CHAPITRE 3 : Encerclé

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Haïdès ne sut pas combien de temps il passa dans les vapes, ni même s'il s'était réellement évanoui

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Haïdès ne sut pas combien de temps il passa dans les vapes, ni même s'il s'était réellement évanoui. Son environnement baignait dans une bouillie sensorielle indigeste, allant et refluant dans son esprit par intermittence. Une migraine atroce lui tambourinait le crâne, se mêlant à la ligne de feu plantée dans toute sa mâchoire. Au prix d'un évident effort, il s'appuya sur ses coudes et se força à se mouvoir. Un silence inquiétant planait aux alentours, oblitérant le goût amer du sang qui lui souillait la langue. Trébuchant, en proie à un vertige nauséeux, il se redressa et retomba aussitôt, trahi par son membre mutilé. Où était-elle ? Il ne l'entendait plus crier. Nulle trace de Ninhursag non plus. Son esprit vacilla une fois encore et il secoua la tête, enrageant face à cette détresse physiologique insupportable. L'autre ne l'avait pas épargné. L'angoisse le poussa à se lever, obligeant son muscle défaillant à trembler et à saigner. Une odeur étrange, saturée, presqu'électrique, planait dans l'air, bouleversant son sens olfactif. Il ne se fia alors qu'à sa vue, renonçant à chercher la signification de ce qu'il humait.

Gueule entrouverte et yeux révulsés, Ninhursag gisait au sol, la tête enfoncée dans les résidus gélatineux de son propre sang pourpre. Des bulles y flottaient, comme si le plasma avait brutalement bouilli et refroidissait au contact de l'air ambiant. Le zméide était mort. Il lui fallut un temps avant d'en prendre pleinement conscience, mais il ne s'attarda pas pour autant sur son cadavre. Un son atone, plus proche du soupir que du langage articulé, lui fit tourner vivement la tête.

Assise non loin, l'étole enroulée autour d'une de ses cuisses tel un serpent déchiqueté, Aélig fixait le vide. Haïdès se figea. Elle était pleine de sang. La substance la collait à l'instar d'une seconde peau luisante. Un liquide noirâtre pas encore tout à fait sec lui maculait la gorge, du menton à la poitrine, figeant une partie de son visage sous une gangue de glaise. Un bras autour de son torse et les jambes nouées, elle dissimulait sa vulnérabilité dans un tremblement. Elle semblait frissonner de froid. Une aberration, au vu de la température tropicale qui stagnait à l'intérieur. Le cadavre de Ninhursag s'étendait non loin de son dos tourné.

Haïdès tomba à genoux devant elle, sans parler, s'emparant de ses épaules pour l'obliger à se déplier, tâtant son corps à la recherche de blessures. Elle se laissa manipuler sans réagir, lui adressant à peine un regard alors qu'il l'étudiait avec un empressement fiévreux ; pourvu qu'elle n'ait rien, pourvu qu'elle aille bien, car si ce n'était pas le cas, il ne se le pardonnerait jamais. Son examen ne lui révéla aucun traumatisme, à part celui qu'il lui avait infligé auparavant. Le pansement semi-solide s'était défait, mais elle était parfaitement indemne. Le sang qui la recouvrait n'était pas le sien, mais celui de Ninhursag – il en reconnut la texture gluante sous ses paumes en lui prenant le menton pour l'obliger à relever la tête. Pour une raison qui lui échappait, elle avait régurgité une importante quantité de gel structurel. Ses yeux étaient étrangement voilés. Elle ne se trouvait pas réellement avec lui, coincée dans des limbes qu'elle était la seule à connaître. Perturbé par cette absence, il voulut lui demander pardon. S'excuser de l'avoir abandonné une fois de plus. Lui dire qu'il mourrait de honte d'avoir si bêtement fait confiance à sa propre espèce ; lui avouer qu'il culpabilisait d'avoir été incapable de prendre le dessus sur cette ordure qui s'en était prise à eux au moment où ils s'y attendaient le moins. Mais cela n'arrangerait rien du tout, ou alors, il avait peut-être trop mal à la mâchoire, si bien que rien ne lui vint. Mettre des mots sur ce qui le torturait était au-delà de ses forces pour l'instant. Aélig ne le fixait qu'à moitié, le regard perdu quelque part derrière son épaule.

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