« Chapitre 14 : Arrow House. »

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   Le début du mois de décembre se déroule de façon étrangement calme, malgré les examens et la situation au travail. Avec Esme et Isiah, on a développé une petite routine de révisions, qui consiste à se retrouver tous les soirs après les cours à la bibliothèque, à stabiloter frénétiquement des pages et des pages de polycopiés, à se poser mutuellement des questions dignes d'une émission télévisée de culture générale, mais surtout à se plaindre de la quantité astronomiques de choses à apprendre. 

   Bon, il est clair que dit comme ça, notre méthode ne semble pas couper trois pattes à un canard, mais le jour des examens, je me suis rendue compte que tout ce travail allait peut-être bien porter ses fruits. Plus qu'à attendre quelques semaines pour voir les résultats. 

   Au travail, tout se passe également comme sur des roulettes en ce moment. A part madame Joseph, Lizzie et parfois Linda des ressources humaines, je n'interagis avec personne et c'est presque mieux comme ça. J'ai bientôt fini de numériser tous les cartons présents dans le coffre et Lizzie a déjà passé des appels pour faire venir la suite. 

   Olivia est partie rejoindre sa famille dès le début des vacances de Noël et je me retrouve donc seule à l'appartement pendant deux semaines. De mon côté, mes parents n'ont que pu poser deux jours de congés en même temps juste avant la nouvelle année et c'est donc là que j'irais les voir.

   La Shelby Company Limited est également fermée pendant la période de fêtes et je dispose donc de quelques jours de congés pour ne faire absolument rien de productif. Mon Dieu, qu'est-ce que j'ai hâte.

   Aujourd'hui est mon dernier jour de travail avant les vacances. Lorsque j'arrive à l'entreprise, je vois que les bureaux ont été joliment décorés pour l'occasion - des guirlandes et couronnes de l'avent disposées un peu partout aux murs et accrochées aux poignées de fenêtres.

- Bonjour, Lizzie, dis-je en passant devant le bureau de cette dernière.

- Bonjour à toi aussi, Linn, répond-elle tout en sirotant son gobelet de café. Oh, attends! (Elle recule sur sa chaise à roulettes, ouvre un tiroir et en sort une feuille de papier qui ressemble à un prospectus.) Tiens, on les a distribués hier soir à tout le monde mais tu n'étais plus là, du coup.

   Je prends le papier qu'elle me tend.

   VEILLEE DE NOEL ANNUELLE DE LA FAMILLE SHELBY

   24 DECEMBRE 2019, 17H

   ARROW HOUSE, BIRMINGHAM

- Tous les employés sont invités, précise Lizzie. Bon, en général, il n'y a pas tellement de monde que ça, parce que c'est Noël et tout... C'est pour qu'aucun employé de l'entreprise ne soit seul le jour de Noël. Si jamais ça t'intéresse, c'est gratuit et la nourriture est excellente.

- Oh, je... je sais pas, c'est pas un peu bizarre que j'y aille?

- Absolument pas, c'est vraiment pour tout le monde. J'y vais aussi, si jamais. Au pire, tu passes faire un tour, tu dévalises le buffet et tu pars juste après, une bouteille de champagne qui coûte plus cher que mon salaire annuel et le tien réunis sous le bras.

- C'est tentant, dis-je sans savoir si ça l'est vraiment ou pas. Merci, Lizzie, je vais y réfléchir.

- Si tu veux venir, il faut que tu demandes à madame Joseph de t'inscrire sur une feuille, et il faut préciser le nombre de personnes qui t'accompagnent. Le maximum, c'est trois, je crois.

   * * *

   Je ne sais pas vraiment pourquoi j'ai décidé d'y aller. Bon, je sais qu'Esme y est pour quelque chose : elle aussi a été invitée à la veillée, mais, ne pouvant pas s'y rendre, a absolument tenu à ce que moi j'y aille. C'était soit aller chez les Shelby, soit passer Noël avec elle et le clan Lee. Même si je ne me sens pas vraiment légitime à me rendre à Arrow House, je préfère ça à l'idée de m'incruster dans un vrai repas de famille, aussi gentille Esme soit elle.

   Me voilà donc, le 24 en milieu d'après-midi, à regarder pour ce qui doit être la millième fois le contenu de mon armoire, comme si quelque chose de potable à me mettre allait apparaître tout à coup. 

   Je n'ai aucune idée du dress code, mais en cherchant sur Google «veillée de noël arrow house 2018», je suis tombée sur des photos de jeunes femmes dans des robes qui semblaient sortir tout droit d'une maison de couture parisienne. 

   Une jupe noire toute simple, voilà ce que j'ai emmené de plus festif à Birmingham. Je vais l'associer avec un sous-pull à col montant rouge foncé, et si je mets cette ceinture au niveau de la taille... Bon, ce n'est pas la tenue du siècle, mais je pense qu'on a vu pire.

   J'assortie le tout avec des grandes créoles argentées et des collants noirs qui ne sont pas de première jeunesse. Ensuite, le meilleur pour la fin : quand j'ai appelé Olivia pour l'informer de ma petite sortie, elle m'a pratiquement obligée à mettre une paire de ses chaussures à talons. Cela fait deux jours que je m'entraîne à marcher avec dans l'appartement - les voisins d'en bas doivent me maudire s'ils sont à la maison -, mais le résultat n'est pas franchement glorieux. Je crois que je vais passer la soirée assise sur une chaise, à essayer de deviner le prix de tout ce que je serais en train de manger. 

   Au moment où je m'apprête à sortir, je me rends compte d'un détail : je ne peux pas conduire avec ces machins aux pieds. J'enfile une paire de Converses noires à la place et, les talons dans une main, une petite pochette noire dans l'autre, descends les escaliers puis sors jusqu'à l'endroit où ma petite Peugeot rouge est garée.

   Une fois à l'intérieur, j'accroche mon portable contre son socle au niveau du pare-brise pour m'en servir comme GPS. Contrairement à ce que je pensais, le manoir familial des Shelby n'est pas à l'autre bout du monde, juste de l'autre côté de la ville. Selon les estimations, il me faut un peu moins d'une demi-heure pour y aller.

   * * *

   Au final, j'aurais mis plus de trois quarts d'heure avant d'arriver à Arrow House : j'ai loupé à deux reprises le petit chemin de la forêt menant à leur demeure car il me paraissait un peu trop... rural? Au milieu de nulle part?

   C'est finalement la longue ligne de voitures garées au bord du chemin qui m'a mise la puce à l'oreille, et j'ai stationné derrière une grande berline sur le côté de la chaussée. Ensuite, du mieux que je l'ai pu depuis le siège conducteur, j'ai troqué mes Converses contre les talons.

   Etant donné que je suis tellement loin de la fête pour qu'il y ait des lampadaires, je me sers du flash de mon téléphone pour éviter de marcher dans la boue. Les talons, c'était vraiment l'idée du siècle.

   Environ une centaine de mètres plus loin, j'aperçois ce qui me semble être une sorte de majordome, vérifiant le nom des gens sur la liste d'invités. Lorsque c'est mon tour, j'ai soudain la certitude qu'il va me dire que le mien n'y est pas, mais si. Tout est dans l'ordre. J'ai le droit d'être ici, devant l'énorme manoir des Shelby. Tout va bien.

Michael Gray » Peaky Blinders AUOù les histoires vivent. Découvrez maintenant