Aélig savait pertinemment qu'elle n'aurait pas dû se trouver dehors à cet instant.
Abrogeant une de ses règles fondamentales, soit ne pas traîner dehors après vingt-deux heures, alors qu'elle se trouvait dans une ville inconnue sur une planète tout aussi étrangère, elle était sortie, quittant le refuge de la bauge infecte de son hôtel.
Cela dit, il y avait urgence et de toute manière, maintenant qu'elle se trouvait presque à destination, la traversée des ruelles humides et glauques de Swarth ne lui paraissait plus si effrayante.
Varesj était une planète mineure située en bordure du Système Circulaire, à l'écart de toute artère commerciale ou touristique, et cela lui convenait tout à fait.
Négligée par la colonisation du Kohltso depuis sa découverte, à cause de sa petitesse et de son atmosphère tropicale, suffocante au-delà du tolérable, Varesj la marécageuse était devenue le refuge de ceux qui, lassés de la civilisation, voulaient s'installer à l'écart ou bien fuir une législation jugée trop répressive.
Placée sous la tutelle de l'espèce humaine, la planète au climat visqueux était dirigée par un protectorat fort laxiste, faisant une belle place à la corruption, et qui s'était même tant bien que mal amouraché de Green Edge, une organisation décrite comme « terroriste » par le Circular System Watch, l'armée de la coalition inter-espèces.
Depuis son débarquement, Aélig avait donc évité d'adresser la parole à ces gens-là.
La soirée s'annonçait moite et étouffante, comme pratiquement toutes celles des deux cent quatorze jours du calendrier annuel local.
Le temps était ici monotone. La température frôlait le maximum supportable et l'hiver durait approximativement deux semaines, durant lesquelles une pluie désagréable et tiède était vomie par un ciel sombre, noyant les marécages et les innombrables trouées boueuses, faisant déborder les cours d'eau squameux.
Cette placidité atmosphérique, ces étendues pleines de tourbières et ces landes collantes, humides, avaient une répétitivité reposante.
Même l'une des rares villes de la tellurique s'intégrait parfaitement dans le paysage.
Bâtie lors de la première vague de colonisation humaine, il y a plus de cent ans et bien avant la création de l'Unité du Kohltso, Swarth était un agglomérat vieillissant de bâtiments cubiques préfabriqués, déposés à même la mouise par d'antiques grues.
Des tours en béton armé avaient poussé ici et là comme des champignons blêmes sur un tas de fumier. Ainsi qu'elle l'avait noté dès les premières heures, Swarth n'avait rien du charme des premières colonies entretenues et proprettes, aux allures de musées, soignées pour les générations futures, comme si l'Humanité voulait prouver à sa descendance qu'elle avait enfin réussi à bâtir quelque chose.
L'humidité élevée que charriait l'air aux relents fiévreux avait recouvert le béton et le plastogène craquelé des habitations et des gratte-ciel géométriques d'une pellicule grasse, verdâtre et filandreuse.
Une algue que l'on nommait localement la lèpre chevelue avait colonisé les murs, plus envahissante que le lierre et aux spores infiniment petits, s'accommodait parfaitement aux édifices urbains.
Cette couche suintante de mousse parasite donnait à Swarth des allures d'épave abandonnée au fond des eaux, une cité cyclopéenne surgissant d'un abîme, transpirante sous la chaleur, dégoulinant de brumes et plantée sur un delta d'eaux troubles.
Les rives étaient envahies de crabes de la taille d'une assiette, pataugeant dans la boue.
Dans cette atmosphère imprégnée par la saumure, Aélig avait l'impression de se balader au fond d'un quelconque abysse sans scaphandre.
Ce n'était pas un sentiment particulièrement agréable.
De manière générale, elle n'aimait pas être étouffée par quoi que ce soit.
C'était d'ailleurs la raison de sa venue sur Varesj.
Lors de son passage sur la station de transit de Hellgarden, à des milliers de parsecs d'ici, elle avait tenté de résoudre son épineux problème à l'intérieur d'un laboratoire à moitié clandestin.
Quand elle avait tendu son bras au médecin, celui-ci avait examiné l'implant qui se trouvait sous l'épiderme pendant un long moment avant de plisser du nez d'un air circonspect.
« Nah », lui avait-il dit avec un ton presque désolé. « Je peux pas vous enlever ça. C'est au-delà de mes compétences, faut être un sacré chirurgien pour détacher le bousin – et moi, j'ai pas eu le temps de me spécialiser en biotech à la fac, on m'a enlevé mon diplôme avant. ».
Il avait ricané, visage anonyme éclairé par un scialytique de mauvaise facture dans une antichambre imprégnée par l'odeur de javel.
« Ce qu'il vous faut, mamoizelle, c'est un vrai docteur. Mais pas sur Hellgarden. Ça grouille de flicaille par ici, vous avez bien vu... vous ne trouverez personne pour vous retirer ça. On a trop peur des ennuis avec le CSW. C'est pas légal de se débarrasser de ce genre de machins... qui est-ce qui vous a mis ce truc ? Au vu de l'excellente facture des circuits, ça doit au moins valoir... »
« Allez vous faire enculer », avait craché Aélig et elle avait fait mine de partir sans demander son reste, étranglée par les parfums de morgue et le manque de lumière qui régnait dans le cabinet. Le médecin privé de diplôme s'était contenté de hausser des épaules.
De toute évidence, elle n'était pas la seule cliente dépourvue de savoir-vivre qu'il recevait.
Guère étonnant, quand on exerçait sur une planète-prison.
« Par contre, sur Varesj ils sont moins regardants », avait-il ajouté. « Un jour, j'ai rencontré un collègue qui s'était spécialisé dans les implants avant de se faire virer. Un véritable génie, dans son style, quoiqu'un peu étrange. Il est sur Swarth, maintenant. À la clinique privée en banlieue. Martin S.Henker, qu'il s'appelle. Allez le voir, pour votre, euh... souci ».
Se remémorant ces paroles lâchées sans enthousiasme, Aélig regarda le bâtiment qui se dressait devant elle.
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IMPACT
Science FictionPersonne n'échappe à Hélion GmbH, le plus gros fabricant d'armes du Système Circulaire. Ni la fille du patron de l'entreprise. Ni le mercenaire malchanceux essayant de revendre du matériel de la compagnie suisse pour arrondir ses fins de mois. Ni M...