« Chapitre 10 : Les inconnus sont des amis que tu ne connais pas encore. »

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- Ne réponds rien! m'ordonne Olivia, qui se tient encore dans l'entrée en refusant catégoriquement de quitter son chez-elle. 

   J'ai vu assez de séries policières américaines pour savoir que je ne suis probablement pas tenue à répondre à ce sergent Moss. Aucune idée de comment ça se passe dans la vrai vie, mais un interrogatoire surprise chez moi comme ça, ça ne me parle pas. 

- Je ne dirai rien, monsieur le policier. Pas sans la présence de mon avocat. 

   Je n'ai pas d'avocat, bien évidemment, mais j'ose espérer que le système judiciaire m'en mettrait un à disposition si besoin. Bon sang, mais qu'est-ce qui est en train de se passer?

- Miss Pritchard, soupire le sergent Moss, cela nous faciliterait vraiment la tâche si vous vous contentiez juste de répondre à mes questions. Vous avez commencé à travailler à Shelby Company Limited il y a un peu plus de deux semaines que ça, vrai ou faux?

- Non mais vous allez la laisser tranquille, oui ou non? s'exclame Olivia en m'attrapant par la main. Soit vous avez l'ordre de l'emmener au commissariat pour répondre à je ne sais quelles questions - je vois pas trop pourquoi, mais passons - soit vous quittez cet appartement genre là, tout de suite, avant que j'appelle mes amis les journalistes pour voir si ça ne les intéresse pas de savoir que trois brutes comme vous essayent d'interroger une citoyenne innocente de ce pays en dehors d'une structure créée pour ce fait.

   Sergent Moss semble peser le pour et le contre pendant un instant, puis jette un coup d'œil à ses deux collègues qui ne semblent pas plus enchantés par la situation que lui.

- On... on va vous laisser, madame. Miss. De toute évidence, vous... n'êtes pas en état de répondre à nos questions aujourd'hui. 

- Ha, je le savais! dit Olivia en secouant la tête. Il se passe un truc louche ici, vous ne pouvez pas l'emmener au commissariat donc vous n'avez pas de papier officiel de... 

- On vous recontactera, l'interrompt le sergent avant de nous saluer d'un signe de tête et de quitter l'appartement, ses collègues à sa suite.

   Une fois qu'ils sont dehors, je vérifie que la porte est bien fermée et verrouille à double tour. Ensuite, je me dirige vers mon lit et m'affale à plat ventre dessus. Mais qu'est-ce qu'il se passe? Ça n'a absolument aucun sens...

   Quelques secondes plus tard, je sens le matelas s'affaisser au niveau de mes pieds : Olivia s'est assise. 

- Dis-moi, Linn... Tu n'as rien fait de chelou, au travail?

- Bien sûr que non! je réponds à travers le coussin. J'ai rien demandé à personne - je fais mon job, je scanne mes papiers et puis c'est tout.

- T'inquiète, c'est ce que je pensais... Si jamais ils reviennent sans vrai mandat - son histoire de papier signé par un juge, c'est du n'importe quoi à mon avis, si jamais ils reviennent comme ça pour t'interroger ici, peu importe le sujet, tu les laisse devant la porte et tu m'appelle. D'accord?

- D'accord. (Je ne dis rien pendant un moment, puis une pensée me traverse l'esprit.) Tu n'as pas réellement des amis journalistes, ou bien?

- Euh... c'est quoi le dicton, déjà? Les inconnus sont juste des amis que tu ne connais pas encore, quelque chose comme ça?

- Wow, t'as trouvé ça sur quel Skyblog citations? 

- LiveLaughLove, répond-elle sans réfléchir. (Elle se lève de mon lit.) Bon, c'est pas tout, mais ça m'a donné faim leur histoire là. Tu veux des raviolis?

   * * *

   Avec Olivia, on a passé le reste de la journée à végéter devant des vidéos Haul sur YouTube. En théorie, j'avais prévu de travailler un peu sur un dossier d'économie à faire, mais après le passage surprise de M. Moss et associés, l'envie déjà minime de me plonger dans le système macroéconomique des mondes anglo-saxons de 1978 à 1981 m'est définitivement passée. 

