Chapitre 115

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SWANN

En pleine révision, ce fut les coups frappés contre le battant de sa porte qui le tirèrent de ses cahiers. Il se frotta les yeux pour se réveiller et accepta que l'inconnu pénètre dans sa chambre. Jude, un sourire sur les lèvres, s'avança jusqu'à lui pour le saluer. Son aîné jeta un coup d'œil à ses fiches et demanda :

— Tu as du temps ou pas ?

— Ça dépend pour quoi.

— Si je te kidnappe pour de l'accrobranche ?

Perplexe, Swann fronça les sourcils et le dévisagea sans comprendre. Amusé par son air, son frère lui tira les joues jusqu'à lui arracher un grognement mécontent. Jude s'appuya sur le rebord du bureau et s'expliqua :

— Une petite virée entre nous trois, ce serait cool, non ? Ça fait longtemps qu'on n'a plus fait ça.

Par « nous trois », le noiraud comprenait qu'il incluait sa jumelle. Ses dents vinrent torturer sa lippe alors qu'une question dansait devant ses yeux. Il ne voulait pas vexer son aîné, mais son soudain comportement le perturbait.

— Jude, euh..., il se gratta la joue en baissant les yeux, pourquoi tu fais tout ça ?

— Tout ça quoi ? questionna le plus vieux en détaillant son visage.

Swann se tritura les doigts en jetant un coup d'œil à son cahier ouvert à sa gauche, se mordit la lippe et répondit sans lui accorder ne serait-ce qu'un regard.

— Bah... tu reviens plus souvent à la maison et euh... tu proposes des trucs comme ça. Avant tu... on ne te voyait pas trop.

Il jeta un regard craintif à son aîné qui, d'un sourire attendrit, glissa ses doigts entre ses boucles. Ils se regardèrent longuement, assez pour que Swann détaille ses iris plus sombres que les siens malgré leur bleu commun.

— C'est vrai, mais tu m'as aussi dit que tu souffrais de mon absence... je veux juste me rattraper.

— Tu n'as pas besoin de faire tout ça, riposta Swann qui n'en restait pas moins touché. Je ne t'ai jamais dit ça pour que tu changes les choses.

Ou peut-être que si, mais il ne voulait obliger Jude à rien. Le plus grand soupira et abandonna la chevelure de son frère pour balayer la sienne.

— Pour être honnête, j'ai sauté sur l'occasion de partir de la maison quand Elody a évoqué le sujet. Tu sais, je vous adore Summer et toi, mais j'ai dû aider maman dès que j'ai été en âge de comprendre que notre père n'était pas capable d'être aussi efficace qu'avec son entreprise. J'étais jeune et j'ai dirigé toute ma frustration sur papa, mais... avec le temps, j'ai eu l'impression de porter cette famille sur mes épaules frêles d'adolescents. Tu sais, quand tu as dix-sept ans et que tu refuses de traîner après les cours parce qu'il faut que tu ailles chercher ton frère et ta sœur à l'école puisque ta mère bosse, tu as juste l'impression que le monde entier est contre toi. J'ai fait pleins de sacrifices pour que vous soyez heureux, pour aider maman et pour qu'elle puisse toujours compter sur moi. Je ne suis pas en train de me plaindre, je t'explique juste que même si je ne me voyais pas faire autrement, c'était un poids immense sur mes épaules. Parfois, je craquais tout seul en me disant que c'était tellement injuste que je sois contraint de m'occuper des problèmes des autres alors que j'arrivais à un âge où je devais déjà apprendre à me connaître et me forger. Je n'ai pas eu le temps de m'attarder sur mes soucis stupides d'adolescents immatures. Je devais penser à vous, aux courses, au ménage, aux activités que je devais préparer pour que vous ne vous ennuyiez pas quand maman travaillait. Je ne sais pas si tu t'en souviens, mais je sortais peu de la maison. Bien sûr, Ange et moi nous voyions régulièrement, mais ce n'était pas... je ne passais pas mes nuits sur Fifa parce que je prenais mon rôle de grand frère très à cœur et qu'il fallait vous préparer le lendemain, je n'allais que très peu au cinéma parce que c'était tard dans la nuit et que papa ne rentrait qu'un jour sur trois, je refusais les invitations des autres en me disant que je devais jouer au baby-sitter. C'était une responsabilité énorme pour un môme ! Alors, égoïstement, quand j'ai eu Elo et qu'on a évoqué le fait de vivre ensemble, j'ai accepté tout de suite. Ça voulait dire prendre de la distance avec la maison, m'occuper de moi et seulement moi, goûter à tout... Bien sûr, vous étiez plus grand donc il y a plein de choses que vous faisiez sans moi, mais jusqu'à il y a trois ans, j'emmenais encore Summer chez le dentiste. Je sais que ça peut-être compliqué à comprendre, mais j'avais ce besoin de liberté qui me vrillait les tripes. Mais si j'avais su que tu gardais ce secret pour toi... je ne serais pas parti tout de suite. Et même si j'en veux à notre père pour m'avoir fait endosser son rôle, je n'ai jamais voulu qu'on s'éloigne. Je t'avoue que je trouvais que notre relation s'était un peu dégradée depuis quelque temps, mais j'ai sciemment évité de creuser parce que... je ne voulais plus m'occuper des problèmes de tout le monde. Alors excuse-moi Swann parce que je suis ton grand frère et que tu aurais toujours dû compter sur moi.

My Heavy SecretOù les histoires vivent. Découvrez maintenant