« Chapitre 73 : Tic Tac »

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   Lorsque j'arrive dans le salon, j'ai l'impression d'arriver la dernière à une fête à laquelle je n'étais pas invitée. Ou plutôt à un enterrement, vu leurs têtes. 

   Polly et le prêtre - Isiah avait donc raison - sont assis chacun à l'extrémité d'un canapé. Le prêtre est un grand monsieur qui doit avoir une cinquantaine d'années. Il sirote ce qui doit être du thé d'une petite tasse en porcelaine blanche, comme si cette situation était parfaitement normale. 

   A l'autre bout de la pièce, Michael se tient contre le rebord de la fenêtre et écrase le reste d'une cigarette dans un cendrier. Lorsqu'il me voit, je crois pendant une seconde qu'il va venir vers moi, mais il n'en fait rien.

- Ah, Linn, commence Polly en me faisant signe d'approcher. Viens, je vais te présenter père Hughes. 

   Je reste debout à côté d'un fauteuil et mets les mains dans les poches de ma veste en jean. A l'intérieur de ma poche gauche se trouve une boîte de Tic Tacs vide et je commence à ouvrir et fermer le clapet pour me donner quelque chose à faire.

   Ledit père Hughes se tourne un peu pour pouvoir me regarder et un sourire se dessine sur ses lèvres fines. 

- J'aurais aimé que les circonstances soient différentes, mais je suis enchanté, mon enfant, et...

- Linn, l'interrompt Michael sur un ton sec, on est d'accord que tout ça, c'est absolument hors de question? 

   Sur le coup, j'ai envie de dire aïe. Pas aïe, mais Michael, je voulais absolument me marier dans ce salon ici maintenant aujourd'hui, mais aïe, là ça fait un peu comme si tu ne m'aimais pas trop en fait et... 

   Oula, je pars dans les choux. Non, Michael a raison.

- On est d'accord, dis-je en sans arrêter de jouer avec la boîte de Tic Tacs. C'est...

- C'est pour ta sécurité, Linn, m'interrompt Polly et vu la déception qui recouvre ses traits je devine qu'elle pensait que j'allais dire oui. Je t'ai déjà expliqué la situation, si jamais il t'arrive quelque chose...

- Rien ne lui arrivera. (Le ton de Michael est sans appel et il traverse le salon jusqu'à se tenir à côté de moi, une main dans mon dos.) Polly, tu peux dire à Rivka que...

- Rivka est en cours de route, continue Polly en me regardant. Ton père aussi, Solomons de même. Nouer une alliance comme celle-là en ces temps troubles, c'est très important. Je sais que ça peut paraître vieille école, mais... regarde John et Esme - ils sont heureux, non? Les circonstances étaient un peu...

- Madame Gray, la coupe doucement le prêtre comme s'il parlait à un enfant, les jeunes gens ont parlé. S'ils ne sont pas d'accord, le sujet est clos, pour moi et pour Dieu.

   Je sens la main de Michael me pousser tout doucement vers la porte.

- Tu as entendu, Polly? interpelle-t-il sa mère. Dieu n'est pas d'accord. Shelby Company Limited s'excuse pour la gêne occasionnée, ajoute-t-il en faisant un signe de tête en direction du prêtre.

- Il n'y a pas de mal, dit ce dernier en se levant du canapé et en faisant quelques pas vers nous. Cela faisait des années que je n'avais pas bu un aussi bon thé.

   Il tend une main dans notre direction et comme Michael n'a pas l'air de vouloir continuer cette conversation plus longtemps que nécessaire, je serre la main du monsieur. Il m'écrase presque littéralement les doigts.

   Au même moment où je me dis que c'est un détail qui ne fait pas très prêtre, je remarque que sa main est au moins deux fois plus moite que les miennes l'ont été le jour où, en CM2, j'ai dû lire un poème de ma création devant toute l'école.

Michael Gray » Peaky Blinders AUOù les histoires vivent. Découvrez maintenant