L'écoulement sinistre de ces derniers mois se résumait à un long tunnel aveugle, et toute la préparation d'Haïdès n'y changeait rien. Il se savait qualifié par les humains d'esprit cartésien, cet adjectif respectueux et répugné qu'ils réservaient aux créatures dépourvues d'un quotient émotionnel élevé telles que lui. Rationnel, il l'était. Assurément, même. Du fait de sa prédisposition intellectuelle, bien sûr, les siens se targuant avec fierté de se laisser guider par la logique dans la plupart des circonstances, mais surtout, par choix intrinsèque. Durant son premier siècle d'existence, cette certitude lui fit office à la fois de refuge et de bouclier. Il lui suffisait de la brandir et il se retrouvait à l'abri de toute contradiction.
Les humains ne sont que des mammifères incompréhensibles et indignes d'intérêt.
Fah-Shir-Vâa, devenu Aresh, déraillait forcément quand il évoquait une présence planquée dans les débris de conscience des anciens porteurs de l'umbrarmure. Aucun d'eux n'avait d'ailleurs survécu à la purge du Collectif.
Les Thanyxtes atteints de mélanisme n'existaient pas et Thelxinoe était une singularité gravitationnelle. Quant à la Structure : une base trompeuse, un archaïsme sémantique, un concept issu de l'inconscient collectif, un abus de langage. Un mythe.
Oh, qu'il avait été confortable de vivre dans cette vérité inébranlable.
Sa réalité ne se fissura pas tout de suite. Il le savait, son esprit n'était pas de ceux à s'effondrer d'un bloc, face à une révélation métaphysique de nature à contrarier sa construction profonde. Sa chute, au contraire, se fit au ralenti. Strate par strate, craquelure par craquelure. Durant de longs jours, impuissant, il assista à sa propre décomposition mentale. Ce qu'on lui avait infligé y prit une place de choix, bien sûr ; la douleur et la torture, formidables instruments du reconditionnement béhavioriste dont il connaissait par cœur les applications et les pratiques pour les avoir exercées. Le subir, cependant...
La mise en garde de Kharôn s'était avérée inutile. Aucun discours ne préparait à ça.
Mais son esprit tint bon, s'accrochant au bord du précipice à grands coups de griffes métaphoriques, tout du moins jusqu'à ce que l'étreinte de la souffrance physique ne le relâche. Quand il fut de nouveau capable de se déplacer, il remarqua la mise en œuvre d'un processus étrange, dans les replis de sa conscience. Un phénomène pouvant s'apparenter à une dissolution chimique. Cette luxuriance corrosive ne s'était pas implantée de concert avec l'excroissance noirâtre dans son dos, il en était persuadé. Elle existait depuis toujours, en état dormant. Quand il lui arrivait de flirter avec la mort et la folie en enfilant l'umbrarmure un peu trop longtemps, ou quand son corps se trouvait en situation de stress extrême, comme sur Odyssée, cet instinct atavique remontait à la surface tel un ange gardien abrité par son cortex. Ce réflexe de préservation subsistait plus ou moins chez toutes les espèces intelligentes et il n'y faisait pas exception.
La science neurale Thanyxte se trompait pourtant sur une chose, comme il le déduisit à contre-cœur. Ce qu'ils prenaient pour un instinct forgé par les aléas de l'évolution avait été en fait introduit dans leur génétique. Un savant et artificiel piège biologique, attendant son déclenchement par le port prolongé de l'umbrarmure. L'interface antique de cette dernière s'attaquait alors aux liaisons neurologiques et ensuite, aux télomères, condamnant le corps à la mort dans un délai plus ou moins bref. Même ceux comme lui, dont l'orientation eugénique du Styx prédestinait à une plus grande résistance à la dégénérescence, n'y échappaient pas.
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IMPACT
Science FictionPersonne n'échappe à Hélion GmbH, le plus gros fabricant d'armes du Système Circulaire. Ni la fille du patron de l'entreprise. Ni le mercenaire malchanceux essayant de revendre du matériel de la compagnie suisse pour arrondir ses fins de mois. Ni M...