   J'ai dû m'endormir avant 21h (au beau milieu d'un haul Aldi, je crois), et quand je me réveille le lendemain matin, je suis surprise de ne pas être aussi fatiguée que d'habitude. 

   Je me prépare une fois de plus sans faire de bruit tout en grignotant une tranche de pain de mie avec de la confiture, puis passe une demi-éternité à chercher un tupperware pour pouvoir emmener des raviolis de hier comme repas de midi (pour ma défense, ledit tupperware traînait dans un coin de la douche - j'avais oublié que je l'avais nettoyé là avant-hier). Une fois fin prête, j'affronte le froid glacial, puis un bus plein à craquer avant de finalement arriver à destination.

    Après ce qui s'est passé hier, je me sens un peu mal à l'aise à l'idée d'aller travailler. J'aurais bien aimé savoir ce que ces policiers cherchaient à savoir, pourquoi c'est en rapport avec Shelby Company Limited et, plus important encore, en quoi cela me concernait moi.

   Je fais biper mon badge à l'entrée sous le regard attentif de Mme Joseph puis me rends dans mon coffre. Aujourd'hui, j'inaugure les cartons datés de 1922. Allez, c'est parti pour deux heures de plaisir.

   * * *

   Je n'ai toujours pas réussi à franchir la barre des trois cartons par heure, mais on y est presque. Bon, j'avoue que si je perdais moins de temps à lire chaque feuille avant de la numériser, j'aurais probablement fini deux fois plus vite, mais je fais des progrès : comme j'en ai déjà survolées tellement, je commence à connaitre certains reçus par cœur - un certain monsieur Gold, misant toujours 5£ sur Grace's Secret dès qu'elle court, un autre monsieur faisant la même chose mais avec 6£...

- Linn?

   Alors que je suis en train de mettre le carton entamé aujourd'hui de côté pour le continuer demain, Lizzie apparaît dans l'entrée du coffre.

- Monsieur Gray t'attend dans son bureau.

   Pendant une fraction de seconde, je dois me faire violence pour ne pas rire - «Monsieur Gray t'attend dans son bureau» sonnant comme une phrase sortie tout droit d'un film de la franchise Fifty Shades of Grey - mais seulement pendant un instant. 

   Et merde. Oulala, ça ne me dit rien qui vaille. Pourquoi voudrait-il me voir? Oh mon Dieu, ça a certainement un rapport avec la venue des policiers hier. Merde, merde.

- A propos de quoi? je demande à Lizzie en me redressant.

- Il ne m'a rien dit. Il a juste précisé que c'était urgent.

- D'accord, je... je ferais mieux d'y aller, alors.

   Elle se pousse pour que je puisse sortir du coffre et je m'engouffre dans le couloir sans me retourner. A chaque pas, j'essaye de me dire que je n'ai absolument rien fait de mal, mais je n'arrive pas à me défaire de cette sensation de culpabilité. Mon Dieu, c'est d'un ridicule! Il y a sûrement une explication rationnelle à ça, peut-être que c'est juste parce que... parce que les badges sont changés et que j'en ai un nouveau? Oui, voilà une explication qui tient la route et qui, mieux encore, n'implique pas les forces de l'ordre. Parfait, donc.

   Une fois que je suis à l'étage, je vois que la porte du bureau de monsieur Gray est entrouverte. Plusieurs voix masculines parviennent de l'intérieur - dans une sorte de cacophonie à voix basse. Une voix féminine, aussi.

   Ne sachant pas si je suis conviée ou si je dois attendre que les personnes quittent les lieux avant que ça soit mon tour, je me résigne à attendre à l'extérieur, tout en croisant les bras devant la poitrine pour me donner consistance. Pourvu que personne ne passe par là, car j'ai l'air très fine, actuellement. 

   Et comme si l'univers entier venait d'entendre cette pensée, j'entends des bruits de pas dans l'escalier. J'hésite à me mettre en marche pour faire comme si j'étais en train d'aller quelque part, mais stoppe net en voyant qui vient de faire son apparition dans le couloir.

   C'est le directeur de Shelby Company Limited.

   Thomas Shelby. 

Michael Gray » Peaky Blinders AUOù les histoires vivent. Découvrez maintenant