suis dit que... que Richard, Pritchard, c'était peut-être toi?
- Alors, est-ce que c'était moi? je demande tout en regrettant immédiatement cette tentative de blague pas drôle. Attends - est-ce que monsieur Gray est là?
- Euh... oui, pourquoi? Tu devais le voir?
- Oui. Je n'ai toujours pas de badge, et comme il était parti je ne sais où ces deux dernières semaines et que, pour une raison obscure ou une autre, il est le seul à pouvoir me donner ce bout de plastique... (Je rends un « bonjour » que nous lance une secrétaire dont je ne connais pas le nom qui vient de passer.) Je crois que Mme Joseph à l'accueil en a jusqu'à là de moi - avant-hier elle m'a même tendu une feuille imprimée spécialement pour moi, pour que je puisse signer mon arrivée et mon départ - elle a même mis ma photo sur cette feuille, au cas où... je sais pas, au cas où elle oublierait tout à coup à quoi je ressemble? Au cas où moi, j'oublierais à quoi je ressemble?
- Ah, ne t'inquiète pas pour ça, soupire-t-il en souriant tout en mettant les mains dans les poches de son pantalon. Elle est gentille, en vrai. Promis.
- Oh - oui, bien sûr. Je voulais pas du tout dire le contraire, je voulais juste t'expliquer que si jamais tu vois ma photo affichée au mur dans l'entrée, tu sauras pourquoi. Parce que oui, la feuille est affichée contre le mur. J'essaye de ne pas penser au nombre de personnes qui, chaque jour, ont un contact visuel avec le moi de ma photo en noir et blanc.
Pendant une fraction de seconde, il plisse les yeux et me regarde un peu comme si je venais de lui raconter que l'Australie n'existait pas en vrai. Mais finalement, il sourit encore un peu plus, puis sort son portable de la poche de sa veste pour y jeter un coup d'œil.
- Oups, le temps passe vite. Euh... merde, le temps passe vraiment vite. Désolé, il faut que je trace. On se voit plus tard, d'accord? Ici, en cours ou... ou même ailleurs, si ça te dit?
- Euh... oui, pourquoi pas! je réponds.
- Parfait, je t'enverrai un message sur Facebook. Allez, travaille bien! dit-il en se mettant pratiquement à partir en courant.
- Toi aussi!
J'entends une porte se fermer, puis c'est de nouveau silencieux. A part le bruit d'une imprimante et les voitures à l'extérieur, rien du tout.
Bon. Retournons à ces cartons.
Je m'assieds sur le tabouret et fais passer une à une les feuilles à travers la machine, sans pouvoir m'empêcher de rejouer la scène qui vient de se passer sous mes yeux. Mon Dieu, qu'est-ce que je peux être gênante quand je m'y mets. Bon, ce qui est fait est fait, il faut que j'arrête d'y penser. Non, cerveau, pas rejouer encore une fois toute la scène depuis le début... Ok, rejouons la scène depuis le début encore une fois... Argh, c'est de pire en pire.
Après y avoir réfléchi encore pendant une bonne demi-heure - est-ce qu'Isiah me trouve genre cool-cool ou est-ce qu'il essaye juste d'être gentil pour que je lui passe mes cours quand il n'est pas là? Et cetera, et cetera... - j'ai finalement réussi à penser à d'autres choses - un devoir d'économie à rendre pour la semaine prochaine - et je n'ai pas vu les minutes passer.
Quand j'entends une église au loin sonner 10h, je range mon petit matériel et croise les doigts avant de monter à l'étage. Avec un peu de chance, monsieur Gray est encore dans son bureau et je pourrais enfin récupérer mon badge.
Lorsque je suis devant la porte, j'approche vite fait mon oreille près de cette dernière pour m'assurer qu'il n'est pas en train d'organiser une grande réunion d'une haute importance ou quelque chose du style. Mais je n'entends rien.
Comme la fois précédente, je toque et monsieur Gray me fait signe d'entrer. Je m'exécute, pour le retrouver au même endroit que la dernière fois, en train d'écrire sur son ordinateur hors de prix.
- Monsieur Gray? je commence.
Il lève les yeux de son écran, et ses sourcils m'indiquent que je ne faisais pas partie de son programme.
- Excusez-moi de vous déranger, monsieur. Je suis l'étudiante qui travaille ici de 8h à 10h (J'ai vite compris que 8-10 était en quelque sorte mon identité dans cette entreprise, en opposition aux autres étudiants qui doivent probablement s'appeler 10-12 ou 14-16.). C'est Mme Joseph qui m'envoie, pour que je puisse récupérer mon badge...
- Votre badge. (Il lui faut une seconde pour percuter.) Oui, bien-sûr, votre badge... enchaîne-il en ouvrant un tiroir.
- Je m'appelle Linn Pritchard. Pritchard, comme dans Richard mais avec un «P» et un «T» après le...
Avant que je n'aie le temps de terminer ma phrase, il pose un petit rectangle de plastique bleu sur le bureau.
- Linn Pritchard, oui. Lizzie m'a dit que vous faisiez du bon travail, ajoute-il en reportant son attention sur son ordinateur tout en faisant glisser le badge dans ma direction. Continuez comme ça, mademoiselle.
- Merci, monsieur.
J'attrape le fameux sésame du bout des doigts et sors de la pièce en essayant de fermer la porte en faisant le moins de bruit possible.
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Michael Gray » Peaky Blinders AU
FanfictionBirmingham, 2019. Depuis plus d'un siècle, la famille Shelby est reine de Birmingham, à la tête d'un empire d'import-export aux quatres coins du monde. Rien ne semble pouvoir les arrêter. Mais cela ne plait pas à tout le monde... Linn, 19 ans, revie